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Violence - Traumatisme chez l’enfant : pas une fatalité

Crimes au sein des familles, violence domestique : les enfants sont souvent victimes et témoins de scènes traumatisantes. Si certains parviennent à les effacer et à mener une vie normale, d’autres n’y arrivent pas. Dossier.

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Le double drame à Camp-Embrevade, Petite-Rivière, le samedi 8 avril, a touché l’île Maurice. Patrick Jhurry, 30 ans, tue sa concubine Marie Estrellia Rioux, 23 ans, et se suicide.
Le drame s’est déroulé dans la demeure familiale, à Petite-Rivière, et leur fillette âgée de 3 ans a été hospitalisée. De tels événements montrent que les enfants peuvent être traumatisés. Quel sera l’avenir de celle-ci ?

L’enfant vit parfois dans une famille où la violence fait partie du quotidien. Pour grandir, il faut se sentir en sécurité, mais Kevin, 27 ans, nous confie qu’il a toujours connu des moments difficiles durant son enfance. Enfant battu, il affirme qu’il ne voudrait jamais être comme son père.

« Je tremble encore quand je parle de mon père. Je n’ai pas confiance en moi et mes amis me reprochent souvent d’être dans mon coin. Ma mère a tant souffert à cause de la violence qu’elle a subie à ses côtés jusqu’à même tomber malade.

Le pire, c’est que je ne comprends pas pourquoi mon père était aussi agressif envers nous. Mon frère aîné est aujourd’hui malheureusement comme mon père, victime devenu bourreau, et nous n’avons rien pu faire, ma mère et moi », raconte-t-il.

« Mo pa per li me mo pa pou retourn lakaz ankor. Mo papa pou gagn malediksyon », confie Loïc, âgé de 11 ans. Il vit avec sa mère dans un centre. Il dit qu’il n’oubliera jamais les coups reçus de son père. De nature colérique, il l’agressait sans raison, dit-il.

« Il attachait mes pieds et me frappait sans arrêt. Ma belle-mère me maltraitait et m’agressait physiquement et c’était vraiment dur de vivre ainsi. Ma mère n’a pas les moyens de louer une maison et on est venu au centre. Je ne serai jamais comme mon père, car c’est vraiment ignoble ce qu’il m’a fait. Comment peut-on traiter son enfant ainsi ? » explique-t-il.

Sheila, 43 ans, a quitté sa maison depuis plusieurs mois et elle est actuellement à l’ONG Passerelle pour essayer de reprendre le cours normal de sa vie. Elle tente tant bien que mal de le faire, car pour cela, elle a dû se séparer de son enfant. La raison : elle ne voulait pas que son enfant connaisse une telle violence jusqu’à son adolescence.

« Mon concubin me frappait et m’insultait devant ma fille âgée de cinq ans. J’ai préféré la laisser chez son père biologique pour qu’elle ne voie pas ce que j’ai à subir. Tonton mauvais, me disait-elle. Elle avait peur de lui. J’ai dormi sur la plage pendant plusieurs jours avant de venir au centre. Mon enfant me manque, mais j’ai fait cela pour la protéger », relate-t-elle.

Et le couple dans tout ça ?

L’enfant aime ses parents sans condition et aucun enfant ne voudrait voir ses parents se séparer. Il faut que ces derniers comprennent que quand cela se passe mal dans leur couple, l’impact sur l’enfant est négatif. Les conflits font partie du couple, mais c’est la manière dont on les règle qui fait la différence. De nombreux couples estiment qu’il ne faut pas se séparer à cause des enfants. Le divorce n’est pas un acte honorable pour eux, mais ils ne réalisent pas que rester à cause de l’enfant est encore moins honorable. L’enfant culpabilise, car il sait que sa mère se sacrifie pour lui ce qui n’est pas bon pour son développement. Il lui faut un climat sain et les couples devraient avoir les capacités d’évaluer leur relation. Suffit-il de rester et faire l’enfant vivre un traumatisme avec des scènes de violence ou un drame ?

Rita Venkatasawmy : «Toute une population à éduquer»

Pour l’Ombudsperson for Children, Rita Venkatasawmy, la priorité est de penser à l’encadrement de l’enfant pour assurer sa sécurité. Dans le cas de la petite fille qui a subitement perdu ses parents, le 8 avril, notre interlocutrice estime que la solution était sa prise en charge par les autorités.

« S’il n’y a pas de proches prêts à prendre la responsabilité, c’est à ce moment qu’il faut envoyer l’enfant dans un Foster Care. Il y a plusieurs options pour gérer le traumatisme d’un enfant. Que ce soit au sein de la famille ou dans un Shelter, l’enfant affecté par un traumatisme doit être encadré de manière à prendre acte de l’événement pour ne plus, ou ne pas, avoir à vivre dans la dépression et se reconstruire. En grandissant, l’enfant ne doit pas avoir une attitude négative », estime-t-elle.

«À Maurice, plusieurs couples ont tendance à régler leur conflit relationnel avec violence devant les enfants»

Bien que l’encadrement ne soit pas chose facile, il est mieux de le décider au cas par cas, quand il s’agit de placer un enfant après un événement traumatisant. Rita Venkatasawmy indique qu’il ne faut pas idéaliser les Foster Care.

« Ce n’est pas toujours vrai de dire qu’un enfant a une attention individuelle dans une famille d’accueil et penser que c’est la solution magique. De par la Convention internationale des droits de l’enfant, quand un enfant subit un traumatisme au sein de la famille, il ne faut pas penser que la suite logique est le Shelter. Il y a aussi l’adoption et le Foster Care, entre autres. D’ailleurs, le ministère de l’Égalité des genres apporte déjà des changements favorables pour le développement de l’enfant », ajoute-t-elle. 

Par ailleurs, l’Ombudsperson for Children parle des responsabilités des parents. Elle estime qu’il faut avant tout éduquer la population sur la gestion des émotions.

« À Maurice, plusieurs couples ont tendance à régler leur conflit relationnel avec violence devant les enfants. J’ai rencontré plusieurs femmes quand je travaillais à la prison et j’ai constaté que dans la plupart de cas, elles ne parviennent pas à contrôler leurs émotions.

On n’a pas le temps de penser aux enfants et ces derniers grandissent en pensant qu’il est tout à fait normal d’agir avec violence. Je suis d’avis qu’avec le Nine-Year Schooling, on va sensibiliser les enfants sur la violence. Il ne faut pas oublier qu’un adulte sommeille en un enfant qui n’a pas pu régler ses problèmes durant son enfance », fait-elle observer.


 

Elena Rioux : «Lui redonner son enfance et ses repères»

À l’ONG Passerelle, les femmes victimes de violence sont accueillies pour surmonter les épreuves difficiles qu’elles ont connues et refaire surface. Elles sont souvent accompagnées de leur enfant qui a, lui aussi, connu un événement traumatique. Selon la travailleuse sociale Elena Rioux, ces enfants ont besoin d’être accompagnés, car ils sont également touchés par la violence.

« Notre responsabilité est soigner le trauma de l’enfant. Le plus important est de lui redonner son enfance et ses repères. Je constate souvent que certains enfants parlent comme des adultes. Certains garçons estiment qu’il est normal d’insulter leur mère ou même de les frapper. Ce sont des scènes qu’ils ont vues plusieurs fois à la maison. Alors que d’autres utilisent un langage vulgaire et cela nous donne des indications de ce qu’ils ont vécu », indique-t-elle.

Elena Rioux déplore le fait que les autorités ne leur donnent pas le soutien nécessaire. Elle avance que l’enfant n’a pas besoin d’être dans un centre et d’avoir un psychologue à son écoute. « C’est un suivi quotidien pour l’aider à se relever et à reconstruire son avenir. La façon dont les choses seront gérées par son entourage déterminera si l’enfant sera un citoyen responsable. De ce fait, à Passerelle, nous nous assurons que l’enfant a une bonne éducation à l’école, mais aussi qu’il a l’amour et l’attention pour qu’on lui permette de surmonter son traumatisme », relate-t-elle.


Vijay Ramanjooloo : «Il faut surtout revenir sur la situation avec l’aide des experts»

Lorsque l’on parle des enfants, il y a cette perception que les choses sont toujours sont contrôle lors d’un drame, de par ses capacités de compréhension et des moyens de communication bien différents de ceux des adultes.

Cependant, selon Vijay Ramanjooloo, psychologue, le trauma n’a pas d’âge et peut blesser à tout moment. « Chaque individu a sa manière propre à lui de vivre un traumatisme, dépendant de ses capacités de gérer ses émotions, mais aussi de son encadrement pour l’élaborer. Pour ce qui est d’un enfant, peu importe son âge, un événement soudain et violent entraîne forcément un trauma et laisse des traces ».

Vijay Ramanjooloo explique que chaque humain a une capacité de résilience, mais s’il n’y a pas la structure appropriée à sa disposition, il ne pourra pas traiter son traumatisme comme il le faut. Il est à noter que l’enfant a une maturité cognitive et peut ressentir l’énergie négative ou de violence autour de lui.

« Il faut surtout revenir sur la situation, si l’enfant n’était pas complètement conscient du degré du problème. Il faut des personnes avec des compétences pour aider l’enfant à gérer la situation, c’est-à-dire une prise en charge psychologique. Il ne faut surtout pas dire que l’enfant est petit et qu’il ne comprend rien.

Le suivi psychologique commence dès que l’enfant a vécu une situation de violence. Il ne faut pas le laisser se murer dans le silence et essayer d’étouffer la situation qu’il a vécue. C’est comme une blessure, il faut du temps pour la soigner. Et on ne peut pas l’ignorer, car les séquelles vont être encore plus graves. L’accompagnement de l’enfant est primordial », fait-il ressortir.


Françoise Botte Noyan : «L’enfant traumatisé a besoin de stabilité émotionnelle»

Ils sont soixante enfants résidant au SOS Children’s Village de Bambous. Avec dix-neuf mamans SOS, l’équipe est composée de travailleurs sociaux, de psychologues et de pédagogues pour un travail préparatif et pour accueillir les enfants. Issus de familles à problèmes, ils ont dû quitter leur maison pour venir au centre.

Selon la responsable, Françoise Botte Noyan, SOS Village consiste à offrir un foyer et une expérience affective aux enfants. « La prise en charge se fait au cas par cas. L’enfant reçoit un suivi psychologique, des soins médicaux et va à l’école. L’enfant a aussi besoin d’affection et la maman SOS et la tante SOS tentent de lui donner cette chaleur familiale. C’est certes dur de combler l’absence des parents, mais c’est mieux que de laisser un enfant vivre un trauma à vie. Il a besoin de stabilité émotionnelle. Nous formons notre personnel pour qu’ils offrent cette chaleur humaine et aident à l’épanouissement de l’enfant », dit-elle.

Pour ce qui est de l’impact sur l’enfant, la responsable affirme que certains enfants ont du mal à gérer leurs émotions et que leur attitude est compréhensible. Ils ont beaucoup souffert, car ils ont été victimes d’abus et de violence. Or, il y a aussi des success stories, qui démontrent clairement que c’est possible de sortir de son trauma. Ce sont des enfants talentueux en sports et d’autres activités artistiques.

Le ministère de l’Égalité des genres, du Développement de l’enfant et du Bien-être de la famille met l’accent sur la prévention à travers des programmes pour les couples et les parents. Pour la ministre Fazeela Daureeawoo, il est important de résoudre le problème à la racine. L’atelier Partage Parents, un nouveau concept sur la prévention, est un programme de préparation au mariage pour sensibiliser les futurs mariés à leurs rôles et leurs responsabilités. Le ministère compte aussi mener une campagne de sensibilisation sur la violence à l’égard des enfants. « Toute forme de violence contre les enfants est inacceptable. Nous menons une campagne agressive pour sensibiliser les couples. Notre société doit absolument retrouver ses repères. La violence n’épargne personne, mais les enfants souffrent beaucoup. Il est grand temps de changer notre comportement », précise Fazila Daureeawoo.

 

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