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Laval Savreemootoo : «Les Mauriciens cherchent des terrains dans des régions où la sécurité et le calme prévalent»

L’enjeu autour des terrains à bâtir a toujours été au centre des problématiques sociales et économiques à Maurice, accentué par l’insuffisance d’offres et leur coût. Le président de l’Estate Agents Association, Laval Savreemootoo, attribue également la montée vertigineuse des prix des terrains dans certaines régions de l’île à la surenchère engendrée par les offres des Mauriciens expatriés.

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Comment le secteur de l’immobilier a-t-il repris après la crise engendrée par la Covid-19 et la guerre en Ukraine ?
Comme de nombreux autres grands secteurs, le secteur de l’immobilier a été à l’arrêt en raison de la crise économique engendrée par la Covid-19, ce qui avait contracté notre économie par environ 15 %. Le confinement a privé d’un seul coup la plupart des chantiers de construction, grands, moyens et petits de travailleurs de même que de matériaux de construction. Des personnes qui avaient contracté des prêts immobiliers auprès des banques ont été dans de grandes difficultés : d’une part, leurs projets de construction étaient en suspens, ou n’avaient pu voir le jour et, d’autre part, ils ne percevaient plus de salaires pour rembourser ces mêmes prêts. Mais, je crois que les banques leur avaient accordé des moratoires. Ça a été une crise économique inédite parce que celle de 2007-2008 n’était pas une crise sanitaire. Tout le monde s’était posé la même question : quand allions-nous mettre au point un vaccin contre la Covid-19 ?

Quels sont les principaux facteurs qui ont permis la reprise ?
La découverte d’un vaccin, suivie de plusieurs autres, la campagne de vaccination de même que les soutiens aux salaires et aux entreprises et le télétravail ont favorisé le retour au travail. Dans notre secteur, le remboursement de 5% du frais de l’enregistrement jusqu’à un plafond de Rs 500 000 a grandement contribué à la reprise, et avec un intérêt dérisoire des banques, les Mauriciens ont pu investir dans l’achat d’un bien immobilier plutôt que de placer leur argent dans une banque. La crise économique provoquée par la pandémie de Covid-19 avait créé un véritable climat d’incertitude caractérisé par le manque de visibilité dans les affaires. 

…il existe des communautés de notre pays qui recherchent des localités spécifiques pour acheter des terrains à bâtir. Je pense que c’est une forme d’instinct grégaire qui les pousse à se retrouver entre elles dans un même endroit…»

Durant la crise, le gouvernement a maintenu ses grands travaux d’infrastructures routières et ceux du Metro Express. Quel peut être l’impact du tramway mauricien sur le secteur de l’immobilier ?
L’extension du Metro Express jusqu’aux régions rurales va donner naissance à de nouvelles villes, mieux pensées, structurées, intégrées et tenant en ligne de compte les enjeux environnementaux. Il y a des espaces pour y arriver et avec moins de problèmes concernant le rachat obligatoire de terres pour la voie ferrée. Il y aura de réelles perspectives d’emplois dans différents piliers de notre économie. Je pense que ces nouveaux espaces de vie/travail/loisirs vont valoriser les terrains ruraux. Il faudra s’attendre à des conversions de petits lots de terrains agricoles en terrains résidentiels avec des prix à la portée des bourses mauriciennes. Cela dit, dans l’immédiat, je ne constate pas beaucoup d’engouement de la part des Mauriciens d’aller habiter dans des régions rurales, cela étant dû à l’absence d’infrastructures et peut-être en raison d’une certaine réalité culturelle et confessionnelle. Les préférences restent les mêmes, notamment dans certaines villes comme Quatre-Bornes où les prix des terrains ont connu des hausses vertigineuses. Mais, il n’y a plus beaucoup de terrains à vendre dans ce coin. En revanche, dans la région de Beaux-Songes, il y a encore des terres.

Pourquoi parlez-vous de « réalité culturelle et confessionnelle » ?
Il faut savoir qu’il existe des communautés de notre pays qui recherchent des localités spécifiques pour acheter des terrains à bâtir. Je pense que c’est une forme d’instinct grégaire qui les pousse à se retrouver entre elles dans un même endroit.

L’enjeu environnemental est-il pris en compte par les professionnels de l’immobilier ?
En effet, depuis ces dix – et plus - dernières années, lorsque de grosses inondations meurtrières sont intervenues, il y a eu la promulgation des règlementations ainsi que l’établissement des régions à risque d’inondation. Aujourd’hui, les agents immobiliers accrédités connaissent ces régions, sauf les agents dits ‘marrons’. Si cette cartographie de régions à problèmes a été bien accueillie, elle a, en revanche, déçu certaines personnes ou familles qui voient désormais leurs terres classées comme ‘non-résidentielles’ ou ‘marécageuses’. Certains ont eu plus de chance pour avoir réussi à vendre leurs terrains à problèmes avant cette classification. Ce sont les acheteurs qui ont hérité de ces ‘bébés’ désormais classées ‘non-résidentielles’ alors qu’ils pensaient peut-être investir dans un bien dont le prix ne ferait que prendre l’ascenseur année après année. 

Un autre exemple : les terrains vendus sur le flanc de la montagne à Tamarin. À l’époque, la loi permettait les constructions sur des terrains avec des pentes de 30 degrés. Plus aujourd’hui ! La loi a revu la pente à 20 degrés. Est-ce que les autorités ont agi par principe de précaution ou redoutent-elles, avec le réchauffement climatique et la montée des eaux de l’océan, des menaces aux populations côtières ?

L’extension du Metro Express jusqu’aux régions rurales va donner naissance à de nouvelles villes, mieux pensées, structurées, intégrées et tenant en ligne de compte les enjeux environnementaux.»

Vous faites état d’agents immobiliers ‘marrons’. Sont-ils une menace pour les professionnels ?
Ce sont des courtiers qui agissent souvent en petits groupes organisés et qui n’ont aucune existence légale et, bien entendu, ne possèdent ni bureau ni personnel. Ils ont peut-être un emploi fixe mais leur deuxième emploi comme ‘courtier’ leur permet de toucher des sommes rondelettes. Chaque matin, ils consultent les petites annonces dans la presse et se mettent en contact avec les vendeurs de biens immobiliers, leur promettant de leur trouver des clients sans toucher une commission en pratique par les agents accrédités. À partir de là, commence un enchaînement de surenchères. Le ‘courtier’, face à un premier client, lui affirme qu’il est déjà en présence de deux ou trois autres clients et qu’il serait mieux avisé qu’il (le premier client) fasse un dépôt avant les autres. Comme je viens de vous le dire, le ‘courtier’ ne connaît pas l’état du terrain mis en vente ni l’endroit où il est situé. Il n’est pas rare que des courtiers travaillent de mèche avec certains notaires qui savent où se trouvent des terrains sur lesquels il n’y a pas de réclamation depuis des années.

De telles transactions, par ailleurs, ne permettent pas de connaître l’identité d’un acheteur, notamment de savoir s’il se sert d’un investissement dans un bien immobilier pour blanchir de l’argent mal acquis. Mais, depuis 2020, le secteur est sous étroite surveillance des autorités qui ont mis en place des mécanismes de traçabilité qui permettent de vérifier l’origine de capitaux engagés dans des projets immobiliers. Des enquêtes à l’étranger ont révélé que toutes les professions au cœur d’échanges financiers – agents immobiliers, avocats, banques, notaires, experts-comptables, opérateurs de jeu -, sont spécifiquement impliqués dans la lutte contre le blanchiment d’argent. Moi-même j’avais été appelé à fournir des explications sur notre métier devant des spécialistes étrangers lorsque l’île Maurice avait été inscrite sur la liste noire de l’Union européenne. Depuis, à chaque étape de l’acquisition d’un bien immobilier supérieur à Rs 500 000, il faut que chaque partie, de la banque au notaire, entre autres, fasse un exercice de vérification. À ce jour, je suis satisfait qu’il existe un ‘due diligence’ dans notre métier mais je ne crois pas que les courtiers ‘marrons’ se plient aux normes en vigueur à la Real Estate Agent Authority Act 2020.

Les Mauriciens investissent-ils dans les terres ou dans les appartements ? Et quelles sont les régions qu’ils privilégient ? 
Ils préfèrent investir dans des terrains car cela leur permet de construire leurs maisons selon leurs goûts. Les régions qu’ils préfèrent sont les régions côtières et les villes. Mais la réalité est plus nuancée : ils cherchent des terrains dans des régions où la sécurité et le calme prévalent. C’est sans doute le premier critère qu’ils retiennent et c’est aussi un des facteurs qui expliquent la cherté des terrains à bâtir. Dès qu’une région, un coin, une rue commence à se faire une réputation en trafic de drogues ou a été le spectacle d’un crime ou encore de cambriolages récurrents, le coût des terres ou logements qui s’y trouvent dégringole même si cette région se trouve dans le faubourg d’une ville. Depuis ces vingt dernières années, l’enjeu sécuritaire est devenu central dans les transactions immobilières. C’est pour cette raison que les ‘gated areas’ connaissent une grande demande même si leurs prix ne sont pas toujours accessibles.

Mais les jeunes couples professionnels sont disposés à s’endetter sur le long terme pourvu qu’ils aient la certitude d’être en sécurité. Quant aux appartements, il n’y a pas longtemps, ils peinaient à trouver preneurs. Mais depuis la fin du confinement et avec la reprise, ces immeubles connaissent un certain engouement en raison de la cherté des terrains à bâtir, leur insuffisance et les facilités de prêts offerts par les banques. Il y a aussi l’aspect sécuritaire offert par la vie en appartements. De plus en plus, on voit apparaître des appartements de haut standing vendus sous la formule VEFA (vente en l’état futur d’achèvement), et qui sont parfois construits proches du littéral. Ce sont souvent des résidences secondaires acquises par des locaux ou des expatriés qui les louent durant la saison estivale. Ce sont des placements utiles dans un pays qui est caractérisé par le manque de terrains à bâtir et une économie en croissance.

La terre reste toujours un meilleur placement à Maurice, mais il n’existe, malheureusement, aucun mécanisme pour contrôler les prix et cela pénalise ceux qui souhaitent acquérir un bout de terrain.»

Quelle est la part des expatriés mauriciens dans les achats des terres à Maurice ? Sur quelles régions ces derniers portent-ils leurs préférences ? Y a-t-il des risques qu’ils agissent sur les coûts des terrains compte tenu qu’ils ont les moyens ?
Bien sûr. Cela ne date d’hier et ils ne sont pas les seuls. Les Mauriciens installés à l’étranger, comme vous le dites, ont fait des économies et ils sont nombreux ceux de la première génération partis en France et en Angleterre dans les années 70-80, qui veulent construire une maison à Maurice ou acheter un appartement vu qu’ils sont habitués à la vie en appartement en France ou en Angleterre. Lorsqu’ils sont en vacances à Maurice, ils veulent rapidement conclure l’achat d’un terrain, avec de l’argent à leur disponibilité. Il leur arrive d’offrir la somme réclamée par un vendeur sans trop chercher à connaître le prix exact du terrain. C’est comme ça qu’ils contribuent à la surenchère, laissant peu de chances aux nationaux d’acquérir des terrains. Auparavant, les terres à bâtir étaient à la portée des locaux mais cela est devenu de plus en plus irréalisable. Les personnes les plus affectées sont celles issues des classes moyennes, les classes au bas de l’échelle peuvent elles compter sur les logements sociaux construits par le gouvernement. Mais, depuis ces dernières années, le gouvernement met à la portée des classes moyennes un certain nombre de maisons avec un bout de terrain, les banques et les assurances les aidant également avec des prêts calculés sur leurs revenus. 

Est-ce que Maurice a retrouvé son attractivité auprès des investisseurs étrangers dans le domaine de l’immobilier ?
Oui et il n’y a qu’à voir les récentes ventes de villas dans l’Ouest de Maurice ! Les agences immobilières étrangères implantées chez nous ont retrouvé leur dynamisme après la Covid-19 et il faut dire que l’île Maurice jouit d’une belle image auprès des ressortissants sud-africains et français qui connaissent très bien notre pays. Le fait que l’île Maurice jouit d’un climat favorable avec un bel littoral et un arrière-pays attrayant de même qu’une stabilité politique, économique et sociale, a grandement contribué à relancer les investissements étrangers dans notre secteur de l’immobilier.

Lorsqu’ils (les expatriés mauriciens) sont en vacances à Maurice, ils veulent rapidement conclure l’achat d’un terrain, avec de l’argent à leur disponibilité. Il leur arrive d’offrir la somme réclamée par un vendeur sans trop chercher à connaître le prix exact du terrain.»

Estimez-vous qu’il pourrait exister à l’avenir un véritable enjeu autour de l’immobilier ?
Cet enjeu existe depuis des années ! Il ne fait que s’accentuer et il s’incarne surtout au sein des classes moyennes dont les revenus ne leur suffisent pas pour acquérir un terrain et pour y construire leurs maisons. Ces classes-là sont souvent issues des régions urbaines et elles ne sont pas encore prêtes à déménager de ces régions pour les raisons que j’ai citées plus haut. Je crois qu’il importe au gouvernement de procéder à des acquisitions obligatoires de terrains dans des régions excentrées et de les vendre à des prix accessibles en recourant aux services des petites agences immobilières. Ce serait là un moyen de nous aider car nous sommes exclus des grands projets immobiliers conçus et réalisés par les conglomérats qui possèdent des terrains sucriers. L’État doit déployer les mêmes moyens auxquels il avait recours pour le projet du Metro Express lorsqu’il avait racheté des terrains privés pour la ligne ferroviaire. Ce n’est qu’avec une telle ambition que des personnes issues des classes moyennes pourront acquérir des terrains à bâtir à des prix accessibles. 

Le coût des terrains à construire reflète-t-il la réalité à Maurice ?
Non, car les prix ne cessent de grimper et les Mauriciens qui ont les moyens achètent pour leurs enfants et d’autres attendent que les prix augmentent pour revendre des parties de leurs terres. La terre reste toujours un meilleur placement à Maurice, mais il n’existe, malheureusement, aucun mécanisme pour contrôler les prix et cela pénalise ceux et celles qui souhaitent acquérir un bout de terrain…

Composition du Managing Committee de l’Estate Agents Association

L’association a tenu récemment son assemblée générale. Voici les membres qui ont été élus à l’occasion. 

  • Président : Laval Savreemootoo
  • Vice-Président : Mahendranuth Poligadoo
  • Secrétaire : Arveen Ramphul
  • Assistant-secretaire : Yogendrah Boodadoo
  • Trésorier : (Mme) Rajkoomaree Vyravene
  • Assistant-trésorier : Ashvin Bukhory
  • Membre : Kevin Dukhira
 

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