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ÉMEUTES DE 1999 Entre vérité et justice

Vingt-cinq ans se sont écoulés depuis la mort en détention policière de Kaya, et les émeutes qui ont suivi. Quelles leçons en avons-nous tiré ? Qu’est-ce qui a changé ? Notre pays est-il à l’abri aujourd’hui ?

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Azaria Topize : « On a tué Kaya, mais pas son nom »

Azaria Djareb Topize, fils du chanteur emblématique Joseph Reginald Topize, plus connu sous son nom de scène Kaya, s’exprime sur le souvenir de son père. Âgé de 33 ans et résidant dans la région de Bambous, il exerce le métier de bricoleur et se consacre à la musique pendant son temps libre. Il s’est confié à Le Dimanche/L’Hebdo.

« J’ai vu le jour à Roche-Bois et j’ai grandi chez mon oncle paternel. Peu de temps après, la famille a déménagé à Grand-Baie, où j’ai fréquenté l’école maternelle. À l’époque, j’avais des dreadlocks et je suivais un régime végétarien. Mais j’ai dû me couper les cheveux. En classe, mes camarades m’interrogeaient souvent sur ma religion. Je ne savais pas trop quoi répondre. Je n’étais qu’un enfant. Mes parents m’avaient enseigné qu’il n’y avait qu’une seule religion. C’est pourquoi je me retrouvais souvent perplexe face à leurs questions », raconte Azaria Djareb Topize.

Il avait 8 ans au moment du décès de son père. « Mon père tenait absolument à prendre part au concert en faveur de la dépénalisation du cannabis, qui se tenait à la place Edward 7 de Rose-Hill. Ce jour-là, il se hâtait de signer les pochettes de son dernier album Seggae Experience pour qu’elles puissent être livrées. Ce soir-là, ma maman lui avait dit de ne pas aller se perdre dans le concert. Mais Kaya insistait. Il disait à ma mère qu’il voulait y aller pour transmettre ses messages spirituels », se remémore le fils du chanteur. Azaria Djareb Topize était loin de se douter qu’il vivait ses derniers moments en compagnie de son père.

Le lendemain du concert, la police avait fait une descente à la maison. « Mo trouv enn lapolis ek enn baton ar li. Mo mama kit nou lor bisstop. Monn fini kone banla inn pran li. So dimans li mor, nou ti al lamer Flic-En-Flac mo mama, mwa ek mo ser. Mo ti pe santi mwa pa byen sa zour-la. Mo mama ti pe lir zournal kot ti ena prizonie konser. Enn dimoun vinn get nou dir degaze mont lor Beaux-Songes. Mo mama al lopital li. Kan ariv lakaz, mo trouv meb inn kouver ar dra blan. Inn deman nou al Rose-Hill dan sant pou al get lekor. Kan ariv laba, nou trouv lekor. Nou fini konpran li napa pou leve ditou… » explique Azaria Djareb Topize.

« J’accepte ce que je suis »

C’est en grandissant qu’il a réellement compris. « Depuis 1997, mon père répétait sans cesse qu’il allait subitement nous quitter un jour. Tout me ramène au fait qu’il avait l’impression qu’il savait qu’il allait être arrêté », confie l’artiste. Est-ce difficile de marcher dans les pas de son père 25 ans après les faits ? « Vous savez, je suis Azaria Djareb Topize et j’accepte ce que je suis. Le fils de Joseph Reginald Topize. Un chanteur de seggae mort en détention policière. On a tué Kaya, mais pas son nom. Son nom est gravé dans la mémoire collective. Vingt-cinq ans plus tard, ses chansons continuent de résonner. Les émeutes qui ont suivi son décès ont marqué l’histoire. Mais ce genre d’événement ne doit plus jamais se produire », dit-il.


Percy Yip Tong : le décès de Kaya l’a rendu immortel 

Kaya était devenu populaire grâce à sa nouvelle musique, le seggae, qui a conduit à une révolution musicale. Cela était également dû au contenu de ses textes, transmettant des messages d’unité et d’amour pour une meilleure société mauricienne, explique Percy Yip Tong, qui a été le producteur du chanteur.

Cependant, sa musique a mis du temps à émerger en raison du racisme envers les rastas. Ce n’est d’ailleurs que quatre ans après avoir rencontré le chanteur qu’il a pu le faire émerger. « Quand je l’ai rencontré, il était découragé. À l’époque, il faisait des reprises de Bob Marley et se lançait dans le reggae en créole. Il ne faisait que quelques seggae et je lui ai alors dit qu’il devait se produire dans un seul style musical, car je croyais profondément en sa musique », explique Percy Yip Tong. La première cassette de seggae remonte à 35 ans, et il n’a eu qu’une carrière d’une dizaine d’années par la suite, dit-il.

Selon Percy Yip Tong, c’est surtout après sa mort que Kaya est devenu encore plus populaire, car initialement, seule une frange de la population l’écoutait. La classe moyenne et la classe aisée l’ont découvert par la suite, après sa mort, le rendant finalement incontournable. « Kaya s’est inspiré des réalités du quotidien », ajoute Percy Yip Tong. Originaire de Camp Zoulou à Roche-Bois, Kaya connaissait la réalité des cités ouvrières, que ce soit le problème de drogues, de prostitution, de pauvreté ou d’éducation, dit-il. Et quand il est devenu rasta, il a commencé à écrire sur le rastafarisme. 

Percy Yip Tong souligne qu’il l’a incité à écrire sur le mauricianisme en tant que métis. « Son métissage faisait la richesse de son mauricianisme. » Kaya était très amoureux de son pays, ce qui lui permettait d’écrire des textes d’une telle richesse, ajoute-t-il. Si tous les politiciens, les chefs religieux et les citoyens mauriciens écoutaient attentivement les paroles de ses chansons, nous aurions vécu dans une meilleure île Maurice, affirme le producteur.

Kaya a toujours été engagé contre l’injustice et pour le mauricianisme, et le rastafarisme lui a apporté un côté spirituel, ajoute-t-il. « Le rastafarisme et le reggae sont des textes engagés, car même Bob Marley avait ‘Peace and love’ comme message. » Les rastas mauriciens ont repris la même philosophie, et c’est encore plus important dans le contexte mauricien d’une société où il y a différentes ethnies et religions, souligne-t-il. 
Percy Yip Tong affirme également que le combat de Kaya était contre la drogue dure qui faisait des ravages dans le pays, plaidant pour la légalisation du gandia. D’où le fait qu’il a fumé un joint lors d’une activité en faveur de celle-ci, ce qui a conduit à son arrestation et à son décès en cellule policière par la suite. 

Avec le seggae, célébré le 21 février en mémoire de Kaya, décédé à cette date en 1999, Percy Yip Tong espère qu’il n’y aura plus de morts en cellule policière. Pour lui, un consommateur de gandia ne devrait pas se retrouver en prison : « Il faut se souvenir de Kaya comme de quelqu’un qui se battait pour la paix, l’amour, contre l’injustice et la pauvreté, ainsi que contre la discrimination envers les Afro-Mauriciens. » Pour Percy Yip Tong, le décès de Kaya lui a apporté une certaine immortalité, car ses chansons sont reprises dans certains cultes, peu importe la dénomination religieuse.


Regard historique sur la contestation sociale de 1999 

Vingt-cinq ans après les émeutes de 1999, sommes-nous assis sur une bombe à retardement ? L’historien et observateur politique Jocelyn Chan Low ne le pense pas. Mais pour mieux situer sa réponse, il faut d’abord remonter le fil de l’histoire pour appréhender le contexte social de l’époque.

Diverses raisons peuvent expliquer les événements de février 1999, fait comprendre Jocelyn Chan Low. Il met en avant le contexte, en faisant référence à ce qui s’est passé en octobre 1998, dans le sillage d’un colloque international sur l’esclavage et ses séquelles. Dans les discussions, un semblant d’impatience était palpable, notamment face à l’exclusion, dit-il. 

« Sans entrer dans les détails, il y avait un segment important de la population mauricienne qui se sentait exclu », explique-t-il. Ce sentiment était latent et prêt à exploser en raison de cette perception de discrimination et du fait qu’une partie de la population n’avait pas bénéficié du développement. 

Il y avait aussi un problème identitaire. Le discours du « malaise créole » en 1993 l’a mis en évidence, avance-t-il. S’en sont suivis des débats sur la place de la culture créole et de sa position dans la société mauricienne. À l’époque, la montagne du Morne n’avait pas encore été élevée au rang de patrimoine mondial, et le 1er février n’était pas encore un jour férié pour marquer l’abolition de l’esclavage. La langue créole n’était pas non plus encore totalement acceptée dans l’Église. 

Ainsi, pour lui, la mort de Kaya a été un catalyseur et une expression de toute cette discrimination, ce sentiment d’exclusion et de malaise. Kaya, souligne l’historien, a exprimé dans ses chansons tout le problème identitaire et le malaise. Et il a été un symbole des revendications pour beaucoup. 

Jocelyn Chan Low parle également de la brutalité policière, faisant ressortir que Kaya n’a pas été le premier à trouver la mort en cellule policière. D’ailleurs, au niveau de la police, fait ressortir l’histoire, il y avait également, à l’époque, la perception qu’elle n’était pas un « ami » de la communauté, mais un « ennemi ». Il n’y avait pas ce concept de « community policing » qui est venu après. 

La police était perçue, par certains, comme n’étant pas au-dessus du lot ni apolitique, d’où cette image stéréotypée qu’elle était un « ennemi », souligne-t-il. Et ce, alors que le commissaire de police occupe un poste constitutionnel, afin qu’il soit au-dessus de la mêlée quand il y a des désordres. Tout cela fait que quand Kaya est mort en cellule, les émeutiers se sont attaqués aux postes de police, expose Jocelyn Chan Low. 

Il insiste : quand les émeutes ont commencé, il fallait des actions fortes immédiates. Il aurait fallu suspendre immédiatement les policiers qui étaient chargés de la garde des prisonniers à Alcatraz, selon lui. « L’arrestation et la suspension de quelques suspects auraient donné un signal fort que les coupables allaient être traduits en justice et punis. »

Or, qu’avons-nous constaté ? Il y a eu un vide, la force policière et le gouvernement ne sachant pas trop quoi faire. Face à cette absence d’autorité, les émeutes se sont propagées. « La gestion de la crise a été mauvaise de la part des autorités. » 

Le vide qu’il y a eu et les dérapages à Candos ont été perçus comme une attaque à l’encontre d’une autre communauté. D’ailleurs, fait-il comprendre, les émeutes auraient rapidement pu dégénérer en conflit interethnique. Cependant, parmi les manifestants, précise-t-il, il n’y avait pas que des créoles, mais des personnes de différentes communautés. « De nombreuses personnes d’autres communautés n’étaient pas d’accord avec les abus », affirme l’historien et observateur politique. 

Et aujourd’hui, vingt-cinq ans après ? Jocelyn Chan Low rappelle que des actions ont été entreprises au niveau de la reconnaissance de l’identité créole. La langue créole est enseignée. L’État-providence a été élargi avec le salaire minimum et les autres prestations sociales. 

Cela est un filet social qui aide à prévenir les dérapages, soutient-il. « Quand il n’y a pas de filet social, on tombe dans le désespoir. Les problèmes sont là, mais le filet social assure une certaine stabilité. » Ce n’était pas le cas en 1999. Quant aux débordements qu’il y a eus récemment, ils ne se sont pas produits dans le même contexte, ajoute-t-il. Il reconnaît cependant qu’il y a toujours des revendications.

Malgré les années écoulées, des plaies resteront ouvertes, mais le plus important est qu’il y a eu un certain progrès. « Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est prôner le mauricianisme. C’est un gros travail qu’il reste à faire. » Il s’appesantit sur l’enseignement du vivre-ensemble dans les écoles pour favoriser le sentiment d’appartenance à la patrie, ainsi que l’élargissement de l’État-providence. 

Jocelyn Chan Low déplore toutefois que certains débats soient biaisés, comme l’utilisation du kreol morisien qui n’appartient pas à une seule communauté, mais à tous les Mauriciens. C’est un symbole national.


Le père Filip Fanchette plaide en faveur de la constitution d’un comité de sages 

Vingt-cinq ans après les émeutes de 1999, qui ont marqué un tournant dans le pays, le père Filip Fanchette estime que des actions individuelles ont façonné l’histoire en influençant ou en stoppant les événements. Pour prévenir un événement similaire à celui de 1999, il préconise la mise en place de mesures dès maintenant pour anticiper de telles situations. 

« Nous sommes une population de 1,3 million de personnes, c’est peu. Il est nécessaire d’établir un système efficace pour éliminer à la source tout risque d’embrasement éventuel », déclare-t-il. Un comité de « sages » devrait être constitué pour agir rapidement sur le terrain, favorisant la médiation, l’apaisement, et la suppression des rumeurs susceptibles d’envenimer la situation. « Ce groupe devrait intervenir sans délai sur le terrain », ajoute-t-il.

Le père Fanchette souligne également l’importance de prendre en considération ceux qui restent en marge de la société et qui ont du mal à suivre le développement. Il insiste sur la nécessité de mettre en œuvre des mesures pour les inclure.

Pour l’ancien curé de la paroisse Notre-Dame de l’Assomption à Roche-Bois, malgré les violences survenues à Maurice, elles sont insignifiantes par rapport à celles observées dans d’autres pays. Il met en garde contre l’émergence des barons de la drogue capables de constituer des petites « armées », soulignant que la vigilance devrait se porter non seulement sur le trafic de drogue, mais aussi sur les conflits potentiels qu’il pourrait engendrer.

 

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