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Vishnou Choony, le tailleur : la survie entre les modes et les tendances

Vishnou Choony La coupe des tissus est une étape déterminante dans le processus de fabrication des vêtements.

Il fait partie de ces figures populaires de Curepipe, grâce à son métier et à sa bonne humeur. Depuis trente ans, Vishnou Choony habille la gent masculine de la ville des lumières et a su s’accommoder des modes et des tendances qui caractérisent chaque génération de Mauriciens.

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Le vendredi 29 mars, vers midi, un jeune d’un collège se pointe chez le tailleur. Dans un sac, un pantalon du collège, trop classique à ses yeux. Aussi en appelle-t-il aux services de Vishnou pour remodeler le vêtement de ton beige à la mode ‘slim’.  Un  simple exercice pour le tailleur, qui a en l’habitude, d’autant qu’il connaît l’adolescent. « Il n’avait pas encore de barbiche quand il est venu la première fois », plaisante-t-il. Il lui a demandé de repasser dans deux jours pour rependre le futal, remis au goût de jour.

Je suis d’accord que les vêtements importés sont moins chers, mais la qualité des tissus laisse à désirer et les tailles et la finition des vêtements ne sont jamais à la satisfaction des clients, il y a toujours des défauts»

Depuis son opération à la jambe et une méchante visse implantée dans le fémur, Vishnou traîne un peu les pattes. À 64 ans, et après une vie bien remplie, il aurait pu rester chez lui, les yeux rivés à la télé, mais voilà, Vishnou est un hyperactif, répulsif à toute idée de rester immobile. « Quand j’accompagne ma fille au cinéma, je préfère l’attendre dans la voiture », dit-il. Après son accident, resté deux mois à la maison, il avait déjà les fourmis dans les jambes. « J’ai demandé à mon frère de conduire ma voiture pour me déposer à mon atelier », raconte-t-il.

Les tissus, les fils, les ciseaux et la couture

Entre lui et les tissus, les fils, les ciseaux et la couture, c’est une passion qui a grandi depuis qu’il a eu ses 18 ans, lorsqu’il s’est joint à l’atelier de Ramsoondur, à Castel. Au sein d’une fratrie de neuf enfants, il en est le troisième et il fallait bien qu’il gagna sa vie dans un métier d’avenir, pensait le père, tour à tour tailleur et chauffeur de taxi à Camp-Fouquereaux. Chez Ramsoodur, durant quatre ans et sans la moindre rémunération, il a appris à rabattre les coutures et à surfiler. « L’atelier était spécialisé dans les pantalons, c’est comme ça que j’ai appris à confectionner les pantalons », raconte-t-il.

La concurrence

Après Castel, on le retrouva à la rue Malartic, à Curepipe, dans l’atelier de Lall Ramsahye. Il avait alors 23 ans et avait déjà acquis le savoir-faire, mais le topo n’était plus le même dans la ville. « Avec huit ateliers alignés à rue Malartic, il y avait de la concurrence », se souvient-il encore. Mais, la clientèle était, elle, au rendez-vous, et quelques magasins abondaient en tissus de premier choix, dont l’étoffe Dormeuil ou celles anglaises. « Les hommes aimaient s’habiller, il y avait les ‘dandys’, qui se paradaient les dimanches. Curepipe était alors une ville vivante, rayonnante, la vie s’articulait autour de la mairie et dans les rues avoisinantes. » Et les femmes ? « Sans travail et la scolarité arrêtée au 6e ou à 16 ans, comme ma propre sœur, explique Vishnou, elles ne travaillaient pas, et sans argent, elles ne pouvaient pas acheter grand-chose. » Après trois années chez Lall Ramsahye, il a pris de l’emploi à Forest-Side, chez Veeramootoo, un des plus grands ateliers de l’île avec des ouvriers dédiés à des tâches spécifiques.

J’aime mon travail, le contact humain, la vie autour de mon atelier»

« À ce moment-là, j’étais ouvrier. L’atelier de Veeramootoo croulait sous les commandes des magasins et des sucreries, entre autres. » Ici, la rémunération était à la pièce, à Rs 10 le pantalon, et le costume, lui, coûtait Rs 300, une « grosse somme à l’époque », fait-il remarquer. « Chez Veeramootoo, je me faisais en moyenne Rs 300 chaque semaine. Je faisais partie de ses 15 ouvriers spécialisés, il y avait aussi quelques filles. Pour le travail à la pièce, il fallait travailler vite et bien, mais comme j’avais commencé par une dure étape, ce n’était pas un défi insurmontable. » À ses revenus de l’atelier, il pouvait compter sur le travail à domicile que lui confiait amis et membres de la famille. C’est cette clientèle qui allait pousser les portes de son atelier lorsqu’il avait décidé de se mettre à son propre compte.

Aprés sept années de bons et de loyaux services chez Veeramootoo, et convaincu qu’il pouvait désormais voler de ses propres ailes, il est parti s’installer à Curepipe, là où il est en ce moment. « Il y avait là auparavant un atelier, mais le type était un peu paresseux, il avait fini par rendre l’espace », explique Vishnou. Avec sa machine, et ses quelques matériels de base, il investit dans l’atelier et comme l’endroit avait pignon sur rue, petit à petit, la clientèle a commencé à se pointer. À partir de là, il a pu créer une clientèle fidèle, constituée de celle qui le connaissait déjà.

‘Miracle économique’

Ce sont les années dites de ‘miracle économique’ qui ont contribué à ses affaires. « Comme toute la population travaillait, il fallait qu’elle s’habillait  aussi. Puis, le prêt-à-porter n’existait pas encore. Quand les femmes ont commencé à travailler dans tous les secteurs et à des postes variés, il fallait qu’elles s’habillaient pour les besoins de leur travail. C’est comme ça que j’ai obtenu des commandes d’uniformes pour femmes, entre autres », explique-t-il.

Même si l’apparition du prêt-à-porter en masse de la Chine a fait péricliter le travail, Vishnou fait valoir que les services du tailleur local sont encore recherchés, pour retoucher les vêtements importés, entre autres. « Je suis d’accord que les vêtements importés sont moins chers, mais la qualité des tissus laisse à désirer et les tailles et la finition des vêtements ne sont jamais à la satisfaction des clients, il y a toujours des défauts. Car la confection comporte une bonne partie de travail à la main, qui ne peut pas être remplacée par les machines. Tout doit commencer par la prise des mesures, suivie de la coupe. »

Si ses mouvements sont devenus un plus laborieux depuis son opération, Vishnou refuse qu’on prononce le mot ‘retraite’. « Pour faire quoi ensuite ? J’aime mon travail, le contact humain, la vie autour de mon atelier. Certes, j’ai ma famille et pendant longtemps, ma femme n’a pas travaillé. Il n’y a pas très longtemps qu’elle a commencé à travailler dans un hypermarché, et mes enfants, eux-aussi, travaillent. La plupart de mon temps se passe ici. C’est une ville que je connais comme ma poche, ce sera dur de devoir s’en aller. Et surtout qu’il y a encore du travail », lâche Vishnou.

 

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