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«Un dimanche sur le quai de Makarnika» de Jean Claude de l’Estrac : un passage au roman marqué par la quête existentialiste

Le premier roman de Jean Claude de l'Estrac lancé mercredi.

Ce livre était attendu, le voilà réalisé après cinq années de réflexion. Le premier roman de Jean Claude de L’Estrac, intitulé « Un dimanche sur le quai de Makarnika », a été lancé mercredi à Ébène, en présence de l’auteur et d’une salle remplie de personnalités de différents milieux.

Jean Claude de L’Estrac ne pouvait sans doute pas rêver mieux comme personnalités afin que l’événement soit à la mesure de sa propre dimension et de son ouvrage : deux anciens ministres des Finances (Rama Sithanen et Rundheersing Bheenick), un ex-président et une ancienne vice-présidente de la République (Cassam Uteem et Monique Ohsan-Bellepeau), l’ex-directeur des poursuites publiques Satyajit Boolell, et même Jack Bizlall et Jean-Claude Bibi, jadis ses adversaires « idéologiques » au Mouvement militant mauricien. C’est déjà une sacrée performance que d’avoir réuni autant de beau linge, le ministre des Arts n’étant bien entendu pas invité, l’auteur ne se sentant pas en affinité avec l’actuel gouvernement. 

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Pour donner un aperçu de son ouvrage, Jean Claude de L’Estrac a confié à un ex-acteur de théâtre, Philippe Houbert, très à l’aise dans ce rôle, et sa fille Valérie Duval, le soin d’en lire des extraits. Mais pour être mieux au fait du propos de l’acteur, il a fallu bien esgourder entre les lignes Finlay Salesse, maître de cérémonie des lieux, lequel a bien su restituer l’âme de l’ouvrage, si bien que celui-ci laisse peu de doute entre la quête de Michael, le personnage du livre, et l’auteur. Certains apparentements entre les deux, pour qui connaît l’ancien député-maire des Villes-Sœurs dans les années 70, s’imposent comme une évidence.

Pour peu qu’on ait lu les précédents ouvrages de Jean Claude de L’Estrac, on peut penser que l’attrait de ce premier roman réside dans son refus d’enjoliver les situations et de toute coquetterie et orientalisme de complaisance."
 

Les habits du romancier nouveau

Jean Claude de L’Estrac a-t-il réussi à transiter de l’observateur politique et chroniqueur de presse qu’il est pour enfiler les habits du nouveau romancier qu’il souhaite devenir. Il n’y a qu’à se fier à la citation de Georges Duhamel qu’il s’est appropriée pour s’en convaincre : « Le but suprême du romancier est de nous rendre sensible l’âme humaine, de nous la faire connaître et aimer dans sa grandeur comme dans sa misère, sans ses victoires et dans ses défaites. Admiration et pitié, telle est la devise du roman », disait l’ancien académicien et Prix Goncourt. On peut, à ce sujet, évoquer le rôle des endroits dans le roman, le sens qu’ils lui donnent, le lien qu’ils établissent avec son personnage central. Le cinéma, grâce à Bernardo Bertolucci (Un thé au Sahara), Luchino Visconti (Mort à Venise) et Wim Wenders (Paris Texas) entre autres, confère dans chacun de ces films une fonction à leur propos, les deux réalisateurs italiens refusant, eux, la vision carte postale des villes qui participent à la consistance de leurs films respectifs. Pour Wenders, les deux villes de son film sont plutôt symboliques, participant activement à la quête existentielle de son personnage qui, pour avoir la certitude de n’avoir pas tout perdu, doit accomplir un dernier acte.

Mann/Visconti dans « Mort à Venise »

Pour peu qu’on ait lu les précédents ouvrages de Jean Claude de L’Estrac, ou peut penser que l’attrait de ce premier roman réside dans son refus d’enjoliver les situations et de toute coquetterie et orientalisme de complaisance. En Inde, son héros se retrouve plus qu’il ne se perd, au contraire du tragique qui caractérise le propos de Mann/Visconti dans « Mort à Venise », où un musicien maladif et raté vit ses derniers jours dans l’admiration de la vie (sous les traits d’un adolescent) et dans une ville « mouroir » en épidémie de choléra. 

En excluant les fameuses ‘mythologies urbaines’ de son propos et en réussissant à mêler certains aspects empruntés au genre carnets de voyage à son propre vécu, Jean Claude de L’Estrac offre à lire un premier roman qui confirme une pensée féconde et plurielle."

Pour donner de l’épaisseur et une certaine cohérence à son personnage, Jean Claude de L’Estrac a eu l’excellente idée de le gratifier de dons de parfumeur – inspiré par sa lecture du livre « Les routes de mes parfums » de Jean-Paul Guerlain. C’est ainsi que Michael appréhendera l’Inde de Madurai ou d’Udaipur, ces régions très contrastées de la Grande péninsule, tant le sud se caractérise par ses temples majestueux alors que la ville d’Udaipur renvoie l’image ‘clichetesque’ des palais éternels des maharadjahs. C’est dans ces villes et au Tibet que Michael cherche à vaincre ses démons afin de se reconstruire. Avec ses interrogations et incertitudes, son vécu, ces régions lui imposent des remises en question. A-t-il réussi sa vie ? Quel sens donne-t-il au mot « réussite » dans cet Orient où bien des décennies avant lui, des jeunes bourgeois européens en rupture de culture et emportés par les effluves de chanvre et de patchouli, étaient venus à Bénarès (comme Éric Vincent) chercher l’amour et la paix ? 

Vases communicants

Comme l’éditeur est aussi sensible à l’Inde de Gandhi et de Mère Teresa, on peut penser que les vases communicants ont fonctionné un tant soit peu entre lui et l’auteur et on peut légitimement s’interroger sur ce que recèle l’Inde comme matériaux culturels sur les individus souhaitant se refonder. Car ce n’est ni à Londres, Copenhague ou Kuala Lumpur qu’on peut trouver des réponses à certaines interrogations existentialistes. Et il ne faut pas non plus confondre l’Inde du cinéma de Mumbai avec celle des petits villages de Goa ou de Mumbai, faits de choses simples – mais jamais exclure les technologies nouvelles ! – qui réconcilient les individus avec les essentialités de son existence. C’est aussi dans une telle dimension que se nourrit le romancier, sans jamais céder à la tentation d’un exotisme latent véhiculé par les cartes postales et que dénonçait le théoricien littéraire Edward Saïd dans son célèbre ouvrage « L’Orientalisme : L’Orient créé par L’Occident ». En excluant les fameuses ‘mythologies urbaines’ de son propos, et en réussissant à mêler certains aspects empruntés au genre carnets de voyage à son propre vécu, Jean Claude de L’Estrac offre à lire un premier roman qui confirme une pensée féconde et plurielle qui, à l’image de son héros (son double, même en renonçant au ‘je’ narratif ?), poursuit une forme de mue et de démultiplication dans le temps (en se replongeant dans l’histoire de Maurice) et l’espace (l’Inde), et surtout une introspection que ne renierait pas Lacan. 
 

 

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