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Trilock Dwarka : «Ramgoolam a fait preuve d’un manque de discernement»

Trilock Dwarka

L’observateur politique et ancien directeur-général de la MBC, ancien président de l’IBA et de l’ICTA, livre son analyse sur les élections générales et appelle à une profonde introspection au niveau du Parti travailliste.

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Le jour du dépouillement des élections générales vous aviez évoqué l’effet Comey sur les ondes Radio Plus. Pourriez-vous être plus explicite et nous expliquer dans quelle mesure cela a eu, selon vous, une incidence sur les résultats du scrutin ?
L’effet Comey tient son origine du nom de l’ancien patron du Federal Bureau of Investigation des États-Unis, James Comey. Il avait décidé de rouvrir l’enquête sur les courriels d’Hilary Clinton qui était alors la candidate démocrate aux élections présidentielles contre Donald Trump, à onze jours de l’échéance. Beaucoup d’observateurs politiques, et même le Parti démocrate américain, ont estimé que l’impact de cette décision de Comey avait permis un déplacement de 1 % à 4 % des votes vers le candidat Donald Trump. À Maurice, lors des élections générales de 1987, il y avait une différence de 1,74 % entre les voix recueillies par l’alliance menée par le Mouvement socialiste militant (MSM) et celles obtenues par l’Union avec pour locomotive le Mouvement militant mauricien (MMM). Cette victoire, acquise sur le fil, avait été attribuée à un message diffusé par le directeur-général d’alors de la MBC, à la veille des élections, sur la base d’une remarque faite lors d’une voice test par Paul Bérenger dans les studios de la Mauritius Broadcasting Corporation (MBC). Pour les élections générales de 2019, une phrase maladroite prononcée par le Dr Navin Ramgoolam à Plaine-Verte a été exploitée sur les ondes de la MBC et dans les circonscriptions de la hindi belt, a certainement provoqué un glissement des voix vers l’Alliance Morisien et cela a eu un impact sur le résultat du scrutin.

Mais ce ne peut pas être l’unique facteur de la victoire de l’Alliance Morisien ?
Tout à fait. Les élections du 7 novembre avaient pris l’allure d’un référendum ou d’une élection aux allures présidentielles. Le choix était entre Pravind Jugnauth et le Dr Navin Ramgoolam. L’électorat a choisi le premier qui est perçu comme un bosseur, plus dynamique et plus proche du peuple. La personnalité de Pravind Jugnauth a porté la vague orange dans les régions rurales et certaines circonscriptions urbaines, ce qui explique pourquoi des candidats novices ou peu connus de l’Alliance Morisien, ont pu réaliser de meilleurs scores que certains candidats de l’Alliance nationale, ancrés depuis des décennies dans leurs circonscriptions.

Quelles impressions vous laissent les images du Dr Navin Ramgoolam, pris à partie par des partisans de l’Alliance Morisien, au petit matin du 14 novembre au no 10 ?
Tout citoyen responsable doit condamner ces débordements qui auraient pu avoir des conséquences plus graves. C’était des images déplorables et en même temps pathétiques, surréalistes et pitoyables. En se pointant à 2 h 30 pour demander un recount en présence d’une foule de supporters surexcités du parti adverse, le Dr Ramgoolam a fait preuve d’un manque dramatique de discernement tout en prenant des risques énormes. Même s’il exerçait son droit démocratique, je crois qu’il serait souhaitable qu’il fasse une relecture de The Crowd de Gustave Lebon pour mieux cerner la psychologie des foules, afin d’éviter la danse des projectiles au-dessus de sa tête à l’avenir. Ces images sont aussi dévalorisantes et humiliantes pour lui que celles de son arrestation en janvier 2014.

La communication politique chez nous suit cependant la tendance mondiale avec l’utilisation de moyens d’envergure pour influencer l’électeur»

Est-ce que les états-majors des partis politiques, surtout celui du Parti travailliste, auraient dû mieux planifier la communication surtout en cas de défaite pour éviter ce genre de spectacle ?
Dans les démocraties occidentales et même asiatiques, les leaders politiques sont généralement prêts une demi-heure après l’annonce des résultats avec deux modèles de discours. L’un à être prononcé en cas de victoire et l’autre dans l’éventualité d’une défaite. Rien n’est laissé au hasard ou à l’improvisation. On prévoit des scénarios dans le cadre d’une analyse pre mortem. À Maurice, j’ai l’impression que les équipes de communication se sont trop concentré sur les réseaux sociaux, les clips, etc. Une chaîne de radio privée a même ouvert les floodgates avec ses gates, alors que le public était saturé avec du contenu non-vérifiable et qui était démenti promptement le lendemain. La communication politique chez nous suit cependant la tendance mondiale avec l’utilisation de moyens d’envergure pour influencer l’électeur et afin de laisser le moins de place possible au phénomène deus ex machina pour décider l’issue d’un scrutin à la onzième heure.

Ne pensez-vous pas que le public n’a aussi pas voulu d’une politique de vengeance que Navin Ramgoolam promettait à ses adversaires ?
Je crois que le leader du Parti travailliste avait fait comprendre qu’il n’avait pas l’intention de se venger, sauf dans un cas précis. Celui de Rakesh Gooljaury. Il ferait mieux dans ce cas, de s’inspirer de Narendra Modi. Celui-ci, interrogé par un journaliste, à la suite de démêlés avec une candidate du Bharatiya Janata Party, touchant à un sujet politique délicat, avait souligné qu’il s’agissait d’un problème purement personnel entre cette personne et lui-même et qu’il ne souhaitait pas commenter publiquement. Pourquoi étaler des rancœurs sur la place publique surtout quand il sait que Rakesh Gooljaury a des fréquentations au sein de son parti, des contacts privilégiés avec d’autres leaders politiques, Xavier-Luc Duval et Alan Ganoo, entre autres ? Cette hargne est difficilement réconciliable avec l’image cool qu’il avait voulu se donner sur les réseaux sociaux. Dissonance cognitive dirait mon ami Yash.

Qu’en est-il des « petits » partis politiques ? On en a vu un certain nombre avec des gens crédibles et une vraie politique de rupture. Pourtant, l’électorat continue à se focaliser sur les grands. Voyez-vous un espoir à l’avenir pour ces « petites » formations ?
Je voyais le Reform Party mener la danse parmi ces partis. Roshi Bhadain qui est un brillant homme politique, a cependant fait les frais des séquelles de l’affaire British American Insurance. Son parti n’a eu qu’un soutien embryonnaire, sinon symbolique au sein de l’électorat. Idem pour d’autres petits partis animés de bonnes idées. Ne soyons cependant pas pessimistes. Peut-être qu’avec l’accélération de l’histoire, les nouvelles attentes surtout venant des jeunes électeurs, l’accent grandissant sur le besoin de transparence, d’égalité des chances, de justice sociale et la réduction de la fracture numérique, ils émergeront pour se joindre au mainstream. Le renouveau actuellement, il vaudrait mieux le rechercher du côté du MSM qui a fait élire vingt-trois nouveaux candidats.

Voyez-vous Navin Ramgoolam remettre son leadership en question après la débâcle électorale de son parti ?
Symboliquement peut-être. Les leaders politiques trouvent toujours des boucs émissaires et mille excuses pour expliquer une défaite, alors qu’ils en sont les premiers responsables. Le leader du Parti travailliste sera probablement requinqué, après que toutes les accusations dont il répondait aient été rayées devant la Cour suprême. Il utilisera alors cette décision comme un tremplin pour annoncer le Ramgoolam nouveau, honni actuellement par la grosse majorité de l’électorat. Ce sera donc business as usual et Pravind Jugnauth peut dormir tranquillement sur ses lauriers avec la certitude que Ramgoolam restera son meilleur agent pour longtemps encore à la tête du Parti travailliste. L’énigmatique Dr Ramgoolam est quand même capable du meilleur comme du pire.

 

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