Interview

François-Xavier Pietri : «à Maurice, c’est le sensationnisme qui se vend et c’est dommage»

Le directeur du Service économique de TF1 et éditorialiste économique sur LCI, François-Xavier Pietri, est à Maurice pour un partage d’expérience avec les journalistes économiques. Dans un entretien au Défi Quotidien, il fait un tour d’horizon de la presse mauricienne et propose des suggestions pour s’améliorer. 

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Quelles sont vos impressions sur le monde de la presse à Maurice ?
J’ai passé une matinée avec des journalistes que j’ai trouvés très professionnels et impliqués dans les affaires de leur pays. Toutefois, il y a manifestement dans la presse mauricienne un intérêt pour un angle sensationnel. Je constate qu’à Maurice, c’est l’aspect du sensationnisme (système philosophique qui considère les sensations comme la source de toutes nos connaissances. ) qui se vend, alors que les aspects pédagogiques et les explications aux lecteurs sont laissés de côté. Et c’est un peu dommage. 

Quels sont vos conseils aux journalistes économiques et financiers ?
D’abord, cela concerne la recherche de l’information. Le journaliste économique est celui qui est exigeant, car il doit parler de la vérité en mettant en avant des chiffres, des données et des faits tangibles. Derrière, c’est une question de l’intérêt général et aussi de responsabilité. Il importe que les journalistes aient une notion sur les sujets économiques. Il y a un gros travail à faire en termes de formation, notamment en matière d’économie, qui est assez complexe. Par ailleurs, le mélange de langues notamment l’anglais et le français est un défi auquel font face les journalistes économiques. Cela met encore plus de complexité dans la clarté et l’efficacité des propos. 

Justement, quel est votre constat sur la façon dont les journalistes mauriciens traitent les sujets économiques?
Je trouve que l’approche éditoriale sur les sujets économiques à Maurice est assez politique. Quand avoir lu quelques articles de presse, j’ai constaté que l’accent est mis sur le factuel, autour des sujets tels que l’offshore, l’évasion fiscale, les rapports du FMI et de l’OCDE. Cependant, on ne parle pas vraiment de tout ce qui est lié aux services financiers. Par exemple : qu’est ce que cela représente en termes d’emploi, en quoi cela concerne les gens, comment c’est important pour notre économie, comment attirer l’investissement vers l’île, entre autres. Tous ces sujets sont assez ignorés ou peu évoqués alors qu’ils font partie du business. C’est important pour la compétitivité et l’attractivité de Maurice. 

À travers le monde, la presse se réinvente. Dans quelle mesure est-ce devenu une nécessité ? 
Je dirai que plus qu’une nécessité, c’est une obligation. Aujourd’hui, on est tous confronté, que ce soit en France ou à Maurice, à l’explosion des réseaux sociaux, des ‘Fake News’, des informations non vérifiées et qui partent dans tous les sens. Il y a obligation pour les journalistes de devenir des garants de la bonne information. Notre rôle est de pouvoir hiérarchiser l’information. Il faut ainsi prendre le temps de faire de la pédagogie. 

Je dirai que c’est plus qu’une nécessité que de réinventer la presse, c’est une obligation."

L’économie est perçue comme une chose « très sérieuse » et intéresse peu le lecteur lambda. Que faire pour provoquer l’intérêt ? 
La seule façon de créer l’intérêt auprès des lecteurs est la pédagogie. Il faut d’abord expliquer aux gens ce qu’il y a derrière l’économie et en quoi l’économie les concerne. Ainsi, lorsqu’on parle du pouvoir d’achat, cela concerne leur argent, quand on parle du chômage, c’est leur emploi. Il faut ramener l’information au niveau des gens pour leur expliquer que l’économie est le miroir de la société. Aujourd’hui, à TF1 le service économique est l’un des plus importants parce que c’est au cœur de tous les sujets (social, travail, consommation, etc). On parle de tous les sujets quotidiens des gens. 

Pour vous, être journaliste financier, c’est savoir faire la part des choses entre subjectivité et vérité. Comment trouver le juste milieu ? 
On est subjectif quand on est journaliste parce qu’on fait des choix et on est obligé de faire des choix pour traiter les informations et les angles. On est aussi contraint par rapport à l’espace que prendra l’article. à partir du moment où l’on fait des choix, c’est de la subjectivité. Mais à côté, cela n’empêche pas la vérité. On peut être subjectif, mais en disant la vérité. Donc croiser les informations, multiplier les sources et faire en sorte de rapporter des choses vérifiées sont importants. Nous ne sommes pas des personnes de science qui doivent délivrer des preuves scientifiques. Nous sommes-là pour faire la médiation et passer des informations 

Parlons d’économie. D’une monoculture, Maurice est passé avec succès à l’industrialisation et, aujourd’hui, à une économie tournée vers les services. Comment cette économie doit-elle se positionner dans ce monde globalisé et interconnecté ?
Pour être franc, je n’ai pas de leçons à donner à Maurice. Je ne connais pas suffisamment l’économie mauricienne. Mais je peux dire qu’il y a une transformation qui a lieu à Maurice. Les industries traditionnelles sont en perte de vitesse y compris dans le secteur du sucre. D’autre part, il y a des industries qui enregistrent une croissance importante notamment les services financiers. Aujourd’hui, Maurice a besoin de montrer que cette attractivité fiscale est un outil au service de diverses nations et au service des Mauriciens. Il faut expliquer qu’avec des services financiers, vous devenez des acteurs importants en termes de compétitivité mondiale, notamment vis-à-vis de l’Afrique et de certains pays d’Asie. 

Biographie 

Diplômé de l’Institut Pratique de Journalisme, François-Xavier Pietri débute sa carrière comme journaliste, puis directeur général des rédactions à 
« Investir », principal hebdomadaire traitant les sujets financier et boursier en direction des particuliers.
1987 : il collabore à la création du magazine 
« Capital » sur la chaîne de télévision M6. Il anime et participe à plusieurs émissions boursières sur Europe 1 et LCI 
2003 : Francois-Xavier Pietri prend la direction de la rédaction du quotidien économique « La Tribune ».
2008 : Il rejoint le groupe « Nice Matin » en tant que directeur de développement éditorial.
2010 : Il prend de l’emploi à TF1, première chaîne de télévision française où il dirige le service 
« Économie et Social ». Il intervient régulièrement à l’antenne sur les sujets économiques.
Depuis septembre 2018, il intervient quotidiennement sur LCI, la chaîne d’information de TF1 en tant qu’éditorialiste économique.

 

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