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Audrey D’Hotman de Villiers-Desjardins : «La charité peut aider temporairement, l’autonomisation libère une vie»

Photos : Audrey D’Hotman de Villiers-Desjardins 

Titulaire d’un Master en Clinical Social Work, la Consultante régionale en gouvernance, environnement et social sert la nation mauricienne depuis son retour de ses études à Boston en 1998. 

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Qui êtes-vous ? 
Je suis Audrey D’Hotman de Villiers-Desjardins. Ma formation théorique et pratique aux États-Unis m’a permis d’acquérir des connaissances en psychologie cognitive, comportementale et systémique, ainsi que dans la gestion des services sociaux, des ONG et de la pratique psychologique privée au niveau individuel, en couple et en famille.

Racontez-nous votre parcours professionnel. 
Pour être concise, j’ai été conseillère scolaire à Clavis International Primary School et à l’École du Centre, psychothérapeute privée, directrice du Centre de Solidarité et fondatrice du centre pour femmes, La Chrysalide. J’ai également occupé le poste de directrice chez PILS (Prévention Information Lutte contre le SIDA. 

J’ai été CSR Manager au sein du Groupe Rogers et maintenant, je suis Consultante régionale en gouvernance, environnement et social. J’ai également contribué à la création de nombreuses ONG et projets sociaux et j’ai partagé mes connaissances et mon expérience avec plusieurs conseils d’administration privés, sociaux et gouvernementaux.

Aucun lien n’est plus fort qu’un lien de cœur à cœur»

Comment distinguer un travailleur social professionnel d’une personne qui entreprend des actions sociales ?
« Faire du social » semble être le terme fourre-tout utilisé par toutes les personnes qui ont un jour réalisé que leur « prochain » n’avait pas les mêmes avantages qu’elles et qu’il fallait les aider. L’être humain est fondamentalement porté à ressentir la souffrance d’autrui s’il choisit de ne pas fermer les yeux. De plus, nos religions nous enseignent toutes qu’il est de notre devoir d’aider les pauvres, les orphelins, les handicapés, les personnes âgées et les victimes de la vie sous toutes ses formes. 

Pour « faire du social », il y a donc la reconnaissance d’un problème, un élan du cœur et une action d’aide et de don. On se sent bien en faisant le bien, âmes charitables que nous sommes. C’est là que se situe la différence entre le travailleur social professionnel et le simple « travailleur social » c’est-à-dire la personne bien intentionnée. 

Un travailleur social formé sait que bien que son cœur et cette flamme qui le poussent à aider l’autre soient essentiels, les droits fondamentaux de la personne aidée, tels que les droits de l’homme, doivent d’abord le guider. Le travail d’un travailleur social est d’encourager l’autonomie de l’autre, appelée « empowerment », en facilitant son accès aux services sociaux et aux informations nécessaires.

Quelles compétences et qualifications sont nécessaires pour devenir travailleur social ?
Les compétences de base d’un travailleur social comprennent les outils de la pratique du travail social, la compréhension du comportement humain (psychologie et communautaire), la connaissance du système politique, économique et social de Maurice, les valeurs et l’éthique, la collecte de données et les bases de l’informatique. Ensuite, en fonction du domaine de pratique, le travailleur social devra se spécialiser en gérontologie, enfance, prison, handicap, violence domestique, école, psychiatrie, etc. 

Depuis plusieurs décennies, je me bats pour l’établissement d’une école de travail social dans ce pays. Avec plus de 3 000 travailleurs sociaux actifs actuellement, et sans compter la prochaine génération qui devra prendre la relève, c’est tout un secteur de l’économie mauricienne qui attend d’être reconnu et pris réellement en considération.

Avec plus de 3 000 travailleurs sociaux actifs, et sans compter la prochaine génération, c’est tout un secteur de l’économie qui attend d’être reconnu»

Comment le domaine du travail social a-t-il évolué au fil des années ? 
De l’histoire de Maurice, nous apprenons qu’il incombait principalement aux religieux, en particulier aux religieuses de toutes confessions ainsi qu’aux femmes au foyer, de prendre en charge la veuve, l’orphelin, les malades et les pauvres. L’aide financière provenait alors des croyants, des entreprises et des familles sollicités. Nous avons ainsi vu l’émergence d’organisations non gouvernementales telles que les Écoles ménagères, l’APEIM en sus des orphelinats et autres maisons de retraite. 

Que s’est-il passé ensuite ?
Ensuite, est venu le système national de solidarité mis en place par les Anglais avant l’indépendance émanant de leur modèle « Poor Law » où le pays accorde des allocations aux veuves et aux orphelins. Ce modèle de « Cash Transfer » s’est perpétué à ce jour, sans réelle réflexion ou études sur sa pertinence. Au fil du temps, une multiplicité d’ONG se sont ajoutées à mesure que les problèmes sociaux se présentaient. 

Quel nouveau défi les travailleurs sociaux affrontent-ils dans la société actuelle ?
De nos jours, le plus grand défi des travailleurs sociaux est la professionnalisation du métier, ce qui passe par une formation diplômante, des salaires décents et une reconnaissance nationale de cette profession en tant que telle.

De quelles manières les travailleurs sociaux collaborent-ils avec d’autres professionnels et organisations pour aborder les défis systémiques ?
L’outil par excellence du travailleur social est le réseautage (« networking »). Il ou elle se doit de connaître toutes les ressources gouvernementales, ONG et privées de sa région, voire du pays tout entier si les personnes qu’il ou qu’elle sert sont réparties sur l’ensemble de l’île. 

Le travailleur social joue le rôle de lien entre les professionnels et les organismes dont le client a besoin. Il réfère ou sollicite officiellement l’aide de professionnels ou des services nationaux et dans le cas où cela est nécessaire, il accompagne le client pour s’assurer que le service est adéquatement rendu. 

Dans certaines ONG, une excellente et innovante méthode de travail multidisciplinaire des cas est mise en place et les résultats sont évidents.

Le travailleur social est le lien entre le peuple et le politique»

Qu’est-ce qui manque ?
Ce qui manque encore à la profession de travailleur social à Maurice, c’est la compétence et l’habitude de collecter systématiquement des données, d’évaluer les progrès et les problèmes découlant de ces données, et ensuite de mener un plaidoyer coordonné auprès des autorités concernées. Si cela était fait, après une formation adéquate, nous ne verrions plus ces mesures sociales désordonnées à chaque budget national. 

Les bonnes idées sont bien, mais les aides basées sur des données statistiques précises des vrais besoins sont nettement plus efficaces. Il incombe aux travailleurs sociaux d’informer leurs dirigeants des besoins établis de leur population cible.

Quels sont certains des préjugés courants sur le rôle des travailleurs sociaux ?
Franchement, je n’ai pas le temps de m’attarder sur les « palabres » et autres rumeurs concernant mes collaborateurs. Seuls les résultats comptent dans ce travail visant à rendre aux personnes leur santé, leur autonomie et leur confiance en elles. 

Le seul problème qui me vient à l’esprit, c’est l’amalgame discuté plus haut entre les personnes de bonne volonté et les professionnels du domaine social. La charité peut aider temporairement tandis que l’autonomisation libère une vie.

Comment les principaux objectifs du travail social envers les communautés et les individus sont-ils atteints dans la pratique professionnelle ?
Pour l’individu, le travail vise le retour à la confiance en soi et à ses compétences pour prendre sa place dans la société. Avec les communautés, selon que le lien entre elles est basé sur une identité de genre (LGBT, travailleurs du sexe, etc.), une problématique (addiction, diabète, handicaps, etc.) ou une situation (quartiers, pauvreté, etc.), la méthodologie varie. 

Il faut les aider à se parler et à s’entendre. Leur apprendre à aborder la problématique pour ensuite approcher les autorités afin de demander des changements. Les travailleurs sociaux communautaires bénéficient d’une formation spécifique pour ce type de travail. Ils nécessitent des outils et des techniques supplémentaires pour unir et faire travailler ensemble autant de personnes.

Quels sont les défis les plus courants lorsque que les travailleurs sociaux tentent d’aider les communautés en difficulté ?
Une communauté est composée de nombreuses individualités. Chacune avec son propre passé, ses désaccords et ses divergences de personnalité. Imaginez la difficulté de parvenir à un consensus au sein de votre propre famille, puis multipliez cette tâche par 10 ou 50. 

Et pourtant, avec les techniques de dialogue communautaire, cela est possible. Cela demande du temps et de la négociation, mais les individus peuvent parvenir à un accord et travailler ensemble pour faire avancer le groupe. Le travailleur social doit faire preuve de patience et de persévérance. 

Le plus grand défi des travailleurs sociaux est la professionnalisation du métier, ce qui passe par une formation diplômante, des salaires décents et une reconnaissance nationale de cette profession»

Quel est l’outil magique du travailleur social ?
L’outil magique du travailleur social, lorsqu’il est rendu possible malgré des contraintes budgétaires, c’est la présence fréquente sur le terrain et le lien de vérité, d’écoute et de soutien créé avec chaque membre de la communauté. Aucun lien n’est plus fort qu’un lien de cœur à cœur.

Si nous n’avions pas de travailleurs sociaux, quel serait le pire scénario ?
Le pire scénario serait clairement la désintégration de la société telle que nous la connaissons, avec ses filets de protection lorsque la vie vous confronte à des épreuves. Mais, il y aura toujours des travailleurs sociaux qui se lèveront comme en témoigne la toile humaine qui s’est formée pendant le confinement lié à la pandémie de COVID-19, apportant nourriture et aide dans les foyers et les quartiers. Les travailleurs sociaux des ONG et de diverses organisations se sont coordonnés pour soutenir ceux dans le besoin. 

Je suis sûr qu’en ce moment à Gaza, les travailleurs sociaux travaillent sans relâche. D’ailleurs, j’ai entendu sur une radio en ligne que certains travailleurs sociaux étrangers étaient restés sur place malgré l’expiration de leurs visas. Cela en dit long sur l’engagement de cette profession.

Qu’est-ce qui vous a inspirée à devenir travailleuse sociale ? 
Le sens du social coule dans mes veines car aussi loin que remonte ma généalogie, il y a eu des bonnes sœurs, des religieux et des serviteurs de l’État. Alors le service, je le connais. De plus, aussi loin que je me souvienne, ma famille travaillait pour les fancy-fair, les collectes, les ventes de tombola etc. 

Comment votre parcours personnel influence-t-il votre approche pour aider les autres ?
J’ai reçu une éducation qui m’a appris à voir, à respecter et à aider mon prochain, quel qu’il soit. Ajoutez à cela que seule la relation humaine donne un sens à ma vie et vous avez une psychothérapeute - travailleuse sociale. J’adore mon pays avec sa complexité de gens et je n’ai jamais douté de mon intention de revenir après mes études. L’herbe n’est pas plus verte ailleurs et nou dimounn li extra.

Pouvez-vous partager une expérience mémorable où votre intervention a eu un impact significatif sur la vie d’un individu ou d’une communauté ?
Ma plus grande joie et fierté, c’est le centre La Chrysalide. Le centre de réhabilitation pour les femmes souffrant d’addictions et d’autres traumatismes liés. À l’époque, on ne parlait et n’aidait que les hommes toxicomanes et les femmes avec le même problème étaient rejetées de tous, même de leurs familles. Elles n’avaient aucun recours car en plus, elles avaient de jeunes enfants à charge. 

À force de frapper aux portes, un jour l’Union européenne a dit oui pour Rs 5 millions. Une somme faramineuse à l’époque pour construire le centre et le faire fonctionner pendant quelque temps. C’était un miracle et une multitude de petites mains qui ont fait le reste pour aider à mettre sur pied ce refuge.

Comment naviguez-vous à travers les complexités des problèmes sociaux tout en maintenant empathie et professionnalisme ?
Je n’abandonne jamais car j’ai foi en la bonté humaine et j’ai appris la patience au fil des années. L’être humain est vraiment extraordinaire et il y a toujours quelqu’un qui pense comme vous et qui veut aider. Ensemble, on va plus loin, alors je marche avec ceux qui sont présents à côté de moi sur la route du moment.

Pour finir, quel est votre souhait à l’occasion de cette Journée mondiale célébrant le travail social ?
Je profite de cette entrevue avec Le Dimanche/L’Hebdo pour faire appel au gouvernement afin de mettre en place le Conseil du travail Social. C’est la seule instance capable de reconnaître et de professionnaliser ce corps de métier. Dans le monde entier, les autorités ont compris l’importance capitale de cette profession, la seule capable d’orienter et de mettre en place les politiques sociales d’un pays. Le travailleur social est le lien entre le peuple et le politique.

 

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