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Inondations dans la capitale : pourquoi peinons-nous à trouver une solution durable ?

Cette mini-cooper a été piégée par la montée des eaux, dimanche lors des grosses averses.
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À chaque averse torrentielle, des régions se retrouvent submergées par la montée subite des eaux. Port-Louis et ses environs, notamment Tranquebar, en font les frais. Lors des dernières pluies diluviennes, la situation a dégénéré avec l'effondrement d'une maison. Une question s'impose : pourquoi avons-nous tant de difficultés à trouver des solutions durables pour limiter les risques dans la capitale ?

Comme l'ont longtemps averti les experts, nous sommes désormais en pleine crise climatique. Les effets se font cruellement ressentir à Maurice, avec des épisodes de pluies torrentielles soudaines et des records de précipitations. En témoignent les 302 mm d'eau tombés à Albion en seulement 9h30 dimanche dernier, ou encore les 183 mm, 194 mm, et 162 mm enregistrés respectivement à Bell Village, au Champ-de-Mars et Line Barracks à Port-Louis.

Port-Louis et ses environs, notamment Tranquebar, subissent de plein fouet les effets du changement climatique, avec des inondations récurrentes qui causent des dommages importants aux habitations, commerces et infrastructures. Les deux derniers épisodes en date, liés au passage de la tempête Belal en janvier et aux pluies torrentielles de dimanche dernier, illustrent la gravité de la situation.

Face à cette urgence, une question cruciale se pose : pourquoi des solutions durables ne sont-elles toujours pas mises en place pour limiter les risques d'inondation dans la capitale et ses environs ? L’ingénieur en environnement et océanographe, Vassen Kauppaymuthoo, le dit depuis un moment et le maintient : Port-Louis deviendra inhabitable à la longue. 

Zone inondable 

“Port Louis ressemble à une cuvette entre les montagnes et la mer. La zone est inondable depuis longtemps. Des drains avaient été construits sous le règne de Mahé de Labourdonnais il y a 300 ans, car il y avait déjà des zones inondables. Avec l'industrialisation et le développement urbain, ce problème a été exacerbé”, explique-t-il. 

Ville comblée sur la mer 

Il rappelle que la mer arrivait jusqu’au Champ de Mars autrefois et a été comblé avec des méthodes rudimentaires, utilisant des roches et des coraux. “Port Louis, une ville bâtie sur la mer, se trouve maintenant à un niveau plus bas. Depuis les années 1950 jusqu'à aujourd'hui, le niveau de la mer a augmenté de 40 à 50 centimètres. À l'époque française, les matériaux de base étaient utilisés, les bâtiments étaient en bois et moins lourds. La valeur de la terre a augmenté avec la construction de grands bâtiments, mais cela a conduit à un affaissement de Port-Louis”, renchérit notre interlocuteur. 

Montée de la mer 

Vassen Kauppaymuthoo appuie ses dires en faisant mention de fissures qui sont apparues au Caudan, là où l'on marche, entre la mer et les passages. “ Il y a des bâtiments qui montrent des signes de fissures. La ville de Port-Louis dépasse sa capacité sur un terrain comblé de manière sommaire. Avec une montée de la mer de 5,8 mm par an, Port-Louis se trouve dans une situation de « squeeze » côtier. Lors de cyclones, le niveau de la mer monte, l'eau est canalisée à travers les canaux depuis la mer, descend de la montagne, mais les forêts détruites augmentent la vitesse de l'eau”, poursuit notre interlocuteur. 

Zone sinistrée

Il ajoute que les drains sous l’ère de Mahé Labourdonnais ont été bloqués, et lorsque l'eau descend, elle rencontre l'eau de la mer”. Considérer Port-Louis comme une zone sinistrée est nécessaire. On parle beaucoup de drains, mais ils ne sont pas conçus pour drainer la mer. Lorsque le niveau de la mer monte, les drains apportent de l'eau en ville, aggravant le problème”, met en avant l’ingénieur en environnement. 

Menace 

Vassen Kauppaymuthoo indique que d'ici 2050, le niveau de la mer pourrait atteindre celui du Parlement. “Toutes les infrastructures sont menacées dans ces environs. La seule solution est la relocalisation des habitants. On ne peut pas lutter contre la montée de la mer. Si on conçoit les drains pour une pluviométrie de 100 mm par heure et que la pluie atteint 300 mm, ils déborderont et les inondations marines seront plus conséquentes, comme à Jakarta. Il n'y a pas d'autres solutions pour Port-Louis que la relocalisation des habitants”, préconise-t-il, sachant que cela ne pourra pas se faire du jour au lendemain.

Mauvaise planification urbaine 

Vassen Kauppaymuthoo souligne de plus que nous devons reconnaître que la nature est plus forte, la mer monte avec l'augmentation de la pluviométrie, qui a déjà atteint des niveaux records. Il évoque aussi la destruction de la végétation qui n’arrange pas les choses. « Port-Louis est un exemple désastreux de planification urbaine. Dans de grandes villes comme Paris et Londres, il y a des parcs, mais Port-Louis est entièrement bétonnée. La ville est devenue un grand drain, exposée à ces dangers”, fait-il ressortir. 

La maison des Ramsahaye s'est effrondrée dimanche.
La maison des Ramsahaye s'est effrondrée dimanche.

Drains mal entretenus 

Le député du No. 2 (Port-Louis Sud- Port-Louis Central) et ingénieur civil de formation, Osman Mahomed, explique que si nous réalisions un inventaire de tous les drains, on verrait des roches et de la boue. “Cela s’est accumulé. Je crois qu'il est primordial de remédier à cela en premier lieu”, estime-t-il. 

Osman Mahomed souligne que la performance d'un drain dépend de trois facteurs : la pente, les dimensions (largeur et profondeur), et sa surface lisse. “Malheureusement, de nombreux gros drains à Port-Louis sont mal entretenus. Les anciens canaux, auparavant efficaces, sont désormais obstrués, notamment par les slabs qui les recouvrent. Leur entretien est devenu ardu, les travailleurs peinant à les nettoyer”, avance notre interlocuteur. 

Négligence 

Il blâme la mairie de Port-Louis pour ce qu’il qualifie de “négligence”. Il déplore aussi la présence d’obstructions sur des ponts. Il cite KFC et le parking de Rogers pour appuyer ses dires. “L'impact du métro, particulièrement sur la zone de Caudan, doit être surveillé de près. Nous devons nous assurer que le tracé ne bloque pas des drains et provoque des accumulations d'eau”, fait ressortir le parlementaire. 

Osman Mahomed se désole de plus que de nombreux espaces verts ont été transformés en surfaces dures, perdant ainsi leur fonction d'absorption des eaux de pluie. “Le Champ de Mars, autrefois un grand espace vert, est maintenant asphalté pour servir de parking, ce qui aggrave la situation. Je me suis moi-même mobilisé en lançant une pétition, mais le gouvernement n'a pas réagi. Malheureusement, les eaux de pluie continuent de s'accumuler en direction du centre-ville, particulièrement dans les zones sujettes aux inondations comme Tranquebar”, fait-il mention.

Concernant le cas des habitants de Tranquebar, le parlementaire dit avoir écrit à la PPS Sandra Mayotte pour exprimer ses inquiétudes. “Elle a parlé de développement sauvage dans la région. J’espère qu’elle ne dit pas cela pour les habitants. Il est essentiel que cela soit pris en compte, car les habitants vivent là-bas depuis des décennies. Ils n’ont jamais rencontré de problèmes, jusqu'à ce que des travaux soient entrepris”, met en exergue notre interlocuteur. 

Supervision 

Pour Osman Mahomed, il est impératif d'avoir une supervision adéquate et des discussions constructives sur ces questions. “Malheureusement, les députés, dont moi-même avec un bagage d’ingénieur, ne sommes pas suffisamment impliqués, et les conséquences en sont visibles”, s’indigne-t-il. 

Concernant les dégâts causés, notamment à une maison qui s’est effondrée avec la montée des eaux, le parlementaire pense que “c’est inacceptable que les contribuables aient à payer pour des travaux mal réalisés. Chacun doit prendre ses responsabilités”, affirme-t-il. Ce dernier lance aussi un appel aux personnes de ne pas disposer des déchets comme des matelas et autres n’importe où, car cela bloque le flux de l’eau quand il pleut. 

À la source 

Sunil Dowarkasing déclare qu’à Port-Louis, qui est la proie des eaux lors des pluies torrentielles, des mesures correctives sont nécessaires et doivent être prises dès la source. “Il est crucial de commencer par la source pour éviter que l'eau ne descende en installant des puits d’absorption au pied des montagnes. Tant que cela n'est pas fait, il n'y aura pas de garantie que les drains auront la capacité d'évacuer l'eau. Il est nécessaire d'aborder le problème de manière holistique plutôt que par des mesures fragmentées, sinon les problèmes persisteront. L'agrandissement des canaux peut aider, mais ne résoudra pas entièrement le problème”, plaide notre interlocuteur. 

L’environnementaliste souligne que les constructions sur les flancs des montagnes bloquent le flux naturel de l'eau, créant ainsi des obstacles aux cours d'eau. “Il faut adopter une approche holistique et non pas venir avec des mesures piece-meal. Il est grand temps de trouver une solution à ce problème de construction illégale sur les montagnes. Cela impacte sur les descentes d’eau quand il pleut”, déclare-t-il.

Reboisement 

Sunil Dowarkasing recommande aussi le reboisement massif des flancs de montagnes pour augmenter leur capacité d’absorption. « Si ce n’est pas fait, les problèmes persisteront. Nous entrons dans une crise climatique et les effets seront encore plus intenses. Il faut prendre les mesures qui s’imposent sinon ce sera un problème majeur à Maurice. »

Abondant dans le même sens que Sunil Dowarkasing, Hurrydeo Bholah, ancien Chief Project Manager de la National Development Unit (NDU), concède que trouver des solutions pour Port-Louis est « un défi de taille ». « Déplacer les habitants et les bâtiments peut être une option, mais elle est difficile à mettre en place. Il y a aussi la construction des maisons sur les flancs des montagnes qui n’est pas réglementée. Les inondations soudaines provenant des montagnes peuvent être un problème majeur à cause de cette mauvaise planification », avance notre interlocuteur. 

Études approfondies 

Pour lui, mener des études approfondies pour comprendre pleinement le problème est de rigueur. « Nous savons que lorsqu’il pleut, l’eau descendra vers Port-Louis. Il n’y a pas assez de rivières, seulement le ruisseau du Pouce et un ruisseau près des Casernes centrales, qui ne suffisent pas à drainer toute l’eau. Des solutions doivent être envisagées pour empêcher autant que possible l’eau de descendre des montagnes et pour réduire au minimum l’eau qui se déverse à Port-Louis », estime-t-il. 

Propositions 

Hurrydeo Bholah poursuit qu’il y a des propositions comme le drain de dérivation à Champ de Mars, ou encore l’aménagement de cut-off drains pour évacuer les eaux vers le Canal Anglais. « Ces inondations récurrentes de la capitale montrent qu’il faut de sérieuses réflexions, des propositions et des plans. Il est temps d’agir », lance-t-il. 

Expertise

Il relate que des experts étrangers avaient été consultés pour surveiller les travaux en 2013 après les inondations meurtrières. « Il est peut-être nécessaire d’importer davantage d’expertise extérieure pour trouver des solutions efficaces. Il faut penser en dehors des sentiers battus et envisager des solutions innovantes. La construction de murs de soutènement à Tranquebar n’a pu résister à de fortes pluies en mars et avril derniers. » Hurrydeo Bholah recommande une réflexion de haut niveau et de l’expertise de spécialistes qui savent comment gérer de telles quantités d’eau de pluie. Selon lui, une étude détaillée, un modèle actif, pourrait nous fournir un plan précis pour faire face à ces défis.


Marque d’inondation de 20 cm 

Le ministre des Infrastructures nationales soutient que tous les scénarios possibles pour les mesures d’atténuation des inondations ont été étudiés et les mesures structurelles suivantes ont été recommandées pour atténuer les inondations dans le centre-ville de Port-Louis. Selon Bobby Hurreeram l’impact des inondations notées le 21 avril 2024 était beaucoup moins important que celui des inondations du 30 mars 2013. 

« Au Caudan Waterfront, en 2013, le long de l’autoroute M1, une marque d’inondation de 900 mm a été enregistrée, ce qui a entraîné la capture de plusieurs véhicules et a également causé des pertes de vies. Alors que le 21 avril 2024, une marque d’inondation d’environ 20 cm a été enregistrée pour une intensité de pluie plus élevée », a-t-il mis en avant. « Ces résultats témoignent que nos efforts pour atténuer les inondations dans la région de Port-Louis ont été efficaces. »

Bobby Hurreeram dit que le gouvernement ne ménage aucun effort pour mettre en œuvre toutes les mesures techniquement réalisables pour atténuer les dommages des inondations à Maurice. « Le problème des inondations est examiné de manière scientifique et holistique, contrairement à une approche localisée. » « Il n’existe pas de politique 'dry feet’ pour lutter contre les inondations. Aucun gouvernement ne peut éliminer l’impact ou le risque d’inondation et de changement climatique. Nous ne pouvons que mettre en œuvre des mesures d’atténuation, et c’est ce que nous avons fait avec les 539 projets », précise-t-il. 

Inondations du 30 mars 2013 : de nombreuses failles relevées

Il ne devrait jamais y avoir eu d’inondations à Port-Louis si le réseau de drainage avait fonctionné correctement. C’est ce qu’avait conclu une équipe de consultants, experts en génie civil. Leurs services avaient été retenus pour une étude des drains et des canalisations. C'était dans le cadre de l’enquête judiciaire sur la mort de dix personnes lors des inondations du 30 mars 2013. Celle-ci était présidée par la Senior District Magistrate Ida Dookhy Ramabarun.

Les constats

  • Le « cut-off drain » à la montagne des Signaux était insuffisant, pas assez profond et pas bien entretenu.
  • Dans certains endroits, les drains n’étaient pas revêtus. De nombreux drains avaient subi des dommages physiques comme des fissures dans les canaux revêtus de béton et des pierres désolidarisées dans les drains revêtus de pierres. Et ces dommages attiraient des débris qui entravaient l’écoulement de l’eau.
  • Après l’inondation, environ 300 tonnes de débris et d’ordures ont été retirées des drains. Il y avait des débris comme des matelas, de vieux réfrigérateurs, des feuilles de tôle, des sacs en plastique, des bouteilles et de la végétation qui obstruaient le cours d’eau et réduisaient la vitesse d’écoulement. Ce qui a provoqué un effet de contre-courant entraînant un débordement.
  • Un entretien insuffisant des drains à Port-Louis. Les drains auraient dû être entretenus régulièrement, ce qui n’a pas été le cas.
  • Un manque de coordination entre les autorités pour l’entretien des drains. 
  • Lors des travaux de remblayage, dans le cadre du développement du front de mer, les autorités n’étaient pas informées de la présence de deux drains pour évacuer les eaux de ruissellement de surface arrivant à la Place D’Armes. Ces drains n’étaient pas du tout entretenus et n’étaient pas utilisés à leur pleine capacité.
  • Le taux de percolation du sol avait été réduit avec la construction de nombreux bâtiments. Les espaces verts disponibles pour permettre une infiltration naturelle des eaux pluviales dans le sol étaient quasi inexistants. 
  • Plusieurs propriétés déversent leurs eaux pluviales provenant des toits et des cours sur la route immédiatement devant leur bâtiment. 
  • Des travaux routiers et l’asphaltage de la route ont affecté la géométrie des drains, entraînant des drains presque plats et insuffisants pour évacuer l’eau en aval. 

Présence de structures sur des cours d’eau

Selon le rapport de la Senior District Magistrate Ida Dookhy Ramabarun, des structures réduisaient la section transversale des canaux à divers endroits le long du cours d’eau Le Pouce et du canal Le Pouce. « Des piliers en béton soutenant des ponts ou des dalles couvrant les canaux, des manholes et des rampes construites le long des drains ont été constatés. Des conduits de la Central Water Authority, de la Waste Water Management Authority et de Mauritius Telecom traversaient les canaux d’eau. »

La capacité de certains drains, poursuit la magistrate dans son rapport, avait été réduite en raison de la structure des pavés ou de la pousse des végétations. « Des constructions illégales par les citoyens sur les drains ou à côté des drains existants ont dévié ou obstrué le cours d’eau. » 

Les constructions autorisées sur les drains avaient surtout retenu l’attention. Ce qui, selon la magistrate, n’aurait jamais dû être le cas. « Par exemple, par une loi à l’Assemblée nationale, la construction du bâtiment KFC sur La Chaussée a été autorisée sur un drain principal, le canal Le Pouce, qui recueille toute l’eau d’un drain existant de la rue SSR jusqu’à la mer. La fondation du bâtiment repose sur le drain et crée un obstacle à l’écoulement de l’eau. »  

D’autres constructions, comme l’espace couvert du parking d’Air Mauritius et l’espace couvert du parking de Rogers avaient aussi été constatées. Des colonnes en béton avaient été érigées dans le cours d’eau. 

Il avait été recommandé que le bâtiment abritant le KFC de La Chaussée, construit sur le canal Le Pouce, soit déplacé. Il avait aussi été recommandé que les constructions comme l’espace de parking d’Air Mauritius et celui du bâtiment de Rogers soient enlevées afin de faciliter l’écoulement de l’eau. 

 

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