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Travail bien ordonné…

Comme la charité, le travail bien ordonné commence par soi-même. Mais le gouvernement paraît plus apte à mettre de l’ordre dans des dossiers politico-financiers qu’en son sein. Un ex-ministre condamné pour conflits d’intérêts, un ancien ministre inculpé de tentative de pot-de-vin, un ministre en sursis sous l’éteignoir de la Commission anti-corruption, un ministre très en verve soupçonné d’avoir des méthodes KGB, un ministre-esclave qui ne sait pas tenir sa langue, et un député menteur accusé d’homicide involontaire, tout cela fait beaucoup de désordre. Moins d’un an et demi après avoir été plébiscitée aux élections, l’alliance gouvernementale voit son crédit largement entamé. Dans une interview à Mauritius Times, Jean Claude de l’Estrac affirme que « le climat politique actuel ne contribue aucunement à créer les conditions d’une croissance forte », et que « les incertitudes politiques freinent l’élan du secteur privé ». Les analystes économiques et financiers interrogés dans le présent baromètre ne disent pas autrement en faisant ressortir un surcroît d’attentisme dans la communauté des affaires, ce qui les rend pessimistes sur les perspectives de 2016. L’économie fait tapisserie dans la cour de récréation politique. Or les entreprises ne peuvent pas continuellement attendre : soit elles renvoient leur décision d’investir, soit elles licencient, soit elles ferment boutique, soit elles délocalisent ailleurs. Si l’homme politique peut jouer avec le temps (telle serait la posture du Premier ministre vis-à-vis de Vishnu Lutchmeenaraidoo et de Pravind Jugnauth), l’acteur économique considère le temps comme un coût et l’intègre dans ses calculs. Malheureusement, l’économie du temps n’a pas bonne presse au ministère des Finances où l’on jure toujours par le keynésianisme. Grand amateur de football, sir Anerood Jugnauth doit savoir que souvent un joueur en position de marquer un but perd le ballon quand il temporise trop. C’est aussi un jeu collectif où la victoire ne repose pas sur le seul buteur vedette, mais sur tous les équipiers. À moins que les protagonistes politiques jouent plutôt au poker menteur, voire à une partie d’échecs. Un chef de gouvernement ne peut pas accepter qu’un ministre dit une fausseté de lui dans un affidavit juré en Cour suprême. Mais s’il ne fait que le démentir sans le révoquer, il met à mal sa crédibilité et son leadership, deux qualités si essentielles pour inspirer confiance auprès des opérateurs économiques. Dans l’intérêt de l’économie, il doit abattre sa dernière carte même si l’autre détient un joker susceptible de mettre en échec le plan de la prochaine bataille électorale. La crise politique, alimentée par les démêlés des élus avec la police et la justice, vient greffer sur une crise économique dont la population ne prend pas pleinement la mesure. C’est un mélange détonant qui risque de rendre le pays ingouvernable. Le gouvernement serait sage de revoir ses ambitions à la baisse afin de pouvoir assurer le service minimum, soit une stabilité économique. Il doit d’abord arrêter de parler de « miracle économique ». Personne n’y croit plus, et personne ne le veut. Ce que tout le monde espère simplement, c’est de préserver son emploi ou d’en trouver un. Le duo qu’on présentait comme le faiseur de miracle n’existe plus, puisque le Premier ministre assume lui-même le poste des Finances. Et puis, le Fonds monétaire international a anéanti tout espoir de miracle, prévoyant pour Maurice une croissance économique inférieure à 4 % en 2016, 2017 et 2018. Pour la majorité de nos sondés, la croissance de 2016 pourrait être de 3,5 %. Statistics Mauritius l’estime à 3,9 %, mais elle fait souvent une surestimation à cette période de l’année. D’ailleurs, elle vient d’abaisser à 3,1 % la croissance de 2015, qui est finalement pire que les 3,4 % de 2014. Le marasme économique est palpable. Un éditorialiste, qui avait succombé aux sirènes de « redécollage économique », écrit : « Quinze mois après son arrivée aux affaires, l’alliance au pouvoir n’a toujours pas produit de résultats tangibles sur le plan économique. Aucun projet majeur n’a démarré et le décollage annoncé par le Premier ministre en début d’année semble compromis. » Il va sans dire que le chômage progressera. Répondant à une question parlementaire sur les pertes d’emplois, le ministre du Travail indiqua qu’elles étaient de 7 400 en 2013, de 8 256 en 2014 et de 10 038 en 2015. Il qualifia cela de « normal trend ». Sur cette tendance donc, quelque 12 000 personnes devraient perdre leur job en 2016. Si l’on y ajoute les 10 000 nouveaux arrivants sur le marché du travail chaque année, il faudra créer au moins 22 000 emplois par an, ce qu’a parfaitement estimé l’Economic Mission Statement du gouvernement. Toutefois, le taux de chômage ne reculera pas. Pour traiter des problèmes économiques, il faudra certainement un ministre des Finances à plein temps. Mais le secteur privé aura du mal à composer avec celui qui semble connaître le travail de ses collègues mieux que le sien. Alors qu’il veut mettre de l’ordre dans les dossiers de tous les ministères, les institutions qui tombent sous sa tutelle fonctionnent au petit bonheur. Ses discours sur la bonne gouvernance dans les services financiers restent des vœux pieux, car des opérateurs font la pluie et le beau temps au nez et à la barbe des régulateurs. Le haut lieu de pouvoir n’est pas la cour du roi Pétaud imaginé par « Le Tartuffe »  de Molière : « On n’y respecte rien, chacun y parle haut. » Mais c’est une vraie pétaudière, ce travail politique désordonné…
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