Société

Vies professionnelle et personnelle: ces enfants qui paient les pots cassés

Avec les exigences du monde professionnel, de nombreux parents sont contraints de mettre leurs responsabilités familiales de côté. Résultat:  les enfants sont souvent laissés à l’écart. Nous sommes chez Malini D., âgée de 30 ans. Cette mère de deux enfants en bas âge vient de rentrer du bureau. Les yeux cernés et les cheveux en bataille, elle nous accueille dans une pièce mal rangée. Son mari tente de calmer leur petite fille âgée de deux ans. Elle parle à voix basse, car son petit de huit mois vient de s’endormir. Haut cadre dans une entreprise privée, elle rentre du travail à 20 heures tous les soirs et repart avec son ordinateur portable sous les bras très tôt le matin. Malini D. affirme qu’elle doit attendre dimanche pour pouvoir consacrer un peu de temps à sa famille. Entre culpabilité et conscience professionnelle, elle confie qu’elle a l’impression de ne plus avoir le temps pour personne. « Passer des moments privilégiés semble être une aubaine. J’ai des dossiers à compléter à la maison. Quand on n’a pas d’enfants, les choses sont plus simples. Je suis contrainte de vivre à un rythme effréné. Nous avons contracté deux emprunts à la banque. Mon mari fait de son mieux pour m’épauler, mais il a lui aussi des horaires chargés », relate-t-elle. Malini D. avance qu’elle vit machinalement. Le matin, elle prépare les enfants pour les envoyer à la crèche. « Une fois, je suis rentrée et j’ai vu ma fille avec une pomme. Mon mari était pris au travail et le goûter des enfants n’était pas prêt. J’ai pleuré ce jour-là et je me suis sentie si impuissante. Mon enfant a besoin de moi et je dois constamment faire mes preuves pour garder mon emploi. » « Mes beaux-parents estiment que je dois assumer toutes mes responsabilités de mère seule. Ils ne nous soutiennent pas. Au travail, mon superviseur demande plus de rigueur. Le monde professionnel est de plus en plus exigeant », lance cette dernière.

Développement de l’enfant

La présence des parents est indispensable au bon développement des enfants. Ils doivent combler les besoins affectifs de leurs enfants. Or, certains n’ont pas la chance de le faire. Tel est le cas de Kelvin âgé de neuf ans. Il y a trois ans, il a perdu sa mère et il vit avec ses grands-parents. Son père est en pleine mutation professionnelle. D’ailleurs, on constate une atmosphère pesante dès notre arrivée chez les grands-parents de Kelvin. Isabelle, 32 ans, est la tante de Kelvin. Chargée de communication dans une firme, elle s’occupe de sa scolarité et endosse les responsabilités de ses parents. « Mes parents sont âgés et ont des problèmes de santé, mais ils font de leur mieux pour veiller sur lui. Je dois souvent faire des heures supplémentaires, car mon travail est très contraignant. » « Mon neveu se retrouve souvent seul quand mes parents et moi sommes absents. Il fait comme bon lui semble quand il n’est pas sous notre supervision. Il m’arrive de corriger ses devoirs au téléphone, quand je termine tard. Je dois l’appeler à plusieurs reprises pour avoir l’esprit tranquille », dit-elle. Isabelle souligne que Kelvin exige souvent que son père vienne le voir. Ils font de leur mieux pour combler son absence. « Le fait qu’on doit tout le temps nous arranger pour être à la maison est souvent un problème. Quelques fois, nous n’avons d’autre choix que demander à un proche de nous aider. « Certains reprochent à ma mère d’en faire trop. Mon neveu écoute les adultes parler de lui. Je me demande ce qui se passe dans sa tête, quand il entend ce qui se dit. » « Mon travail est tel que je suis rarement à la maison. J’ai des engagements familiaux et je suis obligée de m’adapter à ce rythme de travail. Il est malheureux que ce soit l’enfant qui doit souffrir en silence », dit-elle.

Impact sur la scolarité

Pour sa part, Raj, père de trois enfants, travaille selon un « Shift System ». Il voit ses enfants les samedis et pour lui, il n’y a pas de solution, car la nature de son travail est telle qu’il doit être constamment au bureau. Le monde professionnel est très exigeant et l’oblige à sacrifier sa vie familiale. « Nous mettons tous l’accent sur l’encadrement familial, mais nous nous retrouvons dans un cercle vicieux. Même si nous le voulons, nous ne pouvons pas faire autrement. Le coût de la vie est en hausse. Ma femme et moi devons nous plier en quatre pour joindre les deux bouts. “Je suis responsable du département informatique dans la société où je travaille. Je travaille plus de 12 heures par jour. Je suis tout le temps exténué. Je ne peux être avec eux pendant qu’ils font leurs devoirs. Je ne les vois jamais pendant la semaine. D’année en année, leur performance scolaire est en baisse », témoigne-t-il. Raj soutient que son supérieur lui a bien fait comprendre qu’il ne doit en aucun cas laisser sa vie personnelle entraver son parcours professionnel. « Je rate souvent des dîners de famille. Si ma femme doit faire des heures supplémentaires, on doit demander aux parents de nous dépanner. Ces derniers étant très âgés sont parfois réticents, car ils ne peuvent plus s’occuper des enfants en bas âge. Nous sommes dans une impasse quand il s’agit de concilier nos vies professionnelle et familiale’, fait-il ressortir.
 

Pradeep Dursun: « Rien n’est imposé aux employés »

L’employeur prend-il en considération les obligations familiales d’un employé ou se contente-t-il de sa performance au travail ? Le directeur par intérim de la Mauritius Employers » Federation (MEF), Pradeep Dursun, fait ressortir que l’encadrement familial est pris en compte par les entreprises à Maurice. Par ailleurs, il précise que même si aucune loi ne stipule que les employeurs doivent prendre en considération la vie familiale dans la prise de décision, cela se fait en interne.  ‘L’idée que l’employeur ne se soucie pas que de son chiffre d’affaires est erronée.
Que ce soit pour la répartition des tâches et les ‘deadlines’, l’employé peut toujours négocier avec son supérieur. Ce dernier peut décider de la charge de travail en faisant preuve de bon sens. Il est à préciser que rien n’est imposé sur les employés. Tout peut être négocié entre la direction et l’employé’, dit-il.  Par ailleurs, Pradeep Dursun avance que plusieurs facilités ont été mises à la disposition des employés pour les motiver ainsi que les assurer que leur entourage est aussi pris en charge. ‘Nous avons le ‘Family Friendly Policy’ ainsi que le ‘Welfare Policy’ pour les enfants des employés.
[row custom_class=""][/row] Il y a aussi des compagnies qui offrent des politiques d’assurance pour la famille des employés. » La MEF Provident Association a plus de 24 000 personnes à charge. De plus, le flexi-time est avantageux pour les parents qui peuvent s’organiser par rapport à leurs obligations. D’ailleurs, le nombre d’employés qui opèrent dans le secteur privé démontre que ces derniers ont su concilier leur vie professionnelle et personnelle’, estime-t-il.
 

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Anjali Bungaleea abonde dans le même sens. Elle souligne qu’il est parfois difficile pour les parents d’équilibrer leur vie familiale et professionnelle. « L’absence parentale est souvent mal vécue, ce qui cause des troubles de personnalité chez l’enfant qui grandit ». Pour y remédier, elle est d’avis qu’il faut que les parents doivent redéfinir leurs priorités. « C’est un fait que de nombreux parents doivent travailler dur pour subvenir aux besoins de leurs familles. Ils doivent faire un planning, afin de bien gérer leurs temps. Quand le parent est pris au travail, il doit laisser l’enfant dans un cadre qui lui est familier. Mail il faut aussi se connecter avec l’enfant via la tendresse tous les jours, avant de partir et en rentrant à la maison », précise-t-elle. Elle affirme que les parents doivent valoriser les résultats de l’enfant à l’école, et l’encourager suffisamment à progresser sans pression inutile. « Les parents ne doivent pas se limiter au progrès scolaire de l’enfant, mais ils doivent surveiller ses fréquentations tout en gardant une certaine distance. Ils doivent être à l’écoute pour comprendre l’enfant, car cela est important pour une relation parent-enfant harmonieuse. Il faut laisser la porte ouverte au dialogue tout en expliquant pourquoi on doit le laisser seul ou chez un proche », explique-t-elle.    
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La psychologue nous explique que souvent l’enfant a le sentiment d’être de trop quand les parents sont occupés au travail. L’enfant se sent perdu et passe son temps à faire le va-et-vient chez les grands-parents ou les proches. «Se sentir comme un fardeau peut affecter l’enfant psychologiquement. Il peut alors développer un manque de confiance en lui en grandissant. L’enfant peut exprimer sa frustration et sa tristesse en étant turbulent ou en se renfermant. Ainsi, en grandissant il aura tendance à accepter un manque considération à son égard, sans jamais attendre plus » dit-elle. Par ailleurs, notre interlocutrice avance que l’enfant aura certainement des problèmes de discipline. « Le fait d’être sous la responsabilité de plusieurs personnes avec différentes règles imposées, l’enfant profite de la situation. Les grands-parents ont tendance à dorloter les enfants alors que les parents tendent à fixer des lois.» De ce fait, les parents qui travaillent beaucoup veulent compenser pour les moments loin de l’enfant en lui achetant plein de cadeaux. Or, il est à noter que la présence des parents est essentielle pour l’épanouissement de l’enfant. L’enfant a besoin de se sentir entouré et aimé constamment », précise-t-elle. En revanche, le rythme du travail soutenu a un impact aussi sur les parents. Ces derniers  se culpabilisent quand ils doivent négliger leur famille. Mushiirah Khodabux avance que cela peut avoir des répercussions sur leur travail ainsi que le plan relationnel. « Comme les parents n’ont d’autre choix n’a que de travailler, cela peut enclencher un sentiment négatif en eux-mêmes. Un parent peut se détester, vu qu’il ne peut pas consacrer son temps aux personnes qu’il aime. Des fois, le parent se sent tellement frustré que cela peut avoir un impact sur sa relation avec ses collègues et son entourage », dit-elle.
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