Interview

Ganessen Chinnapen, économiste en développement : «La compensation salariale est un ‘move’ politique»

Le montant de la compensation salariale ne devrait pas dépasser Rs 500, estime l’économiste Ganessen Chinnapen, dans le sillage des consultations tripartites qui ont démarré cette semaine. Il est d’avis que le contexte économique combiné à l’impact déjà important du salaire minimal sont des facteurs qui ne peuvent être ignorés.

On est témoin du même scénario tous les ans autour des consultations tripartites pour la compensation salariale. N’est-ce pas, au final, qu’un jeu de rôle alors que c’est le gouvernement qui décide ? 
Cela fait des années qu’il y a des consultations tripartites réunissant les syndicats, le patronat et l’État. À Maurice, il est vrai que c’est la politique de l’État qui prime face aux réalités économiques. Tous les ans, même si l’inflation est à la baisse, le gouvernement a toujours donné la compensation. Une année, on a eu droit à un ciblage où ceux touchant une certaine somme mensuelle n’étaient pas éligibles à la compensation. L’année dernière, c’était une compensation across the board. 

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Cette année, les syndicats demandent jusqu’à Rs 1 000. Est-ce réaliste dans une situation de statu quo où il n’y a pas de croissance soutenable ?
L’État devra certainement jouer les pompiers, car le patronat ne voudra pas payer. Je pense que cette année la compensation sera entre Rs 400 et Rs 500, pas plus. L’État doit quand même s’assurer que le privé sera en mesure de jouer le jeu alors qu’il est encore sous le choc du salaire minimum. Mais at the end of the day, c’est l’État qui décide. 

L’inflation est inférieure à 5 %. La règle veut que lorsqu’elle est en dessous de ce taux, il n’y ait pas de compensation salariale. Sauf que cette règle n’est jamais respectée. Ne serait-il d’ailleurs pas temps de s’en défaire ? 
Il est vrai que cette règle n’est jamais respectée. Dans une situation idéale, on ne devrait pas donner de compensation. Si l’État estime qu’avec une inflation de 3,3 % il peut se permettre de ne pas donner de compensation, ce serait économiquement raisonnable. Mais politiquement cela causerait des soucis. N’oublions pas que les élections sont proches. Même si ce n’est qu’une somme symbolique de Rs 250, il faudra donner. Il s’agit d’un move politique. 

Certains économistes plaident pour que la croissance, la productivité et la capacité à payer soient prises en considération pour calculer le montant de la compensation. Dans ce même contexte, les petites et moyennes entreprises (PME) demandent une compensation sectorielle. Est-ce une idée envisageable ?
La priorité est de créer de la richesse et la distribuer équitablement. Nous sommes encore en dessous des 4 % de croissance. C’est encore faible comparé à la période de pré-crise. Malgré cela, sur les dix dernières années, nous avons accordé la compensation tous les ans. Tout cela a un effet.

De plus, l’excès de liquidités prouve que le secteur privé ne prend pas de risques. Il se contente de gérer. Il ne crée pas l’emploi comme auparavant. 

Pour en revenir à l’option de la compensation sectorielle, ce serait une bonne chose économiquement, mais pas politiquement. L’État doit jongler avec plusieurs bouteilles à la fois et faire plaisir aux multiples acteurs concernés. Ce serait d’ailleurs difficile de donner une compensation sectorielle ; les syndicats entreraient en jeu, sans parler des implications légales de cette démarche. 

De quel genre ?
Vous ne pourriez pas compenser un secteur et refuser d’en faire autant pour d’autres. Le quantum peut varier, mais soit on donne à tout le monde, soit à personne. Le processus est compliqué. Il ne peut se faire du jour au lendemain. Il faudrait faire une analyse de tous les secteurs et voir lesquels sont les plus en difficulté. 

Vous dites que le privé ne prend pas de risques. Pourtant les grands groupes injectent des milliards de roupies dans des projets de Smart Cities… 
Les Smart Cities constituent un one-off investment, un projet immobilier. Ils ne construisent pas quelque chose qu’ils vont gérer eux-mêmes. Le projet dépend de groupes étrangers. C’est un Business Park. 

Est-ce à dire que le secteur privé est allergique aux risques ? 
Définitivement. Le secteur privé, c’est sept ou huit familles. Elles ont saisi des opportunités il y a longtemps et elles ont pris des risques. Maintenant, elles se contentent de gérer leurs acquis. 

C’est la concentration des pouvoirs économiques qui est en cause ?
Ce n’est pas la concentration, mais le business climate lui-même qui n’est pas bon. 

Pour en revenir à la compensation salariale, les syndicats demandent jusqu’à Rs 1 000 pour les plus démunis. Qu’en pensez-vous ?
C’est une bonne proposition, mais cela ne signifie pas pour autant que c’est réalisable. Il y a d’autres facteurs à prendre en considération, notamment avec l’introduction du salaire minimum. Ce montant aurait de lourdes conséquences sur le budget des entreprises. Il ferait également augmenter la dette publique. Quand on voit le nombre de fonctionnaires, Rs 1 000 aurait certainement un effet. Cela représente Rs 13 000 par personne pour une année. 

Maintenant qu’il y a le salaire minimal, les consultations tripartites ne font-elles pas doublon avec ce que fait déjà le National Wage Consultative Council (NWCC) ?
Ce sont deux choses différentes, même s’il est bon de souligner que le salaire minium a eu un effet dévastateur. Certaines PME ont dû licencier et changer la structure de leurs compagnies pour contourner les provisions du salaire minimum. La loi dit, par exemple, que si un employé travaille un minimum de 40 heures par semaine, il est éligible au salaire minimal. Certaines PME préfèrent employer deux personnes sur un système de shift pour que ces dernières fassent moins d’heures et pour qu’elles ne soient donc pas éligibles. 

Le NWCC devait également réajuster toute l’échelle des salaires par rapport au salaire minimal, ce qui aurait augmenté les salaires de la majorité des employés du pays. Cela ne fait-il pas désordre à côté de l’exercice de compensation qui révise également les salaires ? 
Ce n’est pas tout à fait un désordre. Disons que c’est un travail incomplet. C’est comme une pyramide. Il faut travailler au bas de l’échelle pour remonter jusqu’au sommet. C’est ce qu’on n’a pas fait. Il ne faut pas oublier cette classe moyenne qui s’appauvrit. C’est ce qu’il faut revoir. Le gouvernement a bien proposé une réduction de la taxe, mais cela ne suffit pas. 

Outre la compensation et le salaire minimal, quelles options se présentent au gouvernement pour améliorer le pouvoir d’achat du citoyen moyen ?
Il y a beaucoup de mécanismes qu’on peut mettre sur pied. Il faut dire que ce gouvernement a démontré une volonté de mener une politique sociale. Mais économiquement, dans une période de statu quo, cela a un impact sur les finances et cela joue sur l’endettement. 

Ceci dit, on peut créer des mécanismes bien organiques. Un observatoire des prix, par exemple, pourrait s’assurer que les consommateurs ne sont pas exploités. Le gouvernement pourrait aussi enlever la taxe indirecte sur certains produits importants. 

On pourrait également encourager l’entrepreneuriat et la production locale. Une personne pourrait, par exemple, vendre des produits de sa cour. C’est d’ailleurs la politique adoptée par la Nouvelle-Zélande et la Malaisie. Imaginez que l’Agricultural Marketing Board achète toute la production de gens qui plantent dans leur cour. 

Toutes ces mesures pourraient avoir un effet multiplicateur. Ce serait une façon organique de voir les choses. Une autre solution serait de décréter une Income Tax Relief sur deux ans pour ceux qui perçoivent jusqu’à Rs 70 000. Cela aurait un impact sur la consommation. Si la consommation augmente, la production en fera de même. Il faudrait alors créer de l’emploi pour le soutenir.

 

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