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Vieilles ferrailles : la ruée vers l’or

On dit qu’il y a de l’argent dans nos poubelles. Qu’en est-il de la vieille ferraille ? Une bataille légale s’est engagée entre les exportateurs, Samlo-Koyenco et l’État. La raison : l’exportation de cette matière a été bannie début 2016. Les juges se pencheront, les 10 et 13 juillet prochain, sur ce bras de fer.

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La décision du ministère du Commerce de bannir l’exportation de la vieille ferraille a déclenché un tollé parmi la douzaine d’opérateurs que compte ce secteur d’activité. Ils y voient une façon déguisée de protéger l’unique fonderie du pays, celle appartenant à Samlo-Koyenco, dont l’un des directeurs est Mahen Gowressoo, ancien ministre travailliste, passé depuis dans les rangs du Mouvement socialiste militant (MSM).

La première contestation est venue de la Scrap Merchants Association. Elle a déposé une demande d’injonction afin d’obtenir l’autorisation de contester la mesure gouvernementale par le biais d’une révision judiciaire déjà déposée en cour. Entre-temps, Washin Jeeawoody, président de l’association, ainsi que sept de ses membres souhaitent que la cour leur permette d’opérer jusqu’à ce qu’un arrêt ne soit rendu concernant le ban définitif ou non de l’exportation de la vieille ferraille.

La deuxième affaire devant les instances judiciaires concerne une demande de judicial review. En dernier lieu, Washin Jeeawoody se tient en tant que intervening party pour soutenir une décision de la Competition Commission dans ce litige. L’organisme, après enquête, demande au gouvernement de lever la décision de bannir l’exportation de la vieille ferraille. Ce que contestent les parties adverses, soit Samlo-Koyenco et le ministère du Commerce. La Scrap Merchants Association est représentée par les avocats Shakeel Mohamed et Rama Valayden, ainsi que par l’avoué Kaviraj Bokhoree.

Perquisition au port

La décision du ministère du Commerce est intervenue après  une série de vols de câbles de Mauritius Telecom et du Central Electricity Board (CEB). Lors d’une perquisition au port, un conteneur rempli de cuivre avait été découvert. Alors que, selon les documents d’enregistrement, il devait transporter du bronze.

À la suite de l’interdiction, les collecteurs de vieille ferraille doivent désormais se tourner vers une unique entreprise pour la revente, soit Samlo-Koyenco. Celle-ci fond cette matière, la transformant en barres de fer de construction pour le marché local.

Selon Washin Jeeawoody, cela a donné lieu à une situation de monopole. D’ou la décision de l’association de saisir la Competition Commission (Voir, en encadré, la conclusion du rapport en date du 21 décembre 2016).

Ce business de ramassage de vieille ferraille ne date pas d’hier. Ainsi, parmi les exportateurs, nombreux ont pris la relève de leurs grands-parents. « Dans la famille, on est exportateurs de vieilles ferrailles depuis une quarantaine d’années. Nous gagnons notre vie honnêtement et générons des emplois indirects à travers les collecteurs. Or, depuis que le gouvernement a banni l’exportation, tout ce beau monde est au chômage. D’où notre appel pour que l’on nous permette de travailler jusqu’à ce que la Cour suprême ne tranche », dit Washin Jeeawoody.

Ses camarades de l’association et lui sont d’avis qu’ils subissent  une injustice. « Nous nous en remettrons, toutefois, à la décision des juges de la Cour suprême », avance-t-il.

« Il faut juste investir »

Mahen Gowressoo s’en défend : « L’exportation de la vieille ferraille encourageait les vols. Si Samlo-Koyenco agit en monopole, personne n’empêche d’autres entreprises d’ouvrir une fonderie. Il faut juste investir quelques dizaines de millions de roupies. Samlo-Koyenco produit des fers de différentes dimensions destinés au marché local. Qui dit mieux ? »

Toujours est-il que la Cour suprême sera appelée à se pencher sur ce litige concernant un business qui brasse des dizaines de millions de roupies annuellement.

Mahen Gowressoo : de petit grossiste à businessman averti

On pourrait appeler cela une Success Story. Tout commence pour Mahen Gowressoo quand il prend de l’emploi, à la fédération des coopératives, comme Sales Clerk. Puis, voyant que c’était un commerce lucratif, il se lance dans l’importation de marchandises de première nécessité. « J’avais seulement Rs 5 000 dans les poches. J’ai dû emprunter auprès de mon beau-frère pour démarrer. » Au lieu que les boutiquiers viennent s’approvisionner dans son store à la rue La Reine, Port-Louis, il fait l’acquisition de deux vans et fait le tour de l’île pour la livraison.

Bien vite, les affaires marchent et il se retrouve avec une flotte d’une douzaine de camionnettes. « Je faisais un chiffre d’affaires de Rs 100 000 par jour, mais un beau jour, il y a eu une inondation qui a détruit tout mon stock. Je devais Rs 8 millions à mon fournisseur à Singapour, sans compter mes dettes envers les banques locales », dit l’ancien ministre.
C’est justement ce malheur qui lui ouvrira les portes du bonheur. Le Singapourien l’invite dans son pays et, là, Mahen Gowressoo découvre le recyclage de la vieille ferraille. Cela lui donne une idée.

Ainsi, il entre en affaires avec celui avec lequel il a une ardoise de Rs 8 millions : « À cette époque, la tonne de vieille ferraille se vendait à 60 dollars singapouriens et mon partenaire m’en offrait 100 dollars. J’ai commencé à exporter jusqu’à 60 conteneurs, soit 1 200 tonnes. J’achetais la ferraille à Rs 300 la tonne auprès des collecteurs locaux. Ces derniers gagnaient au change, malgré tout. »

Toutefois, le conte de fées avec son partenaire prend subitement fin. Mahen Gowressoo se tourne alors vers d’autres marchés, dont Madras, en Inde. « Là-bas, Ennore Steel Co. Ltd m’offrait 150 dollars la tonne », se souvient-il.

À la demande de la firme Koyenco, une fonderie est installée à Maurice, dans l’ancienne usine de thé Dubreuil, à La Pipe, au coût de Rs 100 millions. On est en 2000 et Mahen Gowressoo hypothèque sa maison et les biens de ses parents pour commencer son business. La fonderie entre en opération en 2003. Elle fournit des barres de fer de 8 à 25 millimètres de diamètre.

Selon lui, Samlo-Koyenco n’a pas suffisamment de vieilles ferrailles pour satisfaire la demande locale : « Nous sommes obligés d’importer des Seychelles et de La Réunion. Quant à la main-d’œuvre, on doit la chercher à la loupe à Maurice. Ce qui nous force à en importer du Bangladesh. » À ce jour, le personnel de entreprise est composé de 150 étrangers et de 200 Mauriciens, cadres administratifs compris. Les profits nets de Samlo-Koyenco constitueraient des dizaines de millions de roupies annuellement.

Qui a dit qu’on ne peut extraire de l’or de la vieillerie ? Les exportateurs ont fait de leur business un Far West à la mauricienne. Une bonne pioche et les pépites scintillent comme les étoiles dans la nuit.

La Competition Commission parle de monopole

Les conclusions du rapport de la Competition Commission sur la décision du ministère du Commerce et de l’Industrie de bannir l’exportation de la vieille ferraille sont sans équivoque. Dans ce rapport de sept pages, l’ex-chef juge Ariranga Pillay – assisté d’Alberto Mariette et de Mariam Rajabally – dit s’être penché sur les recommandations du Commissaire de la commission pour arriver à une conclusion. Il fait une série de propositions au ministère concerné.

Quelques extraits du rapport en date du 21 décembre 2016 : « L’interdiction donne un avantage certain à Samlo-Koyenco, qui détient la seule fonderie du pays, sans savoir si cette entreprise pourra absorber toute la vieille ferraillerie ; aucun garde-fou n’a été mis en place pour éviter tout abus de la part de Samlo-Koyenco de dicter sa loi quant au quantum et aux conditions dans lesquelles les vieilles ferrailles sont achetées par cette compagnie. Cette interdiction limitera l’expansion de cette activité dans le pays. »

D’autre part, la commission reprend l’un des points des contestataires, à l’effet que Samlo-Koyenco a fait comprendre qu’elle peut absorber annuellement quelque 60 000 tonnes de scrap metal, alors qu’en réalité ce chiffre oscillerait entre 12 000 et 15 000 tonnes par an.

La commission reprend un autre argument des contestataires, selon lequel Samlo-Koyenco se retrouve en situation de monopole, poussant à la fermeture des petites entreprises exportatrices. L’ex-chef juge et ses deux assesseurs arrivent à la conclusion suivante :  « Pour les raisons mentionnées, l’interdiction d’exporter de la vieille ferraille n’encourage pas la compétition, mais empêchera le développement de ce secteur. Samlo-Koyenco demeure en position de monopole, du fait qu’elle est l’unique fonderie du pays et pourrait contrôler le flux du marché et aussi les prix pratiqués. »

Et pour finir : « (…) the ban, as recommended by the Executive Director (of CCM), should be lifted and the market be left to operate according to the market and competitive forces of demand and supply. »

L’affaire sera entendue le 13 juillet prochain en Cour suprême.

Raphaël, l’aspirateur rodriguais

Il a un pied à Maurice et l’autre solidement ancré dans son île natale, Rodrigues. La cinquantaine à peine entamée, Alain Raphaël, marié et père de deux enfants, dont l’aînée étudie en France et l’autre est en Lower VI, est de ceux à qui la vie sourit. Depuis plus d’une quinzaine d’années, il s’est jeté corps et âme dans la collection de la vieille ferraille. « À Rodrigues, je peux dire que récupérer de la vieille ferraille ne relève pas de l’exploit, car ce matériau traîne la rue et je n’ai qu’à récolter et le mettre dans un conteneur vers Maurice », dit-il.

En moyenne, Alain Raphaël envoie deux conteneurs par mois vers Maurice, soit deux fois 20 tonnes. Il les vend à Rs 5 000 la tonne. «Le coût du fret est assez élevé. Il avoisine Rs 25 000 par conteneur, mais je gagne ma vie aisément », dit ce quinquagénaire rencontré dans le yard de Samlo-Koyenco, jeudi.

On le surnomme Alain l’aspirateur, car il ramasse toute la vieille ferraille qui lui passe sous la main. Il ajoute qu’indirectement, il aide à nettoyer son île de déchets lourds et souvent indésirables. « Moi, j’en fais mon gagne-pain. Ne dit-on pas qu’il faut un peu de fer dans son corps pour le garder en forme ? » lâche-t-il, pince sans rire.

Tout ce qui fait ting, tang ou tong rapporte

Y a-t-il de l’argent à se faire en exportant de la vieille ferraille ? « Tout ce qui fait ting, tong ou tang et qui est de la ferraille rapporte de gros sous », explique Washin Jeeawoody, de la Scrap Merchants Association.

Un petit coup d’œil sur les chiffres : un conteneur peut accommoder jusqu’a 20 tonnes de vieilles ferrailles (bronze, fer et aluminium, entre autres). À raison de Rs 6 800 la tonne hors-frais, cela rapporte jusqu’à Rs 136 000 l’unité, dépendant du cours sur le marché mondial. Si l’on compte les frais, cela revient à Rs 160 000 par conteneur.

À Maurice, les frais négociés par conteneur s’élèvent à 425 dollars pour l’exportation et les frais locaux au port à 285 dollars par conteneur.

Selon les chiffres émanant des opérateurs, ceux-ci exportent trois à quatre conteneurs par mois. Ce qui leur rapporte un bénéfice net de quelque Rs 200 000 mensuellement. On parle d’un chiffre d’affaires de plus de Rs 50 millions par an, frais compris.

 

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