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Allégation d’emploi fictif : pourquoi Yogida Sawmynaden n’a-t-il pas été arrêté ?

Yogida Sawmynaden fait désormais face à un procès pour faux et usage de faux.
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L’ancien ministre Yogida Sawmynaden est désormais confronté à un procès devant la Cour intermédiaire. Mais une question subsiste : pourquoi l’élu de la circonscription numéro 8 (Moka/Quartier-Militaire) n’a-t-il pas été arrêté dans l’affaire jusqu’ici ? Le chargé de cours en droit Rajen Narsinghen et Me Samad Golamaully donnent leur avis. 

Le Directeur des poursuites publiques (DPP) a logé, le 21 juillet 2023, deux accusations en Cour intermédiaire contre Yogida Sawmynaden. Le député, âgé de 46 ans, fait désormais face à un procès pour faux (forgery of private writing) et usage de faux (making use of forged private writing) dans l’affaire dite « Constituency Clerk ». Dispensé d’arrestation, l’ancien ministre du Commerce est poursuivi pour des délits qui auraient été commis le 28 janvier 2020, dans son bureau, sis à Ébène. 

Accusation provisoire 

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Rajen Narsinghen, chargé de cours, est d’avis que la police « a tergiversé » dans l’enquête.

Pourquoi n’a-t-il pas été arrêté jusqu’ici ? Ce qui amène à une autre question : peut-on loger une accusation contre un prévenu sans passer par une charge provisoire, voire une arrestation ? « Il faut savoir qu’il n’y a aucune législation qui préconise le recours à l’accusation provisoire. C’est une pratique qui s’est établie à Maurice. La police loge une accusation provisoire contre un prévenu dans le cadre d’une enquête qui est en cours », explique Rajen Narsinghen. 

Le chargé de cours ajoute que le but est de l’amener sous la supervision du système judiciaire. « Toutefois, je suis d’avis qu’une fois le seuil de la cour franchi, c’est le Directeur des poursuites publiques (DPP) qui prend le relais. Donc en résumé, la police enquête et remet son dossier au bureau du DPP. Celui-ci décide s’il y a matière à poursuivre le prévenu. S’il y en a, l’affaire est portée devant une cour de justice », explique Rajen Narsinghen. 

Pour Samad Golamaully, il n’y a rien d’anormal ou de spectaculaire dans la démarche de loger une accusation sans passer par une charge provisoire. « Ce n’est pas une procédure qui concerne uniquement Yogida Sawmynaden. Dans le passé, il y a eu des affaires dans lesquelles l’Independent Commission against Corruption (Icac) et la police ont eu recours à cette méthode », affirme l’avocat. 

Toutefois, il admet que ce n’est pas une chose qui se fait tous les jours. « Mais de là à parler de justice de deux poids deux mesures, cela relève de la perception, pas de la réalité », dit-il. Il réfute les allégations selon lesquelles la Special Striking Team (SST) ne s’attaquerait qu’aux opposants du gouvernement. « Ceux perçus comme tels et ayant eu affaire à la SST ne représentent que 5 % des opérations de cette unité. Ces affaires ont fait grand bruit en raison de l’identité des personnalités visées, lesquelles sont des personnages publics », avance l’avocat. 

Deux poids deux mesures 

Rajen Narsinghen fait partie de ceux qui estiment qu’il y a une approche de deux poids deux mesures dans la manière dont la police traite Yogida Sawmynaden par rapport aux opposants du gouvernement. Il est d’avis que la police « a tergiversé » dans l’enquête sur l’ex-ministre. « C’est la réalité et non une perception », soutient le chargé de cours. 

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Pour Me Samad Golamaully, il n’y a rien de spectaculaire dans la démarche de loger une accusation sans passer par une charge provisoire.

En s’appuyant sur les conclusions de l’enquête judiciaire du tribunal de Moka sur la mort de l’activiste Soopramanien Kistnen, il fait ressortir que le bureau du DPP a recommandé un complément d’enquête sur certains aspects de l’affaire. « La police a-t-elle déjà fait un pas dans cette direction ? Ce que je note, c’est que dès qu’il a des commentaires qui tombent sous les délits sanctionnés par l’Information and Communication Technologies Act et qui visent des personnalités politiques issues du pouvoir, la police est toujours prompte à réagir », constate le chargé de cours. 

Me Samad Golamaully n’est pas du tout d’avis qu’il y a une différence de traitement. « C’est mal inspiré de venir parler de deux poids deux mesures quand il s’agit de Yogida Sawmynaden. Pourquoi dire cela ? », s’interroge l’homme de loi. « Les avocats ont encouragé la pratique de loger une accusation formelle directement après une enquête de police qui indique qu’il y a de quoi poursuivre une personne », dit-il. 

Il explique que le recours à une accusation provisoire est de s’assurer que le prévenu fera face à son procès, qu’il ne va pas fuir la justice ou qu’il ne va pas se rendre à l’étranger pour échapper à son procès. 

Quid des délits de faux et d’usage de faux ? Est-ce que ce sont des infractions passibles d’une arrestation ? Oui, s’accordent à dire les deux hommes. Rajen Narsinghen précise qu’elles ne tombent pas dans la catégorie des « misdemeanours ». 

Me Samad Golamaully souligne l’importance de bien faire la part des choses. « Un prévenu qui fait l’objet d’un procès a l’obligation de se présenter devant un tribunal lorsqu’il est appelé à le faire. Bien que ce soit la pratique pour la police de l’arrêter et de l’inculper à titre provisoire pour qu’il ne puisse pas fuir la justice, elle agira avec discernement si elle pense que ces risques ne s’appliquent pas à une personne en particulier », avance l’avocat. 

Faux et usage de faux : ce que dit la loi 

La peine maximale pour le délit de « forgery of private writing » et celui de « making use of forged private writing » est de 20 ans de prison chacun, en vertu de l’article 111 et 112 du code pénal. Selon le texte de loi relatif, ceux qui auront commis un faux en écriture dans un acte authentique et public, ou dans un acte commercial ou bancaire, que ce soit par contrefaçon, altération d’écritures, modification de dates sur des signatures, utilisation d’un nom d’emprunt, parmi d’autres, auront commis le délit de faux. Ceux ayant utilisé des actes de contrefaçon auront commis le délit d’usage de faux.

Précédent 

Dans le passé, Ajay Gunness, député et ancien ministre des Infrastructures publiques, avait été poursuivi par la commission anticorruption après que son arrestation avait été avortée. Il avait sollicité puis obtenu un ordre d’injonction de la Cour suprême contre son arrestation.

Ajay Gunness avait, par la suite, fait l’objet d’un procès devant la Cour intermédiaire après une enquête de l’Icac sur des travaux de rénovation dans son ancien bureau ministériel. Le procès avait été rayé par la Cour intermédiaire à la suite d’une motion d’arrêt déposée pour abus de procédure. Plus tard, le DPP avait abandonné l’appel de la décision de la Cour intermédiaire. 

 

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