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Gel des avoirs : enjeux, implications et conséquences 

Mohammad Shahzaad Mungroo.

Le gel des avoirs est un instrument utilisé par les autorités pour saisir les biens d’une personne soupçonnés de provenir d’activités illicites. Éclairage avec Me Mohammad Shahzaad Mungroo sur le gel des avoirs.
Qu’est-ce que le gel des avoirs ?

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Le gel des avoirs, des fonds ou ressources économiques consiste à empêcher leur utilisation, altération, mouvement ou transfert. Cela suite à un ordre de la cour stipulant que la personne ne peut accéder à ses actifs ou les déplacer. Cela comprend l’argent en banque, les biens immobiliers, les voitures, les actifs commerciaux et les actions.

Il existe plusieurs situations, selon nos lois, dans lesquelles, une personne peut faire l'objet d'une telle décision. Cependant, l'accent est mis aujourd'hui sur l’Asset Recovery Act 2011 (ARA) et sur l'aspect criminel.

L'ARA concerne, entre autres, les actifs de toute nature, qu'ils soient corporels ou incorporels, meubles ou immeubles et cela quelle que soit la manière dont ils ont été acquis.

La Financial Intelligence Unit (FIU) est l'autorité qui est régie par l’ARA. Au sein de la FIU, il existe une division d'enquête sur le recouvrement des avoirs. La FIU peut aussi solliciter l'assistance d’autres autorités, y compris la police, d'autres agences gouvernementales, les banques, les institutions financières, entre autres, pour lutter contre le blanchiment d'argent. 

Dans quel cas figure, une personne peut-elle faire face à un gel de ses avoirs ?

Il existe deux situations en vertu de l’ARA où les avoirs d’une personne peuvent être gelés. 

Il y a le « restraining order » en vertu de l’article 9 de l’ARA, lorsqu’une personne a été inculpée ou reconnue coupable d'une infraction ou quand une enquête policière est en cours. Dans ce cas figure, la FIU peut demander à un juge un ordre de gel afin de protéger les biens qui, selon elle, proviennent des activités illicites.

En vertu de l’article 27 de cette loi, la FIU peut également réclamer le gel des propriétés si elle pense qu’elles sont un instrument d’une infraction. Cependant, le « restriction order » concerne davantage l’aspect civil de cette législation. 

Quelle est la procédure ?

Une requête est présentée devant un juge des référés accompagnée d’un affidavit. Il s’agit d’une procédure civile qui se doit d’être tranchée, selon la balance des probabilités.  Un « restraining order » ou « restriction order » est une procédure judiciaire qui est initiée normalement en absence des parties concernées (ex-parte).

Pour que soit émis un « restraining order », il faut que le juge soit convaincu, compte tenu de toute preuve pertinente, qu'il existe des motifs raisonnables que le contrevenant présumé fait l'objet d'une enquête criminelle ou a été reconnu coupable d'une infraction et que les biens de celui-ci proviennent de délits illicites. 

En ce qui concerne un « restriction order », en vertu de l'article 27(2) de l'ARA, c’est le juge qui décidera d’accorder ou non un tel ordre s'il existe des motifs raisonnables que les biens mentionnés dans la demande proviennent des activités illicites. 

Parlez-nous des droits d'une personne dont les avoirs sont gelés ?

Si une personne fait face à un « restraining order » ou un « restriction order », elle peut déposer une requête en cour pour réclamer la révocation, la modification ou la variation de cet ordre. Toutefois, la demande doit être justifiée pour que le juge accepte de le modifier. 

En ce qui concerne un « restraining order », le juge peut émettre un ordre afin que la personne concernée puisse disposer d'une somme raisonnable comme frais de subsistance.

Dans le cas d’un « restriction order », le juge peut modifier ou annuler l'ordre dans l'intérêt de la justice. 

Quels en sont les conséquences et les impacts ?

Lorsque la cour a gelé les avoirs d’une personne, cela ne signifie pas qu’elle a été reconnue responsable de quoi que ce soit ou que ces biens ne lui appartiennent plus.

Il faut bien comprendre que cet ordre empêche uniquement la personne d’accéder à ses actifs ou de les déplacer. Cela comprend l’argent en banque, les biens immobiliers, les voitures, les actifs commerciaux et les actions.

Cependant, les conséquences sont importantes et cela aura un impact sur la vie professionnelle et sociale de la personne en question. De plus, celle-ci devra de limiter à des dépenses minimales, notamment afin de subvenir aux besoins de sa famille, payer les fractures, les leçons particulières de ses enfants et les prêts, entre autres. 

Pendant combien de temps l’ordre de gel  est-il valable ?
Il existe deux scénarios.  Un « restraining order » est normalement une durée de douze mois. Toutefois, la cour peut prolonger le délai jusqu'à une période déterminée n'excédant pas trois ans. Elle n’accordera ce délai que si elle est convaincue que c’est dans l’intérêt de la justice.

En revanche, si, dans les douze mois suivant l'ordre, la personne est inculpée à la suite d’une enquête policière, celui-ci restera en vigueur jusqu'à la conclusion de la procédure pénale, y compris l’appel.

Dans le cas d’un « restriction order », celui-ci expirera douze mois après la date à laquelle il a été émis, à moins, qu’il y ait une demande de « recovery order » devant la cour ou un «  unsatisfied recovery order » concernant les biens de la personne. Toutefois, la FIU peut demander à la cour de prolonger la durée de cet ordre pour une période supplémentaire déterminée n'excédant pas trois ans. Dans ce cas, il faut que la FIU établisse que sa demande est dans l’intérêt de la justice.

Qu’en est-il si la personne est condamnée ? 

En cas de condamnation, la FIU peut également réclamer à la cour un « confiscation order » sur les biens de la personne s’ils proviennent d’activités illicites. Dans le cas où la cour accède à cet ordre, les biens ou les bénéfices sont dévolus à l'État.

Par conséquent, en vertu de l’ARA, la FIU peut toujours déposer une demande de recouvrement des fonds même en l’absence de poursuites ou de condamnation. Dans un tel scénario, la FIU peut réclamer un « recovery order ». La cour peut émettre un tel ordre si elle constate que les biens concernés constituent un produit, un avantage, un instrument ou un bien terroriste.

Cependant, il est important de noter que la personne peut toujours contester un tel ordre à son égard. Néanmoins, il incombe à celle-ci d'établir des faits particuliers concernant l'origine licite de ses biens.

Cette loi n’est-elle pas anticonstitutionnelle ?
Les articles 3 et 8 de la Constitution garantissent à tout citoyen le droit à la propriété et à la protection contre la privation de propriété. Cependant, ces droits fondamentaux ne sont pas des droits absolus.

D’autre part, l'article 8 de la Constitution prévoit, entre autres, qu'aucun bien ne peut faire l'objet d'une prise de possession obligatoire, sauf lorsque celle-ci est nécessaire dans l'intérêt de la sécurité publique, de l'ordre public et de la moralité, entre autres.

Par ailleurs, le dispositif législatif de la loi de 2011 sur le recouvrement des avoirs est conforme aux garanties établies par la Constitution. Elle prévoit aussi des dispositions claires permettant à la FIU de présenter une demande devant la cour dans les cas appropriés, mais des dispositions sont également prises pour que toute personne concernée puisse accéder à la cour et aussi obtenir une indemnisation dans certaines circonstances spécifiques.
Cependant, dans l’affaire Danesh Ellayah, la cour a été très claire en soulignant que la FIU s'est vu conférer des pouvoirs importants et devrait, dans l'exercice de ses fonctions, garder à l'esprit qu'il existe des motifs raisonnables d'interférer avec les droits de propriété en dérogation à la protection constitutionnelle accordée à ces droits.

Comment y remédier ?
En février 2020, Maurice a été ajouté à la liste de la Financial Action Task Force (FATF), communément appelée « liste grise », et a été soumis à une surveillance accrue.

La raison pour laquelle le pays a été placé sur la liste grise découle d'un rapport d'évaluation mutuelle datant de 2018, qui a mis en évidence un certain nombre de lacunes, telles que la conformité technique et l'efficacité, entre autres, des processus d'identification et de confiscation des produits du crime.

À la suite de la plénière de la FATF en octobre 2021, Maurice a finalement été retirée de la liste grise suite aux améliorations apportées à son régime de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme.

La FIU, que ce soit en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par la Financial Intelligence and Anti Money Laudering Act 

2002 ou par l'Asset Recovery Act 2011, semble plus dévouée que jamais dans sa lutte contre le blanchiment d'argent. Elle agit avec célérité en identifiant des actions visant à geler et saisir les biens qui peuvent être soumis à la confiscation ou sont soupçonnés d'être le produit d'un crime, conformément aux recommandations 29 et 30 de la FATF

En conséquence, une diligence raisonnable renforcée est indispensable d’une part. Mais d’autre part, comme l’a récemment jugé la Cour suprême, la FIU devrait garder à l’esprit qu’il existe des motifs raisonnables d’interférer avec les droits de propriété et a l’obligation claire à ce qu’une divulgation complète soit faite en cour lors de ses requêtes faites en absence des parties concernées.
 

 

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