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Trafic de drogue : resserrer les mailles du filet dans le port

Le commissaire de police, Mario Nobin, le concède : les trafiquants de drogue utilisent de plus en plus la voie maritime pour faire leur trafic. Une situation qui n’a pas échappé aux membres de la Commission d’enquête sur la drogue. 

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Le rapport, rédigé par l’équipe de Paul Lam Shang Leen, fait ainsi mention d’une série de recommandations pour mieux détecter, identifier et lutter contre ce trafic. Des recommandations qui touchent l’enceinte portuaire, les activités de la douane, les passagers, les navires aussi bien que les yachts et speed-boats, entre autres. 

Le port 

«Une véritable passoire qui facilite l’accès de la drogue dans le pays.» C’est ainsi que le rapport de la Commission d’enquête sur la drogue qualifie le port. Des mesures sont recommandées afin de rehausser le niveau de surveillance dans l’enceinte portuaire. 

Restreindre les points d’accès et fouiller tout le monde qui entre ou qui sort. C’est en somme l’une des recommandations phares de la Commission Lam Shang Leen pour le port afin d’empêcher le trafic de drogue. Plusieurs manquements ont été relevés par le président de la Commission et ses assesseurs au cours des visites au port : l’absence de chiens de garde, de patrouilles régulières près des clôtures, la présence de plusieurs sociétés dans le Port Area, notamment des compagnies pétrolières, de ciment et de farine et le manque de caméras CCTV, entre autres. 

D’où la recommandation de la Commission pour que les possibilités d’accès au port, que ce soit par voie maritime ou terrestre, soient restreintes. Une tâche que la Commission impute à la Mauritius Ports Authority et la Cargo Handling Corporation Ltd (CHCL). Tous ceux qui y ont accès (importateurs et/ou agents) devraient aussi faire l’objet de fouille. 

La présence de l’autoroute et d’autres voies d’accès à proximité du port préoccupe aussi les membres de la commission. Ceux-ci sont d’avis que des colis de drogue peuvent facilement être envoyés par-dessus les clôtures. Des patrouilles plus régulières et l’installation de caméras CCTV sont recommandées. 

Mauritius Revenue Authority

La section « drogue » de la Mauritius Revenue Authority (MRA) est appelée à être démantelée. La Commission estime que cette unité « usurpe » le rôle de l’Anti-Drug & Smuggling Unit (Adsu). Le rôle de la douane devrait se limiter à l’interception et la saisie de drogues qui arrivent par les différents points d’entrée. Cette étape franchie, il revient aux officiers de l’Adsu de prendre le relai en vue de mener l’enquête. Telle est la recommandation de la Commission en ce qui concerne la MRA. D’ailleurs, les membres de la Commission se disent «inquiet» du rôle de la MRA dans la détection de la drogue. Celle-ci est mandatée, selon la Commission, à travers la Customs Act de prélever les différentes taxes sur les marchandises et, subséquemment, interdire l’entrée de produit illicite sur le sol mauricien.

Ce qui amène les membres de la Commission à dire que l’investissement souhaité par la MRA dans la lutte contre le trafic de drogue ne sont pas justifiés car l’unité anti-drogue de la police existe déjà. Ainsi, il ne serait pas non plus « feasible » pour la MRA de disposer de son propre laboratoire ou d’unité de poursuite. 

Néanmoins, plusieurs lacunes ont été relevées par les membres de la Commission : une sous utilisation du scanner (de conteneurs), le manque de formation adéquate pour l’identification des drogues, le manque de coopération ou d’échange d’informations entre la MRA et l’Adsu, le rôle « passif » des chiens renifleurs qui restent en laisse lors du « destuffing » des conteneurs, entre autres. 

L’endroit où opèrent les douaniers ne serait pas non plus sécurisé, tenant compte du nombre élevé de personnes présentes. De ce fait, la Commission estime qu’un colis peut facilement être retiré, au nez et à la barbe des officiers de la douane ou de l’Adsu sans que ceux-ci ne s’en aperçoivent. La familiarité entre les douaniers et certains importateurs ou leurs employés a aussi été soulignée. Autre reproche formulé contre la MRA : les voitures reconditionnées de même que les voitures neuves ne sont pas fouillées pour détecter la drogue. Or, la Commission estime que ces voitures pourraient être de parfaite cachette pour dissimuler de la drogue. 

Cargo

« Chaotique ». Telle serait la situation au Container Terminal, à en croire les membres de la Commission. En cause, les nombreuses allées et venues dans cet endroit sensible du port où les conteneurs sont entreposés. Tout individu avec une carte d’accès pour récupérer des conteneurs était autorisé à pénétrer dans l’enceinte du terminal. C’est l’observation faite par les membres de la Commission. Une situation qui pourrait donner lieu, avec la complicité de certains officiers, au pillage des conteneurs. Or, la Commission considère que personne ne devrait avoir accès au Container Park, sauf les officiers de la CHCL et le personnel de sécurité. D’ailleurs, le rapport stipule que l’organisme devra avoir ses propres gardiens pour ne pas se fier uniquement sur la police et ce, malgré la présence de caméras CCTV.

Plus de 300 000 conteneurs arrivent à Maurice chaque année. Cependant, seulement 5 % de ces conteneurs sont scannés. Recommandation est faite pour une révision des protocoles en place afin de pouvoir classifier les importateurs en termes de risques que leur importation présente (low/medium/high). Autre recommandation à ce chapitre : que les conteneurs scannés restent dans un endroit spécifique sous la garde des officiers de la douane avant que ceux-ci ne soient récupérés par les destinataires afin de ne pas les retourner au Container Terminal. 

La Commission dit ne pas comprendre pourquoi l’inventaire/examen des conteneurs, effectué par des « surveyors » des compagnies maritimes pour déterminer si ceux-ci sont endommagés ou pas, est effectué le soir. Recommandation est ainsi faite pour que des protocoles soient mis en place par la CHCL pour expliquer les différentes étapes à suivre pour lors de ces exercices. 

Port de pêche

Le surplus de poissons capturés par les bateaux de pêche doivent être vendus au Marketing Board. Cette recommandation vise à empêcher que la drogue ne soit transportée via les bateaux de pêche. Actuellement, des poissons frigorifiés sont débarqués au port sans que ceux-ci ne fassent l’objet de contrôle des autorités. La Commission considère que ces poissons peuvent servir de medium pour le trafic de drogue. Sans compter que des personnes se baladent de bateaux en bateaux pour l’acquisition du surplus de poissons.

MRA : «Des actions seront prises après les conclusions du comité interministériel»

Au niveau de la Mauritius Revenue Authority (MRA), on affirme qu’une équipe a été constituée pour se pencher sur le contenu et les recommandations du rapport. « Nos observations et recommandations [à nous] seront ensuite soumises au comité interministériel qui est présidé par le Premier ministre, Pravind Jugnauth. Ce n’est qu’après la soumission des conclusions que la MRA se décidera des actions à prendre », a déclaré à Le Dimanche/L’Hebdo Amick Teeluckdharry, assistant-directeur du département Taxpayer Education and Communication.

Surveillance en mer : vers la création d’une route maritime

Créer une « sea lane » que devront emprunter tous les bateaux qui accostent Port-Louis. C’est la recommandation de la Commission qui considère la surveillance exercée par la National Coast Guard inefficace. Le mouvement des bateaux à l’intérieur et hors du lagon préoccupe les membres de la Commission. Des recommandations ont été faites sur trois volets pour rehausser le niveau de surveillance en mer :

Création d’une  « sea lane »

La NCG dispose, depuis 2011, d’un système de surveillance qui détecte les bateaux dotés d’un Automatic Identification System (AIS). Ce système donne l’emplacement du bateau dans un rayon de 30 à 40 miles nautiques. La NCG a aussi recours aux images satellite pour comparer les informations présentes sur leurs radars et sur les images. Sauf que malgré tous ces outils, la NCG peine à exercer une surveillance efficace en mer pour empêcher le transport de drogue ou autres produits/objets illicite. Une route maritime est ainsi préconisée par la Commission. Cette route devra être obligatoirement empruntée par les navires qui accostent Port-Louis. 

Une route dédiée

Une route dédiée est aussi recommandée pour les petits bateaux qui viennent déposer ou récupérer l’équipage des gros navires à terre. La NCG ne devrait ainsi pas permettre que d’autres bateaux ne gravitent aux abords des gros navires. En sus, ceux qui n’emprunteront pas le « passage » devront être sanctionnés.

Création de marinas

Les petits bateaux de moins de 12 mètres, pour la plupart des plaisanciers et des bateaux de pêche (dans le lagon), ne sont pas tous dotés de l’Automatic Identification System. Des marinas un peu partout à travers l’île, sous le contrôle de la NCG sont ainsi recommandés par la Commission dans le but de surveiller efficacement les mouvements des catamarans, speed-boats, yachts ou des bateaux qui peuvent naviguer jusqu’à l’île de La Réunion ou Madagascar et sur lesquels la NCG ne dispose d’aucun control. 

D’ailleurs, la Commission considère que la NCG a une façon « bizarre » de contrôler les bateaux qui consiste à relever les bateaux présents le soir et de les vérifier le lendemain matin. La Commission juge cela trop « simpliste » et ne donne aucune indication sur les activités, le mouvement et la destination de ces bateaux. En fait, seuls les bateaux étrangers ont l’obligation d’appeler le port et là encore, pour des besoins d’immigration, contrairement aux bateaux locaux. Des recommandations sont faites pour que la flotte de la NCG soit plus « visible » et des vérifications surprises doivent être faites plus souvent. La NCG devra aussi être dotée de drones dernier cri pour éviter de naviguer jusqu’aux bateaux suspects. 

Drogue : mieux équiper la NCG

La National Coast Guard est aussi appelée à mieux s’équiper dans le combat contre la drogue car, actuellement, il est humainement impossible de fouiller tout un navire de par le nombre de possibilités qui existent pour dissimuler des objets ou produits illicites. 

Les personnes à bord du navire peuvent, en effet, sortir avec ces produits incognito ou encore, les colis peuvent être jetés par-dessus bord et être récupérés par de plus petits bateaux. Un autre subterfuge : ceux trouvés en possession d’objets illicites ou de drogue, pour échapper à la NCG, déclarent qu’ils ont ramassé le colis en mer. Les colis sont parfois jetés à la mer à l’approche d’une embarcation de la NCG.

Deux recommandations ont été faites en ce sens : (i) se doter de chien renifleur et (ii) des kits pour tester les substances suspectées d’être illicites d’autre part. Cela, afin de mieux détecter la drogue sur les bateaux. La NCG doit aussi être en constante communication avec l’unité anti-drogue.


Restreindre le mouvement des «petits bateaux» - Capitaine Barbeau : «C’est plus compliqué qu’on ne le pense»

Un plan pour limiter le mouvement des petits bateaux dans le port. C’est ce que recommande la Commission. Or, certaines mesures seraient plus compliquées à réaliser, à en croire le Port Master, le Capitaine Barbeau.

« A trafic lane should be designed to be used by the small boats in between the mandatory passenger landing place and the area in the port where the ships are moored. (…) Contraveners should be severely sanctioned with revocation of permit and prohibition to hold any such permit for a number of years. » Il s’agit de l’une des recommandations de la Commission pour éviter que des petits bateaux ne gravitent autour des gros navires. Mais serait-ce plus facile à dire qu’à faire ?

Contrôler le mouvement des petites embarcations dans le port sera un peu compliqué concède le Capitaine Barbeau. Deux raisons sont évoquées : d’une part, l’exigüité de notre port et d’autre part, le rôle des petits bateaux. À en croire le Capitaine Barbeau, il s’agirait de ‘taxi boats’ qui opèrent à proximité des gros navires. Ces taxi boats transportent des passagers mais aussi de quoi ravitailler les gros navires. « [Ti] bato la, sa mem so travay », dira le Port Master, ajoutant que ce sera un peu plus compliqué à faire. « Mais on travaille dessus », affirme-t-il. 

Le Capitaine Barbeau indique que les recommandations formulées par la Commission sont en train d’être étudiées. « Il faut voir [par rapport aux recommandations] ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. Et lorsqu’une recommandation ne peut être exécutée, il faut voir quelles sont les alternatives. Quoi qu’il en soit, il y a du travail à faire», indique le Port Master, tout en ajoutant « qu’il faudra aller dans le sens des recommandations ». 

Le Capitaine Barbeau fait ressortir que le port est un endroit très important, surtout sur le plan économique. « Il faut tenir en compte que plus de 90 % des activités économiques passent par le port. Donc, il faut voir quels sont les manquements et resserrer là il faut, en consultation avec tous les partenaires concernés, tels que la police, la Cargo Handling et surtout les opérateurs économiques », dit-il. Cependant, le Capitaine Barbeau soutien qu’il faudra trouver un juste équilibre. « Il ne faut pas non plus trop serrer les vis car une des répercussions que cela pourrait avoir, c’est une flambée de prix des produits importés. Ce sont les consommateurs qui vont faire les frais », explique notre interlocuteur. 

En ce qui concerne la création d’une « sea lane » pour les gros navires, le Capitaine Barbeau est d’avis qu’il s’agit d’une recommandation réalisable. Pour rappel, tous les navires qui accostent Port-Louis devront obligatoirement emprunter cette route maritime. « Nos plaisanciers (ndlr. catamaran, speed boats, etc) ont une certaine distance à ne pas franchir. Il suffit de donner des directives aux navires de passage de ne pas s’aventurer à l’intérieur de ce périmètre. Cela va empêcher que des bateaux de plaisance aient un quelconque contact avec ces navires », indique le Port-Master. 


À la CHCL : «Il est possible de scanner 100 % des conteneurs»

L’une des recommandations du rapport de la Commission, pour la CHCL, consiste à faire une double manutention. Or, un cadre de la Cargo Handling Corporation Ltd soutient que cette recommandation ne sera pas tout à fait pratique pour Port-Louis. 

La Commission recommande de transporter le conteneur du bateau à la Custom’s Area pour être scanné. « Cela implique une double manutention qui va engendrer un énorme goulot d’étranglement. Les répercussions peuvent être à trois niveaux : primo, sur la productivité. Secundo, le temps d’attente des camions. Et tertio, le tarif pratiqué par la CHCL. Cela impliquera l’achat d’équipements additionnels et le recrutement de plus d’employés », explique notre interlocuteur qui préconise l’utilisation de la technologie de pointe et une minimisation des interventions humaines.

Pour y arriver, ce cadre est d’avis que la CHCL doit se mettre au diapason avec ce qui se fait à Hong Kong, Singapore ou encore aux États-Unis. « 100 % des conteneurs doivent être scannés au débarquement et la même chose pour les conteneurs entrant au Terminal [destinés à l’exportation]. Pour réaliser cela, il faut installer des scanners qui peuvent examiner des conteneurs sans que le camion ne s’arrête. Les images sont transmises en direct au bureau de contrôle des Douanes. Avec des logiciels spéciaux, qui existent déjà d’ailleurs, on peut non seulement identifier les objets qui se trouvent à l’intérieur mais aussi être averti de la présence d’objets suspects ou illégaux. Les douaniers peuvent alors nous demander d’isoler le conteneur en vue d’une vérification plus poussée », indique notre interlocuteur. Celui-ci précise que cet investissement, qui devra venir de la MRA, aura un coût initial non négligeable. « On peut aussi solliciter l’aide des pays amis à cet effet », suggère-t-il.

 

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