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Calvaire pour une quinzaine de familles : ils sont morts sans avoir eu la satisfaction d’être propriétaires de leur terrain

maison
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Ils ont travaillé dur pendant 30 ou 40 ans sur la propriété sucrière connue précédemment comme FUEL. D’après le plan de retraite volontaire, ils devaient partir avec un terrain offert à un prix abordable. Depuis 11 ans, ils attendent leur titre de propriété. Au moins une quinzaine d’entre eux sont décédés entre-temps.

Vidyamala Jugoo a 59 ans. Elle est veuve. Son mari s’appelait Gautam et il travaillait sur la propriété sucrière connue comme FUEL, il y a plus de 25 ans. De son côté, Vidyamala a continué à travailler sur la même propriété jusqu’à ce qu’on lui propose le Voluntary Retirement Scheme (VRS) après 22 ans de service. « Cela fait 11 ans que j’attends. Mes deux fils ont entre-temps grandi et se sont mariés. Ils habitent toujours avec moi. Je voulais leur offrir ce lopin de terre obtenu sous le VRS pour qu’ils construisent leur maison. Là où nous vivons actuellement, cela ne m’appartient pas. Le terrain et la maison sont au nom de ma mère », explique-t-elle.

Le fait de ne pas disposer d’un terrain pour construire une maison cache un drame pour la famille de Vidyamala. Ses belles-filles ont délaissé le toit familial parce qu’elles en avaient assez de vivre à plusieurs dans une maison de deux pièces. « L’épouse de mon second fils est partie pour de bon en laissant un enfant âgé de moins de cinq ans derrière elle. Quant à mon fils aîné, sa femme est partie chez ses proches en Angleterre. Elle ne veut pas retourner, du moins tant que son mari n’aura pas construit sa maison. Vous saisissez maintenant comment cette non-obtention de titre de propriété a affecté ma famille ? Onze ans à attendre ! Une attente qui a brisé tant de familles », se lamente-t-elle. Est-ce que ce serait possible pour ses deux fils d’acheter un terrain et de commencer la construction de leur propre maison  ? « L’argent fait défaut. Et puis pourquoi acheter un autre terrain alors qu’il y en a un de huit perches qui est déjà disponible ? D’ailleurs, j’ai promis de donner ce terrain à mes fils », explique Vidyamala.

« Mon mari a travaillé sur cette propriété depuis son adolescence. jusqu’à ce qu’il meure subitement à l’âge de 32 ans. Est-ce cela notre récompense pour nos années de service ? Attendre 11 ans pour obtenir un bout de terrain, pourtant si nécessaire pour nous ? Ce n’est pas juste », déplore-t-elle.


Qu’est-ce que le Voluntary Retirement Scheme (VRS) ?

Le Régime de retraite volontaire (VRS) est l’un des principaux éléments du Plan stratégique 2001 - 2005 pour le secteur sucre. Il visait à réduire le coût de production du sucre à Maurice, dont la main-d’œuvre représentait 56  % en 2001. Son objectif était donc de légaliser le travail de l’industrie en le réduisant d’au moins 30 % en premier lieu, afin d’atteindre un niveau plus conforme à ses besoins réels et à ses réalités économiques.

À cet effet, la loi sur l’industrie sucrière (SIE), qui constitue le cadre juridique régissant les activités sucrières à Maurice, ainsi que les lois pertinentes sur le travail et les retraites ont été modifiées pour tenir compte de la mise en œuvre du VRS.

Le système offrait un package à tous les employés de l’industrie du sucre, souhaitant une retraite anticipée. La priorité était donnée aux personnes âgées de 50 ans et plus. Le forfait comprenait, entre autres, une compensation sous forme de paiement en espèces et de droits fonciers (7 perches, soit environ 300 m2), une exonération de l’impôt sur le revenu, des indemnités foncières et des prêts au logement à des taux préférentiels.

En outre, un ensemble de mesures de soutien a été mis en place, parmi lesquelles des campagnes de sensibilisation, des cours de formation pour les jeunes, des structures de conseil, des programmes de couverture médicale et des bourses accordées aux enfants.

À la fin de 2002, 25 entreprises productrices de cannes et une entreprise de transformation avaient adopté le système qui concernait environ 7 800 employés, dont 6 084 (soit 78 %) étaient des travailleurs agricoles, ce qui représentait une réduction totale d’environ 33 % des effectifs de l’industrie.

Le financement du régime de l’ordre de 3 milliards de roupies a été effectué au moyen de prêts de banques locales. Environ Rs 1 milliard étaient destinées aux travaux d’infrastructure entrepris par les sociétés sucrières sur les terrains alloués aux bénéficiaires du VRS et Rs 2 milliards pour l’indemnisation en espèces. Le financement serait récupéré par la vente de terres agricoles, conformément aux paramètres définis dans la loi SIE 2001.


Les infrastructures sont en place

morcellement Melrose
Le morcellement Melrose est déjà pourvu de toutes les aménités sociales.

Toutes les infrastrucutres (délimitation des terrains, asphaltage des rues, électricité, eau, etc.) au Morcellement Melrose, aménagé pour les bénéficiaires du Voluntary Retired Scheme (VRS) sous Alteo (ex-FUEL), ont été complétées. C’est ce que l’on peut constater en se rendant sur place. Cependant, les bénéficiaires attendent depuis plus d’une décennie leurs titres de propriété afin de pouvoir s’installer.

Razdeo Kishna, 68 ans, l’un des bénéficiaires, rappelle que le tirage au sort a eu lieu le 31 juillet 2017.

Qu’est-ce qui explique cette attente interminable ? Il y a deux mois, Mario Antonio, responsable de communication d’Alteo, a déclaré : « Au départ, les bénéficiaires ont choisi un site qui n’a malheureusement pas été approuvé. Suite à cela, on a identifié le site de Melrose, un site choisi avec la collaboration de la MCIA et des bénéficiaires. Tous ont été d’accord. À Alteo, on a reçu la letter of intent  le 8 mai 2015. »

« Le Morcellement Board attend les clearances. Je peux dire qu’à ce jour, nous avons obtenu pratiquement toutes les autorisations. Il ne nous en manque que deux, celles de la CWA et de la RDA. Une fois ces deux autorisations obtenues et déposées auprès du Morcellement Board, celui-ci pourra délivrer le permis final du morcellement. Aussi longtemps que nous n’obtenons pas ces deux autorisations, il ne sera pas possible d’aller de l’avant avec la signature et la préparation des titres de propriété. »

Deux mois se sont écoulés depuis ces déclarations. Rien n’a changé pour les bénéficiaires.


Les dossiers à la CWA et la RDA un mois après la fin des travaux

Selon Mario Antonio, la CWA et la RDA ont été informées un mois après de la fin des travaux au Morcellement Melrose et du fait que le Morcellement Board attendait leurs autorisations « Il est bon de savoir que nous avons habituellement une réunion sous l’égide du ministère de l’Agro-industrie, une monitoring meeting qui a lieu pratiquement chaque mois ou tous les deux mois. J’ai abordé personnellement la question avec le ministre. Il a promis d’examiner le dossier avec les deux départements concernés », a-t-il expliqué.

« Le retard n’est pas de notre faute », insiste le porte-parole d’Alteo.

Le ministère du Logement et des Terres a avancé que, selon la responsable du Morcellement Board, Alteo n’avait pas encore soumis quelques clearances pour que le Board puisse compléter les procédures.

Le 20 juin dernier, le directeur général de la CWA, Youssouf Ismael, devait insister sur le fait que le dossier lui soit présenté le jour même afin qu’il appose immédiatement sa signature pour le feu vert si toutes les conditions attachées par la CWA ont été respectées par ALTEO.


Le Morcellement Permit

Une fois le Morcellement Permit obtenu du Morcellement Board, il faut aussi avoir le Parcel Identification Number (PIN) pour chaque titre de propriété. Pour cela, il faut faire une nouvelle demande. Après, il faut se rendre chez le notaire qui s’attellera à la préparation des contrats. Ensuite, on convoque les bénéficiaires pour la signature des contrats. Entre la signature des contrats par les bénéficiaires et les directeurs de compagnie, les contrats qui sont ensuite envoyés au Registrar, les bénéficiaires doivent patienter encore environ deux mois.


Des survivants au crépuscule de leur vie

ex-employe
Les ex-employés attendent depuis onze ans leurs titres de propriété.

La majorité des ex-employés de l’ex-FUEL habite actuellement au Morcellement Sans-Souci, terrain connu auparavant comme « camp », mais transformé depuis que le gouvernement dirigé alors par sir Anerood Jugnauth, avait décidé de faire raser tous les camps. Chaque employé a eu à sa disposition un terrain d’une superficie de 8 perches contre un paiement de Rs 2 000 la perche. Toutefois, certains n’ont pas pu acheter le terrain, faute d’argent, car il fallait aussi payer pour les frais de contrat et autres. Au lieu de payer Rs 16 000, il fallait débourser Rs 32 000.

Joël Étiennette, 67 ans, a travaillé pendant 41 ans sur ladite propriété sucrière. Il est marié et père de deux enfants. À l’époque où il travaillait encore, il vivait, comme d’autres employés, dans une maisonnette située au camp sucrier de Sans-Souci. Une maisonnette qu’on pouvait aménager selon sa volonté.

Parmi ses camarades qui sont aujourd’hui décédés sans avoir eu la satisfaction de profiter du terrain mis à leur disposition sous le VRS, il y a Baboojee et Ramdaus. « Ces deux-là, je les connaissais bien. Je crois qu’il y a au moins une quinzaine d’ex-employés qui sont décédés depuis », déclare-t-il.

Curpen Adaken, la soixantaine passée, est un autre bénéficiaire qui attend impatiemment de prendre possession de ses terres. Il a travaillé pendant 36 ans sur la propriété. « Tout ce qu’on nous dit, c’est de ne rien faire tant que nous n’avons pas notre contrat en bonne et due forme. Ce sont des représentants d’Alteo qui nous ont déclaré cela lors d’une rencontre qui a eu lieu l’année dernière. Ils nous avaient même dit que tout allait être réglé en décembre. De décembre à septembre, huit mois se sont encore écoulés », se plaint-il.

Ishwarlall Toolsee, 68 ans, a bossé, lui, sur la propriété sucrière pendant 42 ans. Il est père de quatre enfants et deux petits-enfants. Son ami Pierrot Lindor, 68 ans également, a 41 ans de service. Vinod Tattea, 68 ans, a lui travaillé pendant 33 ans, sans oublier Razdeo Kishna, 67 ans, qui compte 41 ans de service.

Joël Étiennette dit avoir parlé au téléphone en deux occasions avec Mario Antonio, le directeur des ressources humaines d’Alteo. « C’était il y a environ trois mois. Lors de notre première conversation, il m’a dit qu’il attendait un permis du ministère du Logement et des Terres. Lors de la deuxième conversation, il m’a dit qu’il attendait la clearance de la CWA. Je lui ai demandé quand tout cela allait être réglé. Il m’a répondu que ce serait cette année. Depuis, je n’ai reçu aucune nouvelle », raconte-t-il.


Témoignages

Rajwantee Ramdaus, 58 ans, est la veuve de Motilall. Lui aussi a été un ex-laboureur de l’ex-FUEL. Elle raconte que son mari a travaillé pendant 36 ans sur cette propriété. Elle regrette qu’il n’ait pu obtenir la satisfaction de devenir propriétaire du terrain obtenu sous le VRS. Il a laissé derrière lui sa veuve, ses quatre fils, deux belles-filles et deux petits-enfants. Tout ce monde vit dans une seule maison à Montagne-Blanche. « Une situation pareille, alors qu’il y a un terrain qui dort, mais sur lequel nous ne pouvons commencer aucune construction ! », déclare-t-elle avec dépit. Elle ajoute que son troisième fils s’apprête à se marier. « Où ira-t-il habiter ? C’est fort probable qu’il continuera à habiter avec nous dans une seule chambre, comme les autres », avance Rajwantee. Comme pour d’autres familles, l’argent fait défaut pour s’offrir un terrain, dit-elle. Et si on trouve l’argent pour le terrain, avec quoi construire la maison ?

Son mari est décédé en 2016. « Il disait toujours : prendrons-nous possession de ce terrain avant de mourir ?  Il est effectivement mort sans avoir pu en profiter, même pas un jour », regrette Rajwantee.

 

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