Live News

Repenser une nouvelle Constitution pour en finir avec les dérives et anachronismes

Alain Laridon, ancien PPS et ambassadeur au Mozambique, est un des membres engagés dans la rédaction de la nouvelle Constitution.

Le document intitulé « For a People’s Constitution », lancé le jeudi 23 février dernier à la mairie de Port-Louis, marque une première étape concrète destinée à obtenir un large consensus pour la réforme de la Constitution de l'île Maurice. Il s’agit d’une étape majeure en vue de rendre l’acte fondateur de l'île Maurice indépendante en phase avec les mutations profondes qui ont jalonné l'histoire de notre pays. 

Depuis août 2015, année qui marque la première sortie publique des promoteurs d'une « nouvelle Constitution », les rencontres-débats n’ont jamais cessé. « Mais  l'idée elle-même remonte aux années 70 lors des rencontres entre Jack Bizlall et moi, alors qu’il était encore au MMM et moi au MMM-SP », se souvient encore Alain Laridon, un des contributeurs au livret, avec Milan Meetarbhan, Rajen Narsinghen, Jocelyn Chan Low et Jack Bizlall. Lorsque le projet refait surface en 2015, les deux amis décident d’ouvrir les débats à une plus large consultation réunissant des experts de tous bords politiques avec la motivation commune de féconder le projet. « Nous ne pouvions pas nous payer le luxe d'être sectaires dans un projet de cette ampleur. Les constitutionnalistes comme Milan Meetarbhan et Rajen Narsinghen de même que l’historien Jocelyn Chan Low nous ont rejoints et ont fait avancer les débats en nous confrontant à la contradiction pour aboutir à un consensus », explique Alain Laridon. 

Publicité

Environ une vingtaine de réunions se sont ensuite tenues au domicile d’Alain Laridon, lequel se félicite aujourd’hui de la constance, rigueur et honnêteté qui ont marqué les propos échangés entre les spécialistes cités plus haut. « Nous nous sommes rendu compte que tous les partis politiques majeurs de l’île Maurice ont, à un moment donné, contribué à la consolidation de la Constitution, tout comme il y a aussi eu des tentatives de s’en servir à des fins antidémocratiques. On se souviendra de celle qui avait pour but de placer le DPP sous la tutelle du ministère de la Justice et qui a pu être évitée grâce à Xavier Duval », fait ressortir Alain Laridon.

Parlement britannique

Dans l’introduction à sa contribution dans le livret, Milan Meetarbhan rappelle que la Constitution est entrée en vigueur le 12 mars 1968 en vertu d’un acte du Parlement britannique. « Certes, le document a été largement inspiré du modèle en vigueur dans les petites îles du Commonwealth, mais il contient aussi des dispositions propres à la réalité mauricienne, souvent en rapport avec l’histoire et la démographie de notre pays », poursuit-il. À ce titre, Milan Meetarbhan fait valoir trois périodes majeures de l’histoire moderne de notre Constitution : (1) 1938-1948 : l'émergence des mouvements politiques et syndicaux (11) 1948-1958 : l'émergence d’une nouvelle classe politique et (111) 1958-1968 - les années décisives : la période pré-indépendance. Il prend aussi le soin de citer les pouvoirs de la Cour Suprême dans un contexte où le pouvoir exécutif (politique) tenterait d’outrepasser les dispositions de la Constitution. « La Cour Suprême peut statuer qu’une loi adoptée par le Parlement n’est pas valide si elle constitue une violation de la Constitution », écrit-il. Contrairement à la Constitution de l’Inde ou celle des Seychelles, celle de Maurice protège les droits du citoyen, mais ne dit rien sur les devoirs de ce dernier.

Illégitimité

Rajen Narsinghen fait lui ressortir la nature d’une Constitution qui pêche par une certaine ‘illégitimité’ du fait qu’elle n'émane pas de la volonté de la population mauricienne. « Nous avons hérité d’une Constitution rédigée par le Professeur De Smith, toutefois, il faut reconnaître que toutes les sections de la population, de même que nos politiciens ont eu l’occasion de faire des représentations afin de parvenir à un consensus et un compromis dans la rédaction du document », écrit-il. Une fois ces points majeurs codifiés et, comme la Constitution indienne ou sud-africaine, il y a un compromis historique à l'effet que la Constitution ne sera livrée à « l’humeur et aux caprices du monarque du jour ».

Mais, dans l'ensemble, fait observer Rajen Narsinghen, les partis politiques qui détiennent une majorité qualifiée de 2/3 ou 3/4 ont modifié la Constitution pour l'adapter à leurs programmes politiques, à quelques exceptions près. Par conséquent, nous avons une constitution trafiquée, avec une sorte de « patchwork » au lieu d'une approche holistique au fil des ans. Il y a eu des tentatives de modifier la Constitution, en intégrant des dispositions qui n'étaient pas conformes à ses fondements philosophiques.

« Succession de dynasties »

S’interrogeant lui aussi sur la légitimité de notre Constitution, Jack Bizlall écrit : « Nous avons eu notre indépendance de l’Angleterre le 12 mars 1968 sur une Constitution qui n’a jamais été adoptée par la population. (...) Quand nous sommes passés à une république en 1992, ce fut pour satisfaire un arrangement politique. Dans les faits, nous avons maintenu la constitution d’une Monarchie républicaine avec un poste de Premier ministre omniprésent, omniscient et omnipotent qui ne peut être renouvelé que par la succession des dynasties, à la tête de nos partis politiques, en alternance ou en alliance ». Faisant valoir « l'incohérence » des représentants des Maurice aux négociations de Lancaster House, Jack Bizlall explique que celles-ci furent organisées par les Anglais dans le cadre de la nomination des représentants de Maurice sur une base partisane, ethnique et de classes. « Les partis politiques Ptr, IFB, CAM, PMSD et des représentants du secteur privé y participèrent séparément. Comment peut-on dire que ce fut une nation qui fut créée le 12 mars 1968 (...) », se demande-t-il.

Miracle mauricien

Selon Jack Bizlall, si nous avions adopté une ‘suprématie constitutionnelle’ cela nous aurait épargnés bien d’erreurs causées par les impératifs d'alliances politiques qui se font et se défont selon le bloc de droite qui nous gouverne. « Nous sommes les victimes inconscientes d’une pratique voulue par les tenants du pouvoir économique de scinder en deux blocs politiques qui nous gouvernent depuis 1983 », souligne-t-il.

L’historien Jocelyn Chan Low tente lui une explication du ‘miracle mauricien’ en faisant ressortir que les ‘clés’ étaient déjà présentes en 1968 grâce aux spécificités de l’histoire de Maurice, « pays de peuplement issu de la rencontre entre l’Europe et l'océan Indien à l'ère des grands empires de commerce ». De ce fait, dit-il, l'île Maurice appartient aux temps modernes. « Cette modernité a fait que l'île Maurice n’a pas connu de paysannerie, trop souvent attachée aux traditions et qui peut être un frein à la modernité ».

‘For a People’s Constitution’, imprimé par Cathay Printing

 

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !