Interview

Anishta Babooram-Seeruttun: « La lutte contre la prolifération de la drogue a échoué »

Anishta Babooram-Seeruttun, présidente de l’ONG The Rising
La prolifération de la drogue et ses ravages parmi les jeunes font tiquer la société civile. La présidente et co-fondatrice de l’organisation non gouvernementale (ONG) The Rising tire la sonnette d’alarme. Selon elle, la société est très malade et en perte de valeurs. [blockquote]« Un jeune n’aime pas qu’on lui dicte ce qu’il doit faire. Il est temps que les autorités changent d’approche. »[/blockquote] The Rising a célébré sa première année d’existence. Êtes-vous satisfaite de vos premières réalisations ? Cela a été une année intense en matière d’engagement, d’activités mais aussi de satisfaction. The Rising avait un objectif précis à son lancement : faire du social autrement. S’engager oui, mais pas pour encourager l’assistanat, mais plutôt pour autonomiser ceux qu’on aide. Nous avions ciblé et mis sur pied sept commissions au départ. Chacune a soumis un calendrier d’activités qu’on a essayé, autant que nous l’ont permis nos moyens et notre disponibilité, de respecter. Le gros de nos interventions s’est orienté vers l’allègement de la pauvreté. Nous nous sommes aussi attaqués aux fléaux sociaux, en mettant l’accent sur les problèmes de drogue. Nous sommes aussi intervenus dans le domaine de l’éducation, de la dissémination de l’information et des campagnes de sensibilisation sur les  responsabilités et les droits humains. Quel est  votre diagnostic de l’état de la société ? Notre société est très malade. Elle est aussi en perte de valeurs. The Rising ne prétend pas avoir de traitement miracle. Les plaies sont là. Nous tentons, à notre modeste niveau, de soulager la douleur et de contrer les risques d’une gangrène générale. Un diagnostic qui fait peur… Il n’y a qu’à lire les journaux et écouter la radio – vol, viol, crimes… You name it, you have it ! Pour couronner le tout, le problème de la drogue ne cesse de prendre de l’ampleur. Les jeunes y sont exposés et on a l’impression que les autorités peinent à prendre toute la mesure de ce danger réel. Et là, on parle de drogues de synthèse qui s’infiltrent dans les établissements scolaires. N’exagérez-vous pas ? J’aurais tant souhaité que ce soit le fruit de mon imagination. Nous savons tous, par exemple, que la drogue est bel et bien présente dans le milieu carcéral. Vous portez de graves accusations… Ce n’est un secret pour personne. Je vais aller plus loin. Je peux vous dire que la quantité de drogue qu’il y a en stock dans le pays peut durer plus d’une dizaine d’années, même si de nouvelles cargaisons ne peuvent pas faire leur entrée sur le territoire mauricien. Les trafiquants se surpassent pour trouver les moyens de faire entrer de la drogue au pays. En tant que citoyenne responsable, avez-vous attiré l’attention des autorités ? J’essaie avec les modestes moyens dont dispose The Rising. Mais on n’a pas dit notre dernier mot. Quelle serait la solution, selon vous ? The Rising y a beaucoup réfléchi. Nous sommes arrivés à la conclusion que la lutte contre la prolifération de la drogue a échoué. Je ne suis pas en train de montrer du doigt le gouvernement actuel. En fait, c’est une situation qui dure depuis des années. Il faut une politique nationale qui prend on board toutes les parties concernées. Il y a urgence, surtout dans les prisons. Pourquoi dites-vous cela ? Encore une fois, ce n’est un secret pour personne qu’il y a des barons qui sont emprisonnés. Qui peut donner l’assurance qu’ils ne contrôlent pas le trafic de l’intérieur ? Vous avez sûrement des noms… … que je ne peux pas divulguer ici. En fait, le système protège ces barons. Ils sont en lieu sûr à la prison et peuvent continuer leur sale besogne sans  être inquiétés. Il faut revoir les peines infligées aux contrevenants, surtout aux mules. Car ce ne sont pas elles les véritables coupables. Les longues peines qui leur sont infligées ne sont finalement pas dissuasives, car il y en aura toujours d’autres pour les remplacer. Que préconisez-vous dans ce cas ? J’espère que les autorités ne verront pas dans mes propos un aspect politique. Je pense qu’il faut dépénaliser les drogues douces, dont le gandia. Dépénalisation ne veut pas dire légalisation. Cela empêchera les jeunes de se tourner vers les drogues de synthèse fabriquées dans des laboratoires clandestins. C’est quand même remplacer un mal par un autre mal… Je dirais remplacer un mal par un moindre mal. Un jeune qui est accro recherchera sa dose, quoi que vous fassiez. Là on lui donne le choix de se faire moins de tort. Les travailleurs sociaux ont beau faire des causeries, des campagnes de sensibilisation, mais peine perdue. Un jeune n’aime pas qu’on lui dicte ce qu’il doit faire. Il est temps que les autorités changent d’approche. C’est votre message au gouvernement ? Le gouvernement doit être davantage à l’écoute de la société civile. On comprend que certaines mesures préconisées pourraient causer l’impopularité des gouvernants du jour. Mais c’est un risque qu’ils doivent oser prendre. Avez-vous déposé devant la commission de la drogue qui siège actuellement ? The Rising le fera bientôt. Il faut bien faire comprendre que le plus important, c’est de viser les trafiquants plutôt que les consommateurs. Vous l’avez dit, la société est malade… Est-ce uniquement à cause de notre incapacité à régler le problème de la drogue ? Nous vivons dans une société qui est égoïste. Il y a l’être et le paraître. Il faut gratter le vernis pour voir la méchanceté et le manque d’humanité de certains. La façon dont nous traitons nos handicapés en dit long. Le dernier rapport des Nations unies a été très critique envers nous, avec raison peut-être. Il y a encore beaucoup de discrimination envers les femmes. Il y a une féminisation de la pauvreté et du chômage. Malgré le durcissement des lois ? En dépit du renforcement des lois, les femmes sont maltraitées et battues. Un autre rapport, du Fonds monétaire international cette fois, révèle que six femmes sur dix abandonnent leur carrière pour se consacrer à leur famille. C’est peut-être par choix, mais il demeure un fait que notre société est restée patriarcale et que les femmes ne disposent pas de suffisamment d’encadrement et de soutien pour évoluer. On ne met pas assez d’accent sur la personne. On se focalise trop sur son genre. Et c’est dommage… On parle quand même beaucoup d’égalité des genres à Maurice… Vous pensez que c’est suffisant pour valoriser les femmes ? Le gouvernement fait ce qu’il peut, mais au final, c’est la société elle-même qui doit changer sa mentalité. Bien que les autorités se gargarisent d’initiatives prises au sujet de l’égalité des genres, il y a encore et toujours des femmes qui sont battues, tuées, brûlées et défigurées. Le glass ceiling existe toujours. On n’a toujours pas assez de femmes dans les boardrooms. La notion d’égalité dans la société mauricienne est mal comprise. Plutôt que de dire qu’une femme est l’égale de l’homme, je préfère parler de complémentarité. Un message en particulier ? Un message aux politiciens. Ils devraient davantage se sentir concernés par ce qui se passe au pays. Les politiciens de tout bord ont aussi leurs responsabilités dans la dégradation sociale. Ils se focalisent sur leur popularité plutôt que sur le bien-être du peuple. Je comprends qu’il n’est pas facile de satisfaire tout le monde, mais il faut être juste et équitable dans ses actions.

Elle a le social dans la peau

Âgée d’une trentaine d’années, Anishta Babooram-Seeruttun a lancé The Rising l’année dernière avec quelques volontaires. L’ONG veut s’attaquer aux problèmes sociaux à la racine et dégager des solutions. Membre de la National Preventive Mechanism Division de la Human Rights Commission, elle s’engage afin d’encourager les plus vulnérables à sortir de leur condition précaire. Mariée, elle est mère d’une petite fille.

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