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Violence contre les travailleuses du sexe : donner du plaisir et ne pas déplaire au péril de sa vie

La drogue et la misère poussent souvent les femmes à ses prostituer.
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Le 17 décembre, le monde commémorera la Journée internationale pour l'élimination des violences faites aux travailleurs du sexe. Souvent, les travailleuses du sexe sont marginalisées et traitées avec mépris. Pire, elles sont maltraitées, battues, violées, voire tuées. 

Le plus vieux métier du monde se fait toujours sans casque ni filet. Aucune protection pour ces femmes qui bravent la nuit, le froid, le danger et les maladies de toutes sortes pour subvenir à leurs besoins. Qu'est-ce qui les pousse à faire ce métier ? Pour certaines, c'est la misère et d'autres parce qu’elles sont prisonnières de la drogue, d’un bourreau (souteneur) et souvent du regard de la société. 

Aussi, ces femmes font ce métier au péril de leur vie et sont souvent la cible des pervers ou (pire) de meurtriers de tout acabit. 

L'histoire de Marie-Ange Milazar avait choqué et ému tout le pays. Dans la soirée du 6 novembre 2009, cette mère de 7 enfants, enceinte de son 8e, est tuée sous un pont à la rue Labourdonnais. Ses meurtriers, trois jeunes, l'ont battue et violée avant de l'éventrer. 

Cette date reste gravée dans la mémoire des travailleuses du sexe qui vivent toujours la peur au ventre. 

La violence de la part des clients est chose courante pour les prostituées. Certaines confient que certains hommes « sont malades ». « Banla pa kapav fer sa lakaz ek zot fam, lerla kan zot pey nou zot krwar ki zot kapav fer tou seki zot le ar nou ». 

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Neha Thakurdas Luximon, coordinatrice à l’Ong Parapli Rouz

Selon Neha Thakurdas Luximon, coordinatrice à l’ONG Parapli Rouz, qui est une plateforme mauricienne pour un développement solidaire, le pays compte officiellement 6 000 travailleuses du sexe. Toutefois, ce nombre, selon cette organisation, tournerait autour de 10 000. 

Chaque année, Parapli Rouz recueille leurs témoignages et, selon Neha Thakurdas Luximon, environ 1 200 d’entre elles viennent se plaindre d’être victimes d’agressions verbales ou physiques chaque année. 

Trafic humain

La prostitution classifiée comme trafic humain est une des caractéristiques de la société mauricienne. Le rapport du Department of States, intitulé : Trafficking in Persons Report  2018 avance des points importants de cette caractéristique de la société. 

Selon ce rapport, en 2018, le gouvernement mauricien a poursuivi deux personnes pour trafic d’enfants pour le sexe. En d’autres mots, la justice les a condamnés sous une accusation de prostitution infantile. Le premier a écopé de six mois de prison en vertu de la Child Protection Act. L’autre a écopé de trois ans de prison sous la loi anti-trafic humain. 

En 2017, les autorités avaient identifié cinq victimes de prostitution et, en 2016, le nombre de victimes était de 11. Les étrangères sont les plus exposées au trafic et à l’exploitation. 287 personnes ont été déportées entre 2017 et 2018, car les services douaniers soupçonnaient qu’elles étaient victimes de trafic humain lié à la prostitution, la majeure partie des victimes sont des Malgaches. 

Toujours est-il que ces femmes, jeunes et moins jeunes, font le trottoir, pas pour le plaisir, mais pour en procurer. Si certaines attendent d’être payées pour services rendus, le temps d’une passe, d’autres s’en sortent avec des coups et blessures, si ce n’est les pieds devant. Les bourreaux, eux, s’en sortent souvent, avec la complicité de leurs souteneurs.


Les types de prostitution dans le pays

  • Le racolage : Les prostituées font le trottoir et touchent entre Rs 500 et Rs 800 par passe.
  • Dans les maisons closes : Le tarif est de Rs 1 000 à Rs 1 500 la passe, car le propriétaire de la maison doit toucher une commission sur la tête de chaque fille qui est sous son toit avec un client. 
  • Escorte : Environ Rs 10 000 la nuit. Il s’agit de personnes qui offrent leurs charmes aux riches clients. La transaction se fait par téléphone ou à travers un agent ou une agence. 
  • La prostitution déguisée : Sortir avec une personne et avoir des relations sexuelles contre des objets de valeur, contre un emploi ou autres présents. 

C’est aussi une forme de prostitution, affirme Shameema Boyroo, chargée de communication de Parapli Rouz.

Par ailleurs, le délit de ‘soliciting or importune another person for immoral purpose’ : 5 cas recensés et 3 cas de prostitution dans des maisons closes depuis le début de l’année.


La force policière : «Le travail du sexe est un mal nécessaire»

La force policière, par le biais des officiers de sa cellule de communication, a été sollicitée. Nos interlocuteurs déplorent la violence infligée aux travailleuses du sexe par leurs clients. « Les travailleuses du sexe rendent un énorme service à la société. Ce travail est, dans un certain sens, un mal nécessaire. Mais, au fil du temps, nous réalisons que les travailleuses du sexe se font agresser physiquement et violemment par leurs clients », fait-on comprendre.

Ces derniers soulignent que les clients qui se permettent d’agresser les travailleuses du sexe après ou pendant l’acte sexuel sont « des personnes qui ont des problèmes psychologiques ». Elles ont, très certainement, été victimes elles-mêmes de sévices à une certaine période de leur vie. « D’où le fait que ces clients-là ont tendance à se montrer violents car ils ont payé pour la passe. En fait, ces gens-là ne sont que des sadiques qui expriment un dégoût pour l’image de la femme », précise-t-on.

Les officiers du Police Press Office (PPO) soulignent également que les actes de violences physiques courants envers les travailleuses du sexe sont, par exemple, le viol, les brûlures avec des mégots de cigarettes ou encore des mutilations à l’arme blanche sur le visage ou sur d’autres parties du corps. 

L’inspecteur Shiva Coothen, le responsable du PPO, déclare qu’une beaucoup de cas d’abus et de violences physiques sont rapportés à la police. Le haut gradé exhorte, d’ailleurs, aux victimes qui se murent dans le silence d’alerter la police afin que les limiers puissent entamer les enquêtes nécessaires. 

Une fois les enquêtes bouclées, précise l’inspecteur Shiva Coothen, les cas seront envoyés en cour afin que l’accusé puisse être jugé.


Vijay Ramanjooloo, psychologue : «Chaque client a son histoire et son développement sexuel»

Le psychologue Vijay Ramanjooloo estime que beaucoup d’études ont été menées sur les prostituées et non sur leurs clients. Il explique que les raisons qui pourraient pousser un client à violenter les travailleuses du sexe sont variées. Le psychologue précise également qu’on doit avant tout s’interroger sur les raisons qui poussent un homme à avoir recours à une travailleuse du sexe.

« Nous nous sommes toujours intéressés par l’offre mais pas à la demande. L’acte sexuel est un moment où on donne libre cours aux fantasmes sans limites. Pour une prostituée, il n’y a aucune limite. Les clients assouvissent leurs pulsions et leurs fantasmes primaires de façon bestiale. L’homme, au plus profond de son être, est bestial. C’est la culture qui nous civilise. Les raisons qui poussent un client à mutiler les prostituées varient d’une personne à une autre », fait ressortir le psychologue. Selon Vijay Ramanjooloo, « chaque client a son histoire et son développement sexuel ». 

Si certains ont été victimes d’abus sexuels, en grandissant, ils deviennent de véritables bourreaux, d’autres estiment qu'une prostituée ne mérite aucun respect vu la nature de son travail. « Un troisième facteur pouvant expliquer les violences physiques envers les prostituées est le fait que les clients ne veulent pas régler le montant des passes. Ce serait d’ailleurs le scénario le plus courant », indique le psychologue.


Me Neill Pillay : «Des citoyens à part entière qui méritent d’être traités comme n’importe quel individu»

neillL’avocat Neill Pillay est d’avis que les travailleuses du sexe sont réticentes à porter plainte au risque de s’exposer elles-mêmes à des délits, étant donné que la prostitution est interdite sur le sol mauricien. Autre facteur qui inciterait les travailleuses du sexe à se murer dans le silence est le fait qu’elles pourraient « ne pas être prises au sérieux » par la police.

« La majorité des travailleuses du sexe, qui sont victimes de violences de la part de leurs clients, ne se tournent pas vers la police, car elles ont honte et la crainte de ne pas être prises au sérieux de par la nature de leur gagne-pain. Or, ces gens-là sont des citoyens à part entière qui méritent d’être traités comme n’importe quel individu », fait ressortir l’avocat Neill Pillay. 

Selon notre interlocuteur, la police a le devoir d’enquêter sur les cas de violences physiques perpétrées sur les travailleuses du sexe.

« Mais le problème demeure que la victime préfère bien souvent se murer dans le silence, car elles risquent de se retrouver dans de beaux draps. En gros, elles s’exposeraient d’être poursuivies pour le délit étant donné que la prostitution est interdite à Maurice. Outre la crainte d’être poursuivies, il y a beaucoup de prostituées qui gardent le silence par faute d’éducation, d’un emploi stable ou encore d’un moyen financier », dit l’homme de loi.


Marie-Ange Milazar Éventrée en novembre 2009 - Kersley, le fils aîné : «Je suis disposé à pardonner»

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Shameema Boyroo, chargée de communication de Parapli Rouz.

Cela fait 10 ans que Marie-Ange Milazar, une prostituée de 44 ans, a été tuée sauvagement par trois individus. La femme, qui était enceinte de 28 semaines, a été agressée dans la nuit du 6 au 7 novembre 2009 par Kinsley Dietmar François, Louis Jonathan Thomas et Ricardo Perrine. 

Le verdict est tombé le 28 mars 2014 : les trois prévenus ont été condamnés à 40 ans de prison chacun. Le Défi Plus est allé à la rencontre de la famille, 10 ans après le drame. Ces derniers sont domiciliés dans la région de Batterie-Cassée, Roche-Bois.

Kersley Milazar, l’aîné des enfants, a 33 ans. Il en avait 23 lorsque sa mère a perdu la vie dans des circonstances affreuses. « De mes six frères et sœurs, (Ndlr : qui sont aujourd’hui âgés entre 14 et 27 ans), je suis le seul à avoir connu ma mère le plus longtemps. Ell  se sacrifiait toujours pour ses progénitures malgré le fait que certains d’entre nous ont grandi séparément. Nous pleurons toujours sa disparition, car elle ne méritait pas de mourir dans de telles circonstances », déclare le fils.

Au fil du temps, poursuit notre interlocuteur, ses frères et sœurs ont grandi. Si certains travaillent (à Maurice et à l’étranger) d’autres ont fondé une famille et ont des enfants, ou encore étudient toujours. 

Kersley Milazar ajoute que leur grand-mère et leur tante sont décédées. « Pour ma part, je suis disposé à pardonner à ceux qui ont tuer ma mère, car ils auraient agi dans un état second et ne se rendaient pas compte de ce qu’ils faisaient à l’époque. D’ailleurs, j’ai eu vent, par le biais de la prison, que l’un d’eux s’est repenti et qu’il regrette amèrement son geste. Mais la justice a tranché et ils doivent payer pour ce qu’ils ont fait », dit-il.

Les gentils hommes sont les plus dangereux 

Pour rappel, l’autopsie a révélé que Marie-Ange Milazar est morte par strangulation. Selon le rapport, la malheureuse a subi des sévices avant de mourir. Elle a été battue et tailladée sur diverses parties du corps à l’aide d’armes tranchantes et de tessons de bouteille. Son dos était couvert d’entailles et portait également des traces de brûlures de cigarette. Elle avait les pieds et les mains ligotés. Elle a également été violée et sodomisée. Son cadavre a été retrouvé dans une bouche d’égout sous le pont du Ruisseau du Pouce, à la rue Labourdonnais avec un gros rocher sur le ventre. En Cour, les trois hommes ont plaidé coupables et ont affirmé avoir agi sous l’influence de l’alcool au moment des faits.

Shameema Boyroo, chargée de communication de Parapli Rouz, nous livre le profil des agresseurs. Ancienne travailleuse du sexe, elle a connu plusieurs clients et c’est facile pour elle d’identifier les clients violents. Elle souligne que le terme violence est large et affirme qu’il y a deux cas de maltraitances : verbales et physiques. Elle partage son expérience avec les plus jeunes.  Les clients violents sont souvent « des gens bien habillés conduisant une belle voiture ».  

Selon les témoignages, c’est ce que les gens appellent les « bon dimounn » avec un certain niveau d’éducation. C’est rare qu’une fille vienne dire qu’un client mal habillé, sale et ressemblant à un voyou l’a violentée. 

Elle ajoute que la perversité prend de l’ampleur : « Une jeune fille est venue nous dire qu’un client avec une bonne position sociale lui aurait dit de l’appeler grand-père et l’homme l’a appelé par un autre prénom, elle se doute qu’il s’agit du nom de sa petite-fille ». Cela a choqué la travailleuse du sexe.  Il y a aussi la violence sur les réseaux sociaux qui gagne du terrain. Les « sex workers » subissent les insultes de la part des internautes à travers des commentaires sur des publications d’articles liés à la prostitution. 


Questions à ... Cindy, travailleuse du sexe depuis 22 ans : «J’ai des amies qui ont disparu»

cindyÀ 37 ans et dans le métier depuis l’âge de 15 ans, elle a été victime d’agressions à plusieurs reprises. Elle raconte ses expériences vécues dans la rue aux mains de clients violents. 

Quelle est votre pire expérience ?
Il y a quelques années, un homme est passé me prendre dans les rues de Port-Louis. Je suis montée, il était gentil. Il m’a emmenée dans un lieu isolé et, là, deux autres hommes l’ont rejoint. J’ai été étranglée et violée par eux et, par peur, je n’ai rien fait je les ai laissé faire. 

Vos amies subissent-elles aussi des violences ?
J’ai des amies qui ont disparu, nous ne les avons jamais revues après qu’elles sont parties avec des clients. Je suis passée par la violence plusieurs fois. Jusqu’à présent, la police n’a pas arrêté les violeurs. J’ai une frayeur en moi chaque jour et je demande à Dieu de m’aider. Je n’ai personne pour me protéger et, depuis mon viol, je ne sors plus en voiture, je sors et paie une chambre pour la passe. 

Les clients violents viennent de quel milieu ?
Les clients les plus violents sont les plus gentils lorsqu’ils négocient. Ils ne veulent pas de rabais et ils proposent parfois plus, mais ce sont les plus dangereux. Ils s’adonnent à toutes sortes de fantaisies, parfois ils me demandent de les battre ou ils nous battent. Une fois, un homme m’a dit de monter dans sa berline, il a roulé à vive allure et s’est arrêté et m’a injuriée, m’a traitée de tous les noms avant de me demander de descendre. Lorsque j’ai réagi, il a foncé sur moi avec sa voiture, j’ai dû me jeter dans une haie pour ne pas me faire écraser. Il a payé rien que pour m’insulter. 

 

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