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Travailleurs étrangers : les conditions de vie décriées

Ils sont 38 462 travailleurs étrangers à contribuer à l’économie du pays. On leur présente Maurice comme le pays rêvé pour se faire de l’argent. Or, c’est la désillusion pour beaucoup quand ils arrivent ici. Zoom.

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Nous sommes à la sortie de la capitale, une banlieue de la périphérie. Il est 11 heures. Allées et venues incessantes de voitures. Dans une ruelle très fréquentée, un bâtiment, dont la dernière couche de peinture remonte à des années, se dresse devant nous. On peut à peine imaginer que des personnes y vivent. Des draps en guise de rideaux, des lavoirs au beau milieu de la cour remplacent le luxe d’une salle de bains. Pourtant, des dhoti sèchent sur une corde à linge. Au loin, on distingue des voix, des hommes qui s’adressent en hindi. On comprend tout de suite que ce bâtiment sert de dortoir à des travailleurs étrangers.

Notre guide est le syndicaliste et travailleur social, Fezal Ally Beegun, qui connaît bien les lieux. Mais ce jour-là, le vigile à l’entrée ne semble pas vouloir autoriser des visiteurs. Il nous fait comprendre que nous ne sommes pas les bienvenus. « Je ne peux pas vous laisser entrer. Il me faut l’accord de la direction. » Nous parvenons quand même à parler à un des travailleurs étrangers. Un peu hésitant au début, il se laisse toutefois aller à quelques confidences une fois que le vigile a le dos tourné. Il dit travailler à un train d’enfer mais son maigre salaire ne lui permet pas de rembourser ses dettes. « Je reçois très peu d’argent à l’usine où je travaille. D’autres travailleurs étrangers gagnent bien plus mais travaillent dans d’autres usines. Je touche quelque Rs 7 000 par mois. Ce n’est pas assez. »

Nous souhaitons visiter les chambres. Pour cela, nous demandons au vigile de nous laisser entrer. À son tour, il appelle la direction de l’usine. Quelques instants plus tard, il nous fait comprendre que nous pourrons revenir un autre jour, une fois le grand nettoyage fait. « Revenez un autre jour quand on aura préparé votre visite. Il faut nettoyer les dortoirs. Vous devez comprendre. » Voulant sans doute se faire l’avocat du diable, le vigile explique que les travailleurs étrangers sont mieux lotis que les Mauriciens. « Ils sont mieux que nous. Ils sont logés, nourris, blanchis. On les emmène à l’hôpital quand ils sont malades. Il n’y a pas de raison pour qu’ils se plaignent. »

Ce n’est certainement pas ce que nous fait comprendre un autre employé étranger de l’usine. Il prend comme exemple la food allowance qu’ils reçoivent chaque mois. Une somme dérisoire, estime ce père de famille.

« Je touche Rs 1 100 chaque mois pour manger. Comment peut-on vivre avec cette somme ? Je deviens fou à force de ne plus savoir comment gérer mon budget car mon salaire est si maigre. Pour m’apaiser, je ne fais que boire. Je dois rembourser l’emprunt que j’ai contracté pour payer l’agent recruteur au Bangladesh. Je dois rembourser Rs 200 000. De plus, je dois envoyer de l’argent à ma famille. Je ne m’en sors plus ».

« Mon salaire est de Rs 5 000. Quand je fais des heures sup, je peux toucher jusqu’à Rs 11 000. Cela me va » Maurice représente l’eldorado pour beaucoup de travailleurs étrangers. Comme pour ce Malgache qui est satisfait de son salaire de base de Rs 5 000. Pour rencontrer ce jeune homme, nous avons fait des kilomètres pour nous retrouver dans l’Est du pays. Nous sommes à des années-lumière de l’île Maurice moderne, dans un petit village isolé de tout. Des centaines de travailleurs étrangers, malgaches et bangladais confondus, vivent dans de minuscules maisons qui leur servent de dortoirs. Ils travaillent tous pour une usine textile.

Des étrangers dorment dans des containers.

Les Malgaches pas mieux lotis

Nous rencontrons un autre Malgache qui fait part que, grâce à son travail, il a pu construire sa maison à Madagascar. « Je suis marié et j’ai deux enfants. Ce travail m’a permis de construire ma maison à Madagascar. Je n’ai pas envie de repartir. Ici, on gagne bien notre vie, contrairement à Madagascar. »

À quelques pas de là, une maisonnette attire notre attention. Un jour de congé à été accordé à quelques Malgaches de foi catholique à l’occasion de la fête de l’Assomption. Ils en profitent pour passer un peu de bon temps entre amis. Ils nous invitent même à venir visiter leur chambre, qui n’en est pas une au final. Un lavoir transformé en dortoir. Ils sont quatre à vivre là. Pas de réfrigérateur. Pas de meubles, même le strict minimum ne leur a pas été donné à leur arrivée. 

Pressés de questions, leurs langues se délient. L’un d’eux nous parle alors de fausses promesses qui leur ont été faites par l’agent recruteur. « Nous avons quelque part été bernés. Beaucoup de clauses qui figurent dans notre contrat n’ont pas été respectées, comme un logement décent par exemple. » Un second avouera même qu’il en a marre du comportement abusif de certains supérieurs. « Ils déduisent de l’argent de notre bonus quand cela leur plaît. Si on refuse de faire quelque chose, ils nous sanctionnent. C’est abusif ce qu’ils font et la façon dont ils nous parlent. »

En chiffres

Il y a, à ce jour, 38 462 travailleurs étrangers sur le sol mauricien, répartis dans différents secteurs, principalement dans le secteur manufacturier qui représente une contribution de 14,2 % au PIB. Mais on les retrouve aussi dans la construction. Toutefois, depuis quelques années, les Mauriciens ont signifié un manque d’intérêt pour cette filière et il a fallu recruter de la main-d’œuvre étrangère.

Les travailleurs étrangers viennent de quatre pays principalement. Le plus grand nombre, soit 21 640, vient du Bangladesh. Environ 8 000 de l’Inde, 4 000 sont des Malgaches et 2 500 viennent de Chine. Il y a aussi quelques travailleurs étrangers qui arrivent du Sri-Lanka, du Népal et d’autres pays africains.

Questions à...

Soodesh Callichurn, ministre du Travail : «Je mets en garde certains agents recruteurs»

Qu’est ce qui explique que le plus grand nombre de travailleurs étrangers viennent du Bangladesh ?
Nous avions beaucoup d’Indiens au début. Vers les années 2004-2005, le nombre de Bangladais a augmenté. Dans ce pays, nous avons un pool de travailleurs qualifiés. De plus, en Inde, le coût de la vie a augmenté. Donc, les Indiens ont connu une hausse de salaire dans leur pays. Pourquoi viendraient-ils à Maurice? En Chine, ils touchent plus que ce qu’ils auraient perçu ici. C’est pour cela que nous avons vu une baisse considérable de travailleurs chinois à Maurice. Les Bangladais, eux, profitent de leur emploi à Maurice.

Beaucoup de travailleurs étrangers déplorent leurs conditions de vie ? En êtes-vous au courant?
Bien sûr que je suis au courant. Le département Lodging and Accomodation Unit du ministère a octroyé au moins 500 permis d’opération pour les dortoirs. Dans beaucoup de cas, ce sont des maisons reconverties. Sauf que les maisons reconverties ne sont pas construites pour être des dortoirs. Pour opérer un dortoir, il y a une liste de critères qu’il faut satisfaire. Avant d’avoir un permis, les Fire Services doivent donner leur rapport et le Health Department du ministère de la Santé doit donner son aval. Après une évaluation accrue et seulement si le dortoir satisfait les conditions, le permis est accordé.

Nous avons 1 600 dortoirs à Maurice. L’Occupational and Safety Department de mon ministère compte une dizaine de membres. Un nombre réduit certes, mais ces 10 personnes ont effectué 932 visites. Elles prennent note des problèmes et les communiquent aux gérants des dortoirs. Les plaintes concernent l’entretien des toilettes. L’espace de vie est aussi pointé du doigt. Dans plusieurs cas, quand rien n’est fait pour améliorer les conditions de vie de ces gens, on prend d’autres sanctions. En 2016, 17 cas ont été logés en cour. On prend les actions qu’il faut. Certains se retrouvent à payer des amendes alors que dans d’autres cas plus sérieux, on fait fermer le dortoir.

Le nombre d’employés est restreint mais nous avons fait une demande pour augmenter le staff. La PSC doit maintenant pourvoir à ces postes.

Parlez-nous du mécanisme de recrutement ?
Toute compagnie qui veut recruter de la main-d’œuvre étrangère doit avoir une Permission In Principal (PIP). La compagnie doit démontrer pourquoi il lui faut des travailleurs étrangers. Une fois qu’elle a son PIP, l’entreprise peut faire la demande pour des permis de travail pour ses travailleurs.

Avec son PIP en main, la compagnie vient au ministère pour faire sa demande. La loi permet aux compagnies de recruter directement. Elles peuvent aussi passer par un agent recruteur. Si par exemple, elle veut recruter au Bangladesh, la compagnie, munie de son PIP, va à l’ambassade du Bangladesh. Elle reçoit une demand letter, et à partir de là, peut s’envoler pour le Bangladesh. De là-bas, elle contacte les agences de recrutement.

S’ensuit alors toute une série de procédures. Lorsqu’elle revient, le cas est référé devant un comité et une fois les critères (examens médicaux, visas et passeports entre-autres) respectés, ledit comité donne son aval et finalise les procédures de recrutement.

Qu’en est-il des agents recruteurs ?
Nous avons à Maurice 38 agents recruteurs certifiés. Les faux agents sont surtout des étrangers, qui se marient avec des Mauriciens ou qui vivent à Maurice.

Nous allons changer le système de recrutement. Pour cela, nous allons signer un accord avec les différents pays d’où viennent les travailleurs, principalement du Bangladesh. Nous allons signer un Memorandum of Understanding avec le Bangladesh pour rendre le processus de recrutement plus transparent. Je mets en garde les agents qui ne respectent pas les procédures.


Feizal Ally-Beegun, syndicaliste et travailleur social : «Certains travailleurs étrangers vivent dans des containers»

Pour le syndicaliste Fezal Ally Beegun, les conditions de vie des travailleurs étrangers ne se sont pas améliorées avec le temps. Elles ont même connu une détérioration, dit-il. « En visitant les dortoirs, on se rend vite compte de cela. Ils sont en piteux état. Dans certains cas, ce sont des lavoirs transformés en chambres à coucher. Certains des travailleurs installent leur four à gaz dans les chambres à coucher. Ce qui représente un danger réel. D’autres prennent leur douche au milieu de la cour, et cela en plein hiver. »

Mais comment ces gérants de dortoirs parviennent-ils à obtenir un permis d’Accomodation ? Pour le travailleur social, c’est très simple. « Certains gérants présentent un château aux officiers du ministère lors d’une visite en vue d’obtenir un permis, mais ce n’est pas là-bas que les travailleurs vont loger. Certains travailleurs étrangers habitent dans des containers. C’est affreux. »

Fezal Ally Beegun entend dénoncer les faux agents recruteurs qui profitent de la vulnérabilité de ces travailleurs. « Il y a, sur le territoire mauricien, des agents recruteurs qui ne sont pas certifiés. Ce sont des étrangers dans la plupart des cas. Je les ai dénoncés. Ils envahissent la zone franche. Ils menacent les travailleurs étrangers et les manipulent. Les travailleurs ne peuvent pas les dénoncer de peur d’être déportés. »

Fezal Ally Beegun va encore plus loin dans ses dénonciations. Il s’attaque cette fois aux directeurs de compagnie qui emploient les travailleurs étrangers. Ils sont parfois, selon ses dires, encore plus manipulateurs que les agents recruteurs. « Les travailleurs qui viennent à Maurice s’endettent pour pouvoir venir et capitulent devant les menaces du management. Ils sont menacés de déportation de la part du management quand ils essaient de dénoncer les abus. »

 

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