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Nathaniel Tsang Mang Kin : «Le Bitcoin s’apparente à l’or et constitue une très bonne réserve de valeur»

Depuis plus d’une décennie, les Mauriciens n’ont plus besoin d’argent liquide pour effectuer certains paiements ou achats. Et les banques ne font qu’accentuer le recours à la monnaie électronique. Parmi les autres formes de monnaie ‘non-conventionnelle’, existent les crypto-monnaies, le Bitcoin étant le plus ancien suivi d’Ethereum et d’Arbitrum. Encore mal connu à Maurice, le Bitcoin serait cependant utile à l’économie mauricienne, d’une part « comme moteur d’innovation et, d’autre part, comme avenir de la finance, explique Nathaniel Tsang Mang Kin, Head of Financial Operations chez Stewards Investment Capital.

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Où en sont les débats et initiatives concernant l’introduction de la monnaie numérique – ou crypto-monnaie – dans le circuit financio-bancaire à Maurice, la Banque de Maurice (BoM) ayant déjà annoncé une mesure dans ce sens ?

Pour commencer, traçons une ligne de différenciation claire entre la monnaie numérique et la crypto-monnaie :

• La monnaie numérique est une monnaie émise par un gouvernement ou une Banque centrale au format électronique. Un exemple simple est l’argent qui est transféré à l’aide d’applications digitales comme les Central Bank Digital Currencies (« CBDC »). 
• Les crypto-monnaies, quant à elles, comme on les appelle couramment, sont des actifs numériques qui nécessitent une blockchain décentralisée pour être transférés d’un particulier à un autre. Ces actifs numériques, comme le Bitcoin, n’ont pas besoin d’organisme légal pour être achetés ou vendus.
Vous pouvez acquérir le Bitcoin sans l’autorisation d’un organisme juridique, tandis que vous devez être autorisé par un régulateur pour effectuer des transactions avec les CBDC.

Il existe une certaine réglementation au niveau de la Financial Services Commission (« FSC ») par le biais de la Virtual Asset and Initial Token Offering Act de 2001, mais la mise en œuvre locale n’a pas suivi le rythme du développement de l’industrie globale de la crypto-monnaie.

Quel niveau de compréhension de la crypto-monnaie et de son utilité, ou pas, a-t-on atteint à Maurice ?

Malheureusement, l’île Maurice en est encore au niveau où l’écrasante majorité considère la crypto-monnaie comme un gadget de nouveauté au mieux ou comme un actif spéculatif douteux au pire.

Cependant, parmi les minorités, deux principales écoles de pensée émergent quant à l’utilité des crypto-monnaies dans le contexte mauricien. D’une part, la vision de la technologie comme moteur d’innovation et, d’autre part, celle des crypto-monnaies comme l’avenir de la finance.
Les startups dans le développement de la crypto-monnaie ont levé la somme stupéfiante de 33 milliards de dollars en 2022 et plus de 10 milliards de dollars en 2023, et 2024 va être une année record avec la mise en œuvre des ETF Bitcoin aux États-Unis.

Si Maurice arrivait à prendre les mesures nécessaires pour devenir un centre pour le développement de la technologie de crypto-monnaie ou un centre financier pour la crypto-monnaie, un simple fragment de ces flux suffirait à augmenter significativement le Foreign Direct Investment (« FDI ») contribuant ainsi à la relance de l’économie mauricienne.
 
Quelles sont les conditions qui pourraient favoriser l’investissement dans la crypto-monnaie à  Maurice ?

La réponse courte est l’octroi de licences et les services bancaires, bien sûr, dans l’optique que les directives soient bien définies et respectées.
Le positionnement marketing du cadre législatif mauricien en ce qui concerne les crypto-monnaies a été très efficace, attirant de nombreux acteurs influents de l’industrie au fil des années. Cependant, en l’absence de soutien pour sa mise en œuvre opérationnelle, bon nombre d’entre eux sont repartis ou ont simplement choisi de se tourner vers des juridictions plus proactives, telles que Dubaï ou Singapour.

Le positionnement marketing du cadre législatif mauricien en ce qui concerne les crypto-monnaies a été très efficace, attirant de nombreux acteurs influents de l’industrie au fil des années.»

Même Hong Kong, qui avait interdit les crypto-monnaies à la suite des directives du gouvernement chinois il y a cinq ans de cela, a fait marche arrière l’année dernière. Et ce, à la demande du même gouvernement chinois qui oblige les régulateurs de Hong Kong à délivrer des licences et les banques à servir les détenteurs de ces licences.
 
Dans l’ensemble, quelle est la position du milieu financier et bancaire sur cette innovation monétaire, compte tenu qu’il n’existe à ce jour aucun document officiel sur un tel projet ?

L’île Maurice applique l’un des plus hauts degrés de conformité réglementaire opérationnelle dans le monde entier.
La rigidité avec laquelle opèrent nos administrateurs dans le secteur financier est la raison pour laquelle nous sommes le pays le plus digne de confiance en Afrique et pourquoi les grandes entreprises et les HNWIs (high net worth individuals) du monde entier viennent manager leur trésorerie et leurs atouts ici.

Cependant, cette rigidité est aussi une arme à double tranchant qui crée une atmosphère où il est très difficile d’innover sans règles gravées dans le marbre : on a une législation pour les crypto-monnaies, mais on a une absence de directives des régulateurs. 

Ainsi, la position générale dans le secteur financier et bancaire est qu’ils ne traiteront pas avec la crypto-monnaie ou des sociétés de crypto-monnaie sans aucune directive claire de la BoM et de la FSC.
 
Quels sont les aspects qui vous paraissent les plus importants concernant l’émission de la crypto-monnaie, notamment en termes de régulations afin de rassurer la stabilité financière et d’éviter les arnaques, à l’exemple du hacking sur la plateforme d’échange japonaise CoinCheck ?

Tout d’abord, le piratage n’est pas un problème lié qu’aux crypto-monnaies. Rien que l’année dernière, plus de 3 200 failles de sécurité ont été enregistrées par des sociétés cotées aux États-Unis avec plus de 340 millions de victimes confirmées, et personne ne fait pression pour fermer l’internet.
Le piratage des crypto-monnaies est très accentué car nous avons tendance à être toujours plus critiques vis-à-vis des nouvelles technologies.
Cependant, la cause de ces arnaques reliées à la crypto-monnaie est souvent la même : l’utilisation d’opérateurs clandestins ou comme on les appelle dans l’industrie, les sites d’exchange cow-boy.

Mais pour être constructif sur cette question, si l’investisseur mauricien moyen était en mesure d’accéder aux crypto-monnaies auprès de courtiers institutionnels réglementés qui disposent de l’infrastructure de garde appropriée, cela diminuerait l’affluence de ces sites douteux.
Le plus vite que les régulateurs autorisent nos opérateurs financiers mauriciens à desservir les investisseurs mauriciens, le moins gros sera le problème de piratage et d’arnaque.
 
Dans quelle mesure la crypto-monnaie peut-elle être au service de l’économie de Maurice et son secteur financier ?

Pour réitérer mon point précédent, les crypto-monnaies font partie de l’avenir de la finance.
En tant que nation insulaire, nous avons beaucoup à gagner à innover et à agir plus rapidement que les pays plus grands et moins agiles.
Nous pourrions délivrer des licences aux entreprises de crypto-monnaie qui les obligeraient à embaucher localement, créant ainsi des emplois bien rémunérés pour les Mauriciens recherchant des opportunités dans ce secteur.

Les crypto-monnaies sont là pour combler le vide qui existe entre les États et les organisations supranationaux qui refusent de traiter avec des pays spécifiques pour des raisons politiques.»

Nous pourrions accorder des permis de séjour aux investisseurs en crypto-monnaie, ce qui augmenterait indirectement le PIB généré par le secteur des services.
Nous pourrions faciliter la relocalisation des sièges sociaux des plus grandes entreprises de crypto-monnaie à Maurice, créant ainsi un hub qui attire les talents du monde entier ici, et avec lui tous les avantages financiers qui en découlent.

Tout cela attirerait les devises étrangères et inverserait la dépréciation de la roupie qui s’accélère avec l’augmentation de la consommation des produits étrangers et la décélération de l’exportation.
 
Est-ce que le secteur bancaire possède un système informatique à toute épreuve afin de contrecarrer toute tentative de la part de logiciels malveillants, étant donné que les crypto-monnaies sont devenues la convoitise des pirates informatiques ?

Peu importe le montant que vous investissez ou le nombre d’ingénieurs les plus brillants que vous embauchez, il y aura toujours des vulnérabilités, c’est la Murphy’s Law.
La meilleure stratégie que nous puissions adopter à Maurice est de concevoir un système qui canalise toutes les transactions en crypto-monnaie dans un environnement sandbox où toutes les retombées seront contenues.

Par exemple, si toutes les transactions en crypto-monnaie étaient acheminées à travers des banques non systémiques désignées, qui ne desserviraient que des opérateurs désignés, qui à leur tour fourniraient une transparence totale en direct aux régulateurs, il ne serait pas nécessaire de réorganiser les systèmes de cybersécurité bancaires.
Ces banques désignées bénéficieront d’un avantage commercial par rapport aux grosses banques, mais en contrepartie, isoleraient les risques de retombées économiques si le secteur de la crypto-monnaie implose, permettant ainsi à Maurice de participer à cette nouvelle industrie, sans affecter l’économie traditionnelle.
 
Le fait que les crypto-monnaies échappent au contrôle des États et des banques centrales ne serait-il pas un facteur défavorable à leur développement ?

Bien que nous ayons utilisé le terme crypto-monnaie tout au long de cette interview, le terme lui-même est un ‘misnomer’, un mot qui a une désignation trompeuse. 
La bonne description à utiliser serait celle des actifs numériques ou ‘digital assets’, car l’utilisation principale est spéculative et pas transactive, et donc, ils ne seraient point sous le management des États ou des banques centrales. 

Prenant le Bitcoin comme exemple, l’investisseur moyen ou institutionnel en achète pour spéculer sur le prix, et non pour aller faire ses courses avec dans les supermarchés.
Les digital assets ne sont pas un concurrent aux monnaies des banques centrales, ils sont un concurrent des actifs traditionnels comme les actions, les obligations et plus précisément l’or.

Dans cinq ans, il sera fort probable que les actions et les obligations des sociétés publiques seront émises et négociées sur la blockchain en forme numérique, et en tant que tel, le portefeuille du futur sera constitué d’actifs numériques et non d’actifs basés sur des bureaux d’enregistrement.
 
Est-il possible que la crypto-monnaie remplace la monnaie nationale ? Que se passerait-il du point de vue du système bancaire et des politiques monétaires ?

Non, l’adoption d’une crypto-monnaie décentralisée comme monnaie nationale est inconcevable d’un point de vue économiste.
Le but de la politique monétaire est de contrôler la ‘velocity of money’ et cela s’exerce principalement par l’impression d’argent et la fixation des taux d’intérêt, ce qui ne peut être fait que si vous contrôlez l’émission de monnaie.

Si un pays devait adopter le Bitcoin comme monnaie officielle, le principal problème auquel il serait confronté serait qu’en cas d’inflation, il ne serait pas en mesure d’augmenter les taux, car pour ce faire, l’État devrait imprimer la monnaie pour payer le taux plus élevé.
Tout au plus, les digital assets comme le Bitcoin ont une meilleure place en tant que ‘reserve currency’, à côté de l’or et de l’argent. Il n’est pas improbable que nous voyions le Bitcoin être inclus dans les bilans des banques centrales au cours des 10 prochaines années.
 
Est-ce qu’il existe un risque réel de désintermédiation bancaire par une crypto-monnaie, comme cela a été le cas par exemple dans le domaine du voyage/tourisme ou les plateformes musicales ?

Oui, ce risque est réel. Cependant, la crypto-monnaie n’est pas le risque le plus important à la désintermédiation bancaire.
Comme nous l’avons vu en Chine, ce sont les ‘payment service providers’ comme Wechat et Alipay qui sont les plus gros concurrents du système bancaire. En Chine, le rôle du système bancaire a été longuement relégué à celui de système de règlement entre les géants du paiement, car tout se fait maintenant sur les applications de paiement.
Les crypto-monnaies sont là pour combler le vide qui existe entre les États et organisations supranationaux qui refusent de traiter avec des États spécifiques pour des raisons politiques.

 Dans cinq ans, il sera fort probable que les actions et les obligations des sociétés publiques seront émises et négociées sur la blockchain en forme numérique (…)»

Par exemple, il est pratiquement impossible de traiter avec un particulier en Russie pour nombre de raisons qui sont loin d’être la faute du particulier lui-même.
La crypto-monnaie résout ce problème en donnant la possibilité de traiter sur une plateforme neutre avec une unité de paiement neutre.
 
Certains spécialistes ont fait valoir que la lente progression des crypto-monnaies, voire leur inefficacité – réside dans la gestion centralisée de ces monnaies, en ce qu’elles sont soumises à un processus de validation des transactions lourd, long et coûteux ?

Cette déclaration serait un très bon exemple de ce que nous appelons une fausse prémisse argumentative.
Je pourrais vous montrer un pingouin en disant : un pingouin est un oiseau, mais il ne peut pas voler, donc les oiseaux ne peuvent pas voler.
Les « spécialistes » comme vous les appelez sont ce que nous appelons dans l’industrie de la crypto-monnaie, des « touristes ». Ils viennent à la vue mais ne passent pas beaucoup de temps à comprendre l’industrie.

Le Bitcoin est une blockchain à règlement lent, il faut 10 minutes pour qu’un bloc ou un lot de transactions soit réglé.
L’Ethereum est une blockchain à vitesse moyenne, il faut 15 secondes pour qu’un bloc ou un lot de transactions soit réglé.
L’Arbitrum est une blockchain de règlement rapide (layer 2), il faut 0,26 seconde pour qu’un bloc ou un lot de transactions soit réglé. 
En utilisant une analogie avec les matières premières, certains digital assets s’apparentent à l’or et constituent de très bonnes réserves de valeur, le Bitcoin étant l’un d’entre eux. 

Certains digital assets se comparent au pétrole. Ils doivent être utilisés pour avoir de la valeur, l’Ethereum étant l’un d’entre eux. 
Il y a un énorme fossé dans les connaissances par rapport à la crypto-monnaie, mais c’est à l’intérieur de ce fossé que se trouvent les opportunités.


Biopic de Nathaniel Tsang Man Kin

Nathaniel Tsang Man Kin est un expert financier mauricien avec plus de 12 ans d’expérience dans le domaine de l’investissement offshore.
 Il est actuellement responsable des opérations financières chez Stewards Investment Capital, où il dirige l’équipe des opérations financières, se concentrant sur l’origination de transactions et la structuration financière pour les produits structurés, le capital-investissement et les actifs numériques. Il agit également à titre de conseiller externe auprès de l’équipe de direction de Dolomite Ltd, un marché monétaire et un protocole de négociation sur marge basés sur des actifs numériques en plein essor, fournissant des conseils stratégiques sur les initiatives d’acquisition d’utilisateurs institutionnels et de développement commercial.

Auparavant, il a occupé un poste clé d’investissement chez Arrel Technology, une société d’actifs numériques, où il s’est spécialisé dans la recherche quantitative pour les stratégies basées sur les actifs numériques, en mettant l’accent sur le trading algorithmique et les stratégies neutres au marché pour les protocoles de finance décentralisée (DeFi). Avant cela, il a occupé un poste de direction dans un groupe technologique, supervisant le développement de produits dans les actifs numériques et les activités financières sous licence. Il a occupé le poste de gestionnaire d’investissement dans une société d’investissement privée dans le secteur du capital-investissement et de la dette privée et a été employé comme négociant en produits dérivés dans une chambre de compensation internationale.
Nathaniel Tsang Man Kin est titulaire d’une licence en mathématiques de l’Université Queen Mary, complétée par un diplôme en droit de la BPP Law School.

 

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