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Des Ukrainiennes à Maurice : «Cela nous hantera toujours»

Photo prise le 12 avril 2022, à Marioupol, où un théâtre a été bombardé par les Russes.
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Le 24 février 2022, le président russe Vladimir Poutine déclenchait l’invasion de l’Ukraine. Un an après, le bilan est lourd avec des dizaines de milliers de morts et plus de 8 millions d’Ukrainiens contraints de fuir… À Maurice, des Ukrainiennes confient leur désarroi, mais aussi leur espoir que la guerre prendra bientôt fin.

Le choc, l’incrédulité, la tristesse… Un an, ce vendredi 24 février, que la Russie a procédé à l’invasion de l’Ukraine. Natalia, 33 ans, peine toujours à y croire. Établie à Maurice depuis plus de dix ans, elle est originaire de Donetsk, une région située entre les deux pays, où le conflit armé a débuté en 2014 et fait plus de 14 000 morts avant l’invasion du 24 février 2022.

« Mes parents vivaient jusque-là un cauchemar éveillé à Donetsk. C’était une situation très stressante pour eux au quotidien. Ils ont dû quitter leur maison pour commencer une nouvelle vie à Kiev », raconte Natalia. À la suite de l’invasion de la Russie, c’est cette fois-ci à l’exil qu’ils ont dû se résoudre.

« Devoir tout recommencer à zéro une seconde fois, cela n’a pas été facile pour eux. J’ai vu mon père pleurer pour la première fois… » confie Natalia avec émotion. 

Devoir tout recommencer à zéro une seconde fois, cela n’a pas été facile pour eux. J’ai vu mon père pleurer pour la première fois…»

natalia
Natalia.

Ses parents, raconte-t-elle, ont quitté leur maison et parcouru cinq kilomètres à pied pour prendre le train, laissant toute une vie derrière eux. « Ils avaient juste un petit sac sur le dos. »

Les parents de Natalia ne voulaient initialement pas s’en aller. « Certains Ukrainiens aiment tellement leur patrie qu’ils ne veulent pas la quitter. J’ai dû faire pression sur eux pour qu’ils partent. Si quelque chose leur était arrivé, je ne me le serais jamais pardonné. » 

Ils ont fui l’Ukraine le 5 mars 2022, pour finalement atterrir à Maurice le 19 mars. « Il n’y avait pas de vol, les trains étaient remplis, c’était impossible. Les gens dormaient dans les corridors. Mes parents dormaient dans les gares. Ils ont attendu le bus pour aller à la frontière de la Pologne. L’attente a été très longue », se remémore l’Ukrainienne. 

Toutefois, ses parents ont reçu l’aide de volontaires. « Nous leur en sommes très reconnaissants. Quand ils sont arrivés, j’ai été soulagée, c’était comme si un poids m’avait été ôté du cœur. » 

Quant à sa sœur, elle s’est réfugiée avec sa fille aux Pays-Bas. Elle a pu compter sur l’aide d’une famille hollandaise qui a accepté de l’accueillir à son domicile. En revanche, l’époux de sa sœur n’a pu quitter l’Ukraine. « Hélas, les hommes ne pouvaient pas quitter le pays. De ce fait, les enfants ne peuvent pas voir leurs pères. C’est très difficile. »

L’invasion de l’Ukraine, la fuite, l’exil marqueront à jamais sa famille, poursuit Natalia. « Maintenant que mes parents et ma sœur sont sains et saufs, nous essayons de poursuivre le cours de nos vies. Mais la vérité c’est que ce qui s’est passé nous hantera toujours. » 

Au début de la guerre, j’étais anéantie. J’ai fait une dépression. Je ne pouvais pas sortir du lit, je pleurais sans arrêt»

vira
Vira.

La trentenaire a une pensée spéciale pour son peuple, qu’elle qualifie de résilient. « Désormais, la guerre fait partie du quotidien des Ukrainiens. Au moindre retentissement des sirènes, ils savent qu’il faut se cacher au sous-sol. C’est effrayant. Ils ne savent pas s’ils seront encore en vie demain. Mais ils ont fait le choix de rester, de se battre pour le pays », dit-elle la gorge nouée. 

Le bilan est lourd dans certaines régions complètement dévastées, à l’instar de Marioupol et Donetsk. « Les parents d’une de mes amies y habitent. C’est désormais une ville détruite, il n’y a pas de connexion. Lorsqu’elle a essayé de prendre contact avec ses parents, ce n’est qu’après un mois qu’elle a pu les joindre au téléphone. Imaginez dans quel état d’esprit elle était… »

Et que dire des histoires que les parents de son amie ont racontées… « C’était horrible. Ils survivaient sans la moindre goutte d’eau, sans rien à manger. À ce jour, il n’y pas d’électricité à Donetsk, pas d’eau potable. Ils utilisaient l’eau de pluie et de la neige fondue pour faire leur toilette et s’occuper de leurs besoins. Ça fait mal au cœur de voir un pays développé, avec des gens éduqués, vivre dans de telles conditions. Certains sont complètement à genou », ajoute Natalia. 

Certains de ses amis ukrainiens ont, eux, choisi de fuir. « Ils veulent rentrer au pays, retourner chez eux, mais la situation ne le leur permet pas. Nous sommes nombreux à être encore incrédules face à la situation et nous n’arrivons pas à nous faire à cette idée, nous ne comprenons toujours pas comment c’est possible… » 

Même ses amis russes à Maurice ne cautionnent pas les actions de Vladimir Poutine, poursuit Natalia. « Nous voulons seulement que la guerre se termine bientôt et que tout retourne à la normale. » C’est en tout cas ce qu’elle espère du plus profond du cœur.

C’est également le souhait de Iuliia Voloshyna d’Argent, entrepreneuse dans le domaine cosmétique établie à Maurice depuis 2010. Un an après ou presque, la souffrance est telle une plaie béante. « Il y a un an, tout le monde en parlait et tout le monde voulait aider l’Ukraine. Au bout d’un certain temps, le monde s’est lassé. Combien de gens sont morts… et ceux qui ont survécu sont traumatisés. Ceux qui sont restés entendent les frappes aériennes tous les jours. Des villes sont complètement détruites. Telle est la réalité des Ukrainiens aujourd’hui. » 

Opter pour le silence n’est pas correct. Chaque voix compte.»

Iuliia
Iuliia Voloshyna d’Argent et sa mère Tereza Voloshyna.

Une situation rendue encore plus insupportable pour Iuliia Voloshyna d’Argent du fait que sa mère Tereza Voloshyna et son grand-père ont choisi de rester en Ukraine. Elle a tout tenté pour les convaincre de la rejoindre à Maurice, mais en vain. 

« Il y a beaucoup de douleur et de souffrance dans le pays. Bien sûr que vous ne voulez pas que les gens que vous aimez traversent cette épreuve. Au début de la guerre, j’étais complètement anéantie. J’ai même fait une dépression. Je ne pouvais pas sortir du lit et je pleurais sans arrêt. Je vivais dans une peur constante que demain, je pourrais les appeler et qu’ils ne répondraient pas parce qu’ils seraient déjà morts… » 

Toutefois, c’est de sa mère qu’elle puise sa force. « Ma mère est très forte, elle était calme et posée par rapport à la situation. Elle m’a fait comprendre que c’était sa maison, son pays et qu’il était important pour elle de rester et de faire tout ce qui était en son pouvoir pour sauver son pays. Elle croyait en notre victoire et cela m’a redonné confiance », révèle Iuliia Voloshyna d’Argent. Face à la résilience de sa mère, elle se reprend en main.

À ce jour, fait savoir l’Ukrainienne, Tereza Voloshyna continue de servir son pays sans aucun regret, même dans les pires moments. « Quand il y a des frappes aériennes, ils restent chez eux ou vont dans un endroit sûr. Mais les autres jours, ils essaient de vivre aussi normalement que possible. »

Sa mère travaille, fait du volontariat et même du sport. « En décembre dernier, elle était à Maurice pour les vacances, histoire de récupérer et de se reposer, mais surtout pour prendre une pause de ce cauchemar. Cependant, elle a été claire qu’elle ne quittera jamais sa patrie, advienne que pourra. »

La bravoure et le patriotisme des Ukrainiens motivent Iuliia Voloshyna d’Argent à rester forte. « Les Ukrainiens sont très courageux. Je ne peux même pas imaginer ce qu’ils endurent en essayant de mener une vie normale. Même les Ukrainiens qui ont dû fuir le pays, font tout pour contribuer et faire tourner l’économie à distance. Aujourd’hui, ils ont compris qu’on ne peut attendre l’aide internationale, nous devons nous aider nous-mêmes. »

Des artistes, indique-t-elle, font le tour du monde et font don de l’argent gagné lors de leurs concerts. Les Ukrainiens achètent même des drones pour l’armée, souligne-t-elle. « Des civils se portent volontaires pour rejoindre l’armée. Ils ont compris qu’ils doivent être les premiers à se battre pour protéger leur patrie. Les Ukrainiens sont des battants ! » clame Iuliia Voloshyna d’Argent avec force. 

Ce que confirme Vira, qui vit à Maurice depuis 2015. Originaire de l’ouest de l’Ukraine, le médecin a longtemps habité à Kiev. « Tous les Ukrainiens, que ce soit les expatriés, les exilés, ceux qui sont restés, croient fermement que la fin de guerre est proche. Et que l’Ukraine, c’est l’Ukraine et pas la Russie ! » lance-t-elle.

N’empêche, Vira est pleinement consciente de la situation dans laquelle se retrouvent les Ukrainiens. « Actuellement Kiev est plongé dans le noir. Les habitants survivent sans eau, et sans chauffage en cette période d’hiver. J’ai quelques amis à Kiev. Je suis contente d’avoir de leurs nouvelles, je suis contente qu’ils soient en vie. »  

Un an que cette guerre insensée dure et nul doute que le pays a été sévèrement impacté au niveau des infrastructures, de l’économie. « Toutefois le mental du peuple est plus fort que jamais. » C’est, selon elle, c’est ce qui fait la force de l’Ukraine. « En ce moment même, des civils, dont les familles et les amis, réunissent tous leurs efforts pour maintenir l’indépendance de notre pays. J’ai des amis qui avaient quitté le pays et sont revenus pour apporter leur contribution d’une manière ou d’une autre afin d’en finir au plus vite avec cette guerre », raconte Vira.

Et ce n’est pas tout. Ses amis médecins avaient même proposé de rejoindre l’armée, révèle-t-elle. « Cependant, le gouvernement a décidé que chacun était plus efficace dans son domaine. Ainsi, en sus d’exercer, ils font du travail humanitaire en allant personnellement quitter des dons alimentaires et autres dans les régions fortement touchées par la guerre, pour apporter un peu de confort aux Ukrainiens surtout en cette période d’hiver. » 

Selon le médecin, le mental d’acier et la résilience du peuple ukrainien s’expliquent par son Histoire, durant la période sombre de l’Holocauste dans les années 1933 et 1934. « Les Ukrainiens veulent à tout prix éviter la souffrance causée au peuple durant l’implication de l’Union soviétique durant l’Holocauste où ils étaient privés de nourriture et laissés pour mort. Résister, c’est leur dire ‘plus jamais ça’. »

Vira en profite pour lancer un message aux Russes à travers le monde. Elle les encourage à s’unir, tendre la main aux Ukrainiens et parler d’une même voix. « Opter pour le silence n’est pas correct. Chaque voix compte. »

 

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