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Vijay Makhan : «Qui dit conflit répandu, dit pénurie et incidence haussière sur le coût du baril»

Douze jours après l’attaque surprise du mouvement Hamas baptisée « Déluge d’Al-Aqsa » sur le territoire israélien, le monde craint un embrasement à Gaza et un drame humain sans précédent. Comment en est-on là et où se situent les responsabilités ? Vijay Makhan, ex-secrétaire aux Affaires étrangères, explique : « Ceux qui suivent la situation en Palestine savent très bien que les libertés dont jouissent les citoyens israéliens ne sont pas étendues aux Palestiniens surtout dans les territoires occupés. On parle même d’apartheid. »

Quelle lecture faites-vous de l’attaque qualifiée de terroriste par l’organisation Hamas en Israël ?
Je constate que personne, directement concernée par la situation dans cette partie du monde en conflit depuis des décennies, ne s’attendait à une manœuvre aussi osée de la part des combattants du Hamas. Malgré le blocus complet de la bande de Gaza par Israël, ils ont effectué une attaque surprise d’envergure sur plusieurs fronts, prenant au dépourvu les autorités israéliennes qui se targuent d’avoir des services de renseignement, d’espionnage et de contre-espionnage, des plus sophistiqués du monde. Du coup, le désarroi constaté dans le camp israélien est à tel escient que son Premier ministre Netanyahu s’est vite évertué à appeler à la formation d’un gouvernement d’urgence nationale pour faire face à cet événement militaire qui, une fois de plus et regrettablement, fait des victimes parmi les innocents, sans distinction, des deux côtés. 

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Deuxième constat : le Premier ministre israélien semble avoir perdu de sa superbe, c’est-à-dire son arrogance connue de tous. Ses critiques à l’interne commencent même à évoquer la fin de l’ère Netanyahu.
Troisième constat : l’hypocrisie affichée par l’Ouest. Bon, on le savait déjà, la posture de « double standards » de certains de ces défenseurs auto-proclamés de la démocratie, de la bonne gouvernance, du respect des droits humains et de l’État de droit, inclut le droit international. On n’a qu’à voir la file d’arrivée des responsables de ces pays et de leurs organisations à Tel Aviv pour y déclarer leur solidarité. Mais quand l’inverse se produit, où les Palestiniens sont les victimes, il n’y a que des appels au calme, à se restreindre. Et les colonies sur terre palestinienne ont pullulé de plus belle impunément...

À l’île Maurice, l’organisation Lalit et d’autres associations pro-palestiniennes font valoir qu’il existe une discrimination raciale exercée par l’État hébreu à l’égard des Palestiniens. Est-ce véritablement le cas ?
Écoutez, ceux qui suivent la situation en Palestine savent très bien que les libertés dont jouissent les citoyens israéliens ne sont pas étendues aux Palestiniens, surtout dans les territoires occupés. On parle même d’apartheid. Les tracasseries et harcèlements que doivent subir les Palestiniens quotidiennement sont connus. Ils ne peuvent vaquer à leurs occupations en toute quiétude. Ils sont contrôlés régulièrement. C’est une population assujettie et qui n’est même pas capable de rêver d’un quelconque avenir. Oui, la discrimination est bien présente.

Comment se positionne officiellement l’île Maurice à l’égard de la question palestinienne ?
La cause palestinienne depuis la reconnaissance de l’OLP de feu Yasser Arafat par le gouvernement MMM-PSM en 1982 a toujours joui d’un soutien inconditionnel de la part des autorités mauriciennes, même si l’engagement sur cette question pourrait être qualifié de variable, dépendant de la priorité accordée par les différents gouvernements. Parfois agissant et parfois par formalité, mais, autant que je sache, jamais contre la revendication palestinienne quant à leur droit légitime à un État. 

Pourquoi l’Autorité palestinienne, depuis Yasser Arafat, a-t-elle perdu de son influence auprès d’une grande partie des Palestiniens ?
Yasser Arafat était un leader hors pair, charismatique. Même s’il avait été désigné terroriste par l’occident, il fût récipiendaire, avec Shimon Peres et Yitzhak Rabin d’Israël, du prix Nobel de la Paix en 1994. Après son décès dans des circonstances controversées, l’Autorité palestinienne, mise en place suivant l’accord d’Oslo, passa sous la commande de Mahmoud Abbas. Celui-ci, tout en étant Président de la Palestine, n’a, toutefois, jamais pu égaler l’influence extraordinaire dont jouissait Yasser Arafat, même parmi ses adversaires les plus acharnés. La perte de la bande de Gaza au profit de Hamas en 2007, après des conflits internes âpres, accentua l’affaiblissement de Mahmoud Abbas, quoique, à sa décharge, il est celui qui mena à bon port la reconnaissance, en 2012, par les Nations unies, du statut actuel de la Palestine en tant qu’État non-membre observateur. Le Hamas a un contrôle total sur la bande de Gaza qu’il gouverne depuis 2007, après avoir gagné les élections législatives en 2006. D’ailleurs, dans le présent conflit, on a, à peine, entendu Abbas si ce n’est pour condamner les pertes en vie humaines des deux côtés et réitérer que les Palestiniens ont le droit de se défendre.

Des enfants et des femmes ont été exécutés, parfois décapités et d’autres personnes emmenées en otage. Est-ce la pratique d’une armée régulière ou celle de terroristes ?
Le président américain Joe Biden en a fait état dans une déclaration mais qui a vite été corrigée, pour ne pas dire désavouée, par ses propres services de la Maison Blanche. C’est dire les fake News et les images manipulées qui envahissent les salles de rédaction qui les répercutent sans pouvoir vérifier leur véracité, n’ayant peut-être pas la capacité de s’y prendre. C’est pour cela que les grands titres et les chaînes audio-visuelles disent toujours ne pas être en mesure de confirmer la substance de telles nouvelles. Quant à la prise d’otages des civils, c’est un acte répréhensible et constitue un crime tout comme le bombardement des installations civiles telles les écoles, maisons, hôpitaux etc.   

L’ombre de l’Iran plane sur cette action terroriste. Est-ce qu’il y a une stratégie de la part de ce pays de ravir à l’Arabie saoudite l’hégémonie dans cette partie du monde ?
L’Iran occupe une place majeure dans la géopolitique de cette région et depuis la destitution du régime impérial, ce pays n’a pas caché son antagonisme envers Israël et son soutien à la cause palestinienne surtout au Hamas. Mais il a vite déclaré qu’il n’y est pour rien dans l’offensive déclenchée par le Hamas depuis le 7 octobre, tout en se rangeant dans le camp de ce dernier. D’autre part, l’Arabie saoudite et l’Iran ont enterré la hache de guerre suite à la médiation de la Chine. Les deux pays ont récemment été invités à rejoindre les BRICS. Les leaders des deux pays ont aussi échangé depuis l’éclatement de l’offensive menée par Hamas. On ne connaît pas la teneur de leur échange mais je ne serais pas surpris ou étonné de voir un refroidissement ou, du moins, une stagnation des liens récemment établis entre Israël et l’Arabie saoudite. 

Peut-on penser que le réchauffement des relations entre Israël et l’Arabie saoudite soit aussi un facteur qui aura déclenché cet assaut, les Palestiniens radicalisés du Hamas mettant ainsi la pression sur le royaume saoudien contre toute tentative de normaliser ses relations entre Israël et l’ensemble du monde arabo-musulman ? 
On pourrait spéculer dans cette direction mais cette offensive du Hamas, je m’aventure à dire, serait plutôt le résultat de l’action que la cause. Je pense aussi que cette action n’a pu être conçue à la dernière minute. Les actions menées par les combattants du Hamas ont dû être stratégiquement réfléchies et minutieusement organisées par les dirigeants depuis quelque temps. C’est pour cela que j’ai dit, au tout début de notre entretien, que c’est vraiment surprenant que l’intelligence israélienne, aussi bien que ceux qui sont à l’écoute des tractations et autres mouvements dans la bande, n’ont rien vu venir. Gageons aussi que cette nouvelle donne va, nul doute, inciter les autres acteurs de la région qui recomposaient leur stratégie géopolitique, au vu de l’évolution dynamique de la situation ces temps derniers, à revoir leur copie.

Le Hamas, qui est une émanation des Frères Musulmans, avant de prêter allégeance aux Iraniens, a juré de détruire l’État d’Israël. À ce compte-là, y a-t-il espoir de voir naître un État palestinien à côté d’Israël ?
L’espoir de voir émerger un État palestinien à côté d’Israël devrait avoir comme prémisse le bon vouloir politique et une reconnaissance mutuelle de l’existence de l’autre. La solution militaire ne saurait être privilégiée car le résultat en serait une imposée par la force. Et cela laissera des séquelles pour des générations à venir, avec des conséquences violentes. Or depuis 1988, l’OLP, qui était reconnue comme le seul représentant de la Palestine, avait déjà accepté l’existence d’Israël. L’histoire sûrement reconnaîtra que la posture ultra-conservatrice de Netanyahu a fait capoter les accords d’Oslo qui, pourtant, jetaient comme base l’existence de deux États, l’un à côté de l’autre sur le même territoire. Israël, soutenu inconditionnellement par l’Occident, n’a pas joué le jeu. Pourtant, si vous analysez les interminables résolutions onusiennes, vous constaterez que la communauté internationale est très favorable à cette politique de deux États. Et maintenant, ils veulent faire vivre toute une section de la population palestinienne dans un mouchoir dont les quatre coins sont contrôlés par Israël. Comment peut-on accepter ce diktat ?

En Israël, la presse accuse le PM Benjamin Netanyahu d’avoir échoué à sécuriser Israël. On parle même d’« humiliation » du fait que ce pays possède les instruments les plus sophistiqués et les services de renseignement les plus efficaces au monde ?
Comme je l’ai dit plus tôt, cet épisode sera perçu comme une défaillance, sinon une faillite totale, des services de renseignement israéliens qui, comme vous le dites, possèdent les instruments les plus sophistiqués du monde des services secrets. Et qui plus est, ces services bénéficient de la coopération des agences d’intelligence et de sécurité des alliés qui sont les États-Unis, la Grande Bretagne, La France et autres…

Certains ont pu voir en ce conflit l’expression d’une lutte de culture/religion, entre la politique des ultras en Israël de bâtir le « Grand Israël » selon le rêve sioniste et le Hamas qui souhaite que la Palestine soit une terre arabo-musulmane...
C’est prendre une vue myope de la question. Mais vous avez raison, ces deux tendances qui ne reflètent pas le vouloir de la majorité de ces deux peuples qui ne demandent qu’à pouvoir vivre leur vie en paix et en toute tranquillité, existent bien, malheureusement. Vous n’êtes pas sans savoir que Jérusalem abrite les trois tendances religieuses : juive, musulmane, et chrétienne, mais pas que. Il y a aussi le Baha’i et le Druze, entre autres. D’ailleurs, les Palestiniens ne sont pas tous musulmans. D’autre part, il ne faut pas non plus occulter le fait que dans une telle situation de conflit perpétuel, c’est l’industrie de la guerre qui se frotte les mains, car les usines à armes tournent au maximum. 

Ce conflit est-il bien connu à l’île Maurice et comment les Mauriciens pourraient-ils se positionner entre Israël et la Palestine ?
Je pense sincèrement que ce problème israélo-palestinien est méconnu de la majorité des Mauriciens qui n’en ont fait qu’un conflit entre musulmans et juifs. Or, ces hostilités dépassent le cadre religieux et, dans l’ère moderne, sont le résultat de l’action de ceux qui se prenaient pour les seigneurs du monde, imposant leur diktat sur ceux dont ils avaient les terres et, pour les besoins de leurs intérêts propres, les distribuaient comme bon leur semblait. Un coup d’œil sur l’histoire contemporaine, et même avant, vous apprendra ce qu’ont fait les Américains, les Australiens, les Canadiens, les Français, les Portugais, les Espagnols, etc. avec les autochtones des pays qu’ils ont investis. L’histoire de l’Arabe et de son chameau, pris dans une tempête de sable, quoi ! Rappelons que notre propre territoire a été démembré en violation du droit international avant notre indépendance. 

On devrait faire revivre des sujets tels que l’histoire et la géographie dans notre programme scolaire, non pas à travers des livres écrits par ceux qui ont colonisé, mais par des historiens indépendants qui ne racontent pas pour leurs commanditaires. 

Certaines voix en Israël comparent cet acte à la guerre du Kippour et exigent d’en finir une fois pour toute avec le Hamas. Sommes-nous partis pour un long conflit armé au Moyen-Orient et quelles pourraient être ses conséquences sur le coût du baril ?
Déjà, c’est un conflit qui dure depuis le siècle dernier, si l’on ne prend que l’histoire contemporaine comme point de départ. Comme j’ai eu à le dire plus tôt, sans le bon vouloir de tous, au fait, de la communauté internationale dans son ensemble, ce conflit perdurera et risque d’embraser toute la région. Et bien sûr, qui dit conflit répandu, dit pénurie et incidence haussière sur le coût du baril, sans oublier le fret.

Comment analysez-vous l’état du monde en ce 21e siècle avec une guerre qui n’en finit plus en Ukraine, un autre conflit en Arménie et voilà un troisième au Proche-Orient. Pourquoi des armées / populations se battent-elles alors qu’il n’y a pas de véritables enjeux économiques et que l’ONU ne réussit pas à faire parler les négociations ?
Ces conflits que vous mentionnez sont ceux qui nous sont répercutés par les médias occidentaux et sur lesquels nous nous branchons quotidiennement. Mais il y en a d’autres qui passent sans référence car les intérêts de ceux qui se positionnent comme les gardiens du monde ne sont pas entamés. L’ONU, d’autre part, est devenue caduque ou presque. Une révision complète de cette organisation, comme le réclament les États du Sud global, est primordiale si l’on veut qu’elle soit toujours crédible, car les données ont changé depuis sa création en 1945. L’organisation râle et, en matière de sécurité, n’est utilisée que pour sanctionner les actions des puissants, comme on en a vu dans un passé récent, lors de l’invasion et la destruction de certains États considérés comme belligérants ou non-conformes.

La question palestinienne et israélienne provoque souvent des positions clivantes et confuses entre sionisme et antisémitisme. Des analystes spécialistes de la question juive et de la Shoah accusent des politiciens d’extrême-gauche (Jean-Luc Mélenchon du Parti des Insoumis) et de la gauche (Jeremy Corbyn, du Labour Party) de brandir l’antisionisme pour dissimuler leur antisémitisme ? Que vous inspire cela ?
C’est un débat qui fait rage surtout en France et en Angleterre depuis quelque temps. Il y a certains qui se cachent derrière l’antisionisme pour éviter d’être accusés de prôner l’antisémitisme, qui est un délit de haine raciale, anti-Juif quoi. Savez-vous qu’avant la création d’Israël en 1948, plusieurs Juifs s’étaient déclarés antisionistes, craignant, qu’en favorisant la création d’un état juif, d’être perçus comme des non-patriotes envers leurs pays d’accueil ! Je laisse le soin aux experts de démêler cet écheveau linguistique.

Comment souhaiteriez-vous que l’île Maurice se positionne face à la question palestinienne ?
Notre pays devrait continuer à soutenir la voie du dialogue, se ranger du côté de ceux qui militent pour l’instauration d’une paix durable dans la région et œuvrer à la création et la reconnaissance d’un État palestinien existant à côté d’Israël avec un statut spécial pour Jérusalem. Être neutre face à cette question serait faire preuve d’irresponsabilité dans le concert des Nations, car il ne faut pas oublier que nos compatriotes de souche chagossienne sont, non sans raison, qualifiés de Palestiniens de l’océan Indien.

 

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