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Violence et indiscipline: encadrer les ados et non les punir

Véronique Wan Hok Chee
La violence et l’indiscipline parmi les adolescents ont pris une certaine ampleur. Beaucoup de parents et d’enseignants s’en inquiètent. Leur crainte est-elle justifiée ? Les experts estiment que la situation n’est pas aussi alarmante qu’elle en a l’air et prônent le dialogue en guise de solution, au lieu de la punition. L’adolescence est la phase de transition entre l’enfance et l’âge d’adulte. Elle est associée à beaucoup de choses. Pour Proust, c’est « le seul temps où l’on appris quelque chose » pour Proust. Pour George Bernard Shaw, c’est « l’âge où les enfants commencent à répondre eux-mêmes aux questions qu'ils posent ».
En tout cas, c’est une période trouble, rythmée par des crises puisque l’ado est en quête de son identité, mais en même temps veut s’imposer, reconnu et accepté. Tout cela, en ayant à faire face à une pression énorme, de la part des parents, de l’école, de la société… Ce n’est pas pour rien que le cinéaste François Truffaut estimait que « l’adolescence ne laisse un bon souvenir qu’aux adultes ayant mauvaise mémoire ».

Bon à savoir

Des parents qui sentent qu’ils sont dépassés par les événements peuvent solliciter l’aide du ministère de l’Éducation pour un appui psychologique.

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Quand l’adolescent n’est pas compris, encadré et écouté par son entourage durant cette période difficile, il risque de développer un comportement agressif. C’est ce que soutient la psychologue Véronique Wan Hok Chee. Elle insiste qu’il est « primordial » de chercher à comprendre ce qui se passe dans la tête des adolescents au lieu de les juger et les condamner. « Certains ados deviennent violents parce qu’ils vivent dans un environnement violent, où les parents se disputent souvent à la maison. Il finit par croire que pour avoir ce qu’il veut, il doit se montrer agressif », dit-elle. Mais ajoute-t-elle, il ne faut pas s’arrêter  cette image : « La violence chez la plupart des ados est l’expression d’un certain mal-être. Ils font face à une souffrance ou un conflit interne qu’ils ne parviennent pas à maîtriser. »
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Et lorsqu’ils se sentent incompris, la situation empire. « Ils estiment alors que leurs parents les considèrent toujours comme des enfants », souligne la psychologue. Véronique Wan Hok Chee insiste qu’il ne font pas oublier que l’adolescence est aussi l’âge des découvertes et des nouvelles expériences. « Les jeunes veulent braver les interdits. Les parents ont du mal à comprendre ce genre de comportement et sont angoissés », souligne-t-elle. Cette angoisse, dit-elle, ils la transposent souvent sur leurs enfants : « Et comme les parents ne savent pas communiquer avec leurs enfants… Ils doivent comprendre qu’il ne sert à rien de les punir ou de leur crier constamment dessus. Cela risque même d’avoir l’effet inverse, c’est-à-dire que l’ado va se rebeller davantage contre ses parents. » Ce problème de communication, Véronique Wan Hok Chee le voit aussi chez certains enseignants. « Mes jeunes patients disent souvent que leur prof n’a pas su les écouter ou n’a fait que les humilier devant toute la classe. Certains enseignants doivent aussi faire un effort », insiste-t-elle. Elle concède que le prof « doit faire preuve d’autorité », mais souligne qu’il ne « faut rien imposer aux ados ». « De toute façon, ils vont défier l’autorité », ajoute-t-elle. Pour la psychologue, l’encadrement familial est primordial, surtout si la source de l’agressivité de l’adolescent se trouve… dans la cellule familiale. Elle insiste aussi sur le temps que les parents passent avec leurs enfants. « C’est trop facile de dire qu’on n’a pas le temps. Il faut trouver du temps pour son enfant. Un enfant a davantage besoin d’affection que de confort matériel », dit-elle. Les parents ne réalisent pas, ajoute-t-elle, qu’ils ne répondent pas toujours aux besoins émotionnels de leurs enfants. Ce que se répercute sur leur comportement lorsqu’ils traversent la phase de l’adolescence. « Les parents doivent aussi sortir régulièrement avec leurs enfants. Il ne faut pas les laisser s’enfermer dans leur chambre, plongés dans un monde virtuel via l’ordinateur et le smartphone. Cela bloque l’épanouissement de l’ado », prévient la psychologue. [[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"21005","attributes":{"class":"media-image aligncenter size-full wp-image-34828","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"1280","height":"720","alt":"Violence"}}]]  
 

Sergent Shanan Purhooa: «La violence verbale est plus fréquente»

[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"21004","attributes":{"class":"media-image wp-image-34827 alignright","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"300","height":"393","alt":"Violence et indiscipline"}}]]La situation n’est pas alarmante, estime la brigade pour la protection des mineurs. « Il est vrai que certains récents cas, où des jeunes ont fait des choses assez graves, ont bouleversé les gens. D’où cette perception. Mais c’est la violence verbale qui est plus fréquente parmi les collégiens. Souvent, cela commence par une brouille entre élèves. Cela débouche sur des menaces et des insultes dans l’autobus ou dans la rue. Notre rôle, c’est d’empêcher que l’incident ne s’aggrave », explique le sergent Shanan Purhooa, responsable de la brigade pour la protection des mineurs. Il explique que chaque établissement scolaire a une structure pour gérer les cas de violence et d’indiscipline. Mais la direction des collèges ne fait appel à la brigade que lorsque la situation dégénère. « Nous intervenons dans l’enceinte de l’école uniquement pour veiller à ce que le cas ne se détériore et pour assurer la sécurité de tous », souligne-t-il. Pour le sergent Purhooa, régler le problème de violence chez les adolescents relève d’une responsabilité collective. « Nous disons aux enseignants que la violence n’est pas aussi répandue parmi les collégiens. C’est à eux de s’assurer que la situation reste sous contrôle, grâce à un système d’accompagnement des élèves. De plus, un élève ne peut pas être en conflit permanent avec tous les enseignants. Il doit forcément s’entendre avec quelques-uns. Autant que les enseignants à qui il fait confiance l’encadrent. Ils peuvent agir comme médiateurs », fait-il ressortir. Le sergent Purhooa précise que la brigade pour la protection des mineurs  « n’est pas là uniquement pour sanctionner » les collégiens indisciplinés. « Nous établissons une ligne de communication avec eux grâce à nos campagnes de sensibilisation dans les écoles. Nous en profitons pour établir un élément de confiance. Cela nous permet de mieux leur expliquer les risques, sur le plan sécuritaire, à faire l’école buissonnière. De plus, notre présence dans des endroits stratégiques a un effet dissuasif sur les collégiens, qui sont tentés de former un gang et de commettre des actes de violence », ajoute-t-il. Pour contrer ce phénomène, dit le sergent Purhooa, les établissements scolaires « doivent actualiser leurs règlements en ligne avec les nouvelles situations concernant la violence et l’indiscipline ». Il propose aussi l’obligation pour les parents de répondre à une convocation de l’école en cas de problème de comportement de leurs enfants. « C’est trop facile pour eux de dire qu’ils sont pris », dit-il. Le policier suggère aussi un meilleur accompagnement et encadrement « afin de mieux soutenir les jeunes », mais aussi « savoir rendre hommage aux ados » qui se comportent bien. « Cela peut créer du positive peer pressure et remettre sur les rails ceux qui se comportent mal », dit-il.  
 

Daniella Bastien, anthropologue: «Donner plus de responsabilités aux jeunes»

Selon l’anthropologue Daniella Bastien, le problème de violence et d’indiscipline chez les adolescents ne doit pas être traité en isolation. « C’est un problème systémique. Les acteurs concernés doivent réaliser qu’il n’y a rien aucune différence entre l’ado mauricien et ceux des autres pays. Tous vivent plus ou moins dans la même modernité. Nous avons affaire à un jeune ouvert sur le monde », dit-elle. Pour l’anthropologue, il « est impératif » de lever les tabous. « De nos jours, un jeune veut que ses parents lui parlent ouvertement. Il veut aussi se sentir valorisé. Il importe donc de considérer le jeune comme l’adulte qu’il sera demain et lui donner des responsabilités pour qu’il se sente valorisé », explique-t-elle.  
 

Vikash Ramdhonee, syndicaliste: «Être ferme vis-à-vis des fauteurs de troubles»

Pour le président de la Government Secondary School Teachers Union, l’indiscipline se manifeste à plusieurs niveaux. « D’abord, la société elle-même devient violente. Cela influe évidemment sur le comportement des ados. Ils n’ont aucun respect pour les profs, qu’ils malmènent parfois. Les élèves savent que les enseignants sont impuissants et cela renforce leur sentiment de puissance », affirme Vikash Ramdhonee. Le syndicaliste blâme les parents qui « ont fui devant leur responsabilité » de discipliner leurs enfants. « Le rôle des enseignants est surtout et avant tout d’enseigner. C’est aux parents de s’assurer que leurs enfants se comportent bien. Mais actuellement, tout le monde passe son temps à prendre le parti de l’enfant. Un gosse qui a fauté doit être puni. Il n’y a pas mille façons de ramener un adolescent à l’ordre. Il faut être ferme vis-à-vis des fauteurs de troubles. On ne peut permettre que des ados agressent leurs profs, leurs amis de classe, voire leur recteur », dénonce-t-il. Vikash Ramdhonee accueille favorablement la Student Behaviour Policy, annoncée par le ministère de l’Éducation pour contrer le problème d’indiscipline chez les collégiens. « Mais valeur du jour, ce n’est qu’une annonce. Cela peut prendre des années avant qu’elle ne soit appliquée. Je maintiens qu’il faut réintroduire les Detention Classes afin de mieux discipliner les adolescents », insiste-t-il.  
 

Raj, enseignant du secondaire: «Pas de suivi psychologique…»

Raj, un enseignant du secondaire, est intervenu au cours de l’émission « Scènes de vie », sur Radio Plus. Il déplore le fait qu’il n’y a que « 18 psychologues pour 300 écoles ». « C’est chagrinant de voir un psychologue revenir voir un enfant un an après. Entre la demande d’assistance et l’encadrement, cela prend trop de temps. J’avais fait une demande auprès du ministère de l’Éducation pour qu’un élève soit vu par un psychologue. J’ai été surpris d’apprendre qu’il n’y avait que des femmes psychologues. Or, cet étudiant aurait été plus à l’aise avec un homme. Selon moi, il n’y a pas de suivi psychologique dans nos écoles, mais plutôt des interventions. C’est simplement lorsqu’un ado a un problème de comportement qu’un psychologue viendra le voir. Ce qui est dommage », a-t-il déclaré.
 

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