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Hérisson ou renard ?

Le philosophe Isaiah Berlin fait une distinction célèbre entre deux types de pensée, qu’il catégorise en « hérissons » et « renards ». Les hérissons sont ceux qui ont de grandes idées, mais font peu de concessions à leurs contradicteurs. Les renards, en revanche, caressent de nombreux points de vue différents, mais parfois contradictoires, sur le monde. Le renard n’a pas une grande vision mais sait plusieurs petites choses et se sent donc à l’aise devant les incertitudes. Le hérisson, lui, connaît une seule grande chose et se réconforte dans ses certitudes. Un bon ministre des Finances doit être tantôt un hérisson tantôt un renard, sachant prendre leurs qualités et délaisser leurs défauts. Le hérisson est passionné par une seule grande idée, qu’il applique sans répit. Mais un ministre ne peut pas jeter son dévolu sur un seul grand projet, qu’il soit Duty Free Island ou Heritage City. Il doit brasser large en termes d’idées. Aussi, il ne s’entiche pas de grandes théories comme le marxisme ou l’écologisme. Un bon ministre des Finances doit se cultiver afin d’avoir des idées. Il lit beaucoup, surtout la presse internationale, Financial Times tous les jours et The Economist chaque semaine. Il se lève le matin en se branchant sur BBC World et regarde EuroNews avant d’aller se coucher. Il se nourrit d’informations économiques et financières et dévore, de temps à autre, un livre d’économie d’un grand auteur. C’est ainsi qu’il se forge une ouverture d’esprit. Un bon ministre des Finances doit être intellectuellement bien armé pour parler sérieusement, avoir des munitions pour argumenter, et montrer du « thought leadership ». Il ne peut pas être dépendant de la présence de ses conseillers pour exprimer un point de vue. Il doit être capable de tenir tout seul une conversation intelligente avec des investisseurs étrangers et de répondre à leurs questions, souvent pressantes. Comme le renard, il évite de trop simplifier. Un bon ministre des Finances doit savoir communiquer. Il ne se cache pas derrière de brefs communiqués, mais affronte les journalistes. Dans les interviews, il ne botte pas en touche. Dans les conférences de presse, il répond sur le fond du sujet. Comme le hérisson, il entretient l’élan d’une discussion en étayant ses arguments. C’est ce qui lui fera gagner l’approbation des médias. Un bon ministre des Finances doit être rigoureux dans ses analyses. Pour cela, il aime les chiffres, étant enclin à l’exactitude comme le renard. Il ne se contente pas de déclarations superficielles lorsqu’il s’adresse à un parterre de professionnels. Il ne se fie pas seulement à son intuition pour expliquer les turbulences des marchés financiers internationaux. Un bon ministre des Finances doit avoir des convictions fortes. Il sait ce dont il parle. Comme le renard, il est éclectique en points de vue pour cerner qui a raison dans des débats contradictoires. Il ne se laisse pas berner par les mots doux des porte-parole du secteur privé ni par les balivernes des syndicalistes. Avec eux, il ponctue les échanges de conjonctions qui limitent la portée de leurs arguments : « mais », « toutefois », « quoique ». Un bon ministre des Finances doit aborder un sujet sous tous ses angles. Il se méfie des discours stéréotypés qu’on tient sans considérer la nature du problème économique, comme sur les inégalités salariales ou le « paradis fiscal ». Tel le renard, il pense contextuellement. Dire que le contexte importe ne signifie toutefois pas qu’on peut agir sans des principes. Pour leur permettre de naviguer entre des circonstances changeantes, il faut précisément accorder la plus grande liberté aux acteurs économiques. Un bon ministre des Finances doit éviter de bagarrer avec le gouverneur de la Banque centrale. Ni soumis ni distant envers ce dernier, il n’empiète pas sur l’indépendance de l’institution. Il cherche une convergence de vues sur la politique monétaire et coordonne sa politique fiscale avec celle-ci. Un bon ministre des Finances doit connaître ses limites. Qu’il bannisse d’abord le terme « miracle économique » de son vocabulaire. Sinon, en jouant à l’homme providentiel, il crée inutilement de grosses attentes qu’il ne parviendra pas à satisfaire toutes. Dès lors, il devient de moins en moins crédible. Un bon ministre des Finances doit exercer sa fonction à plein temps. Il ne peut pas se permettre de diriger des dizaines de comités qui n’ont rien à faire avec l’économie ou la finance. Il ne passe pas la majeure partie de sa journée à méditer ou à spéculer sur le cours de l’or. Il ne perd pas son temps à surveiller les agissements de ses amis politiques ou de ses alliés. Un bon ministre des Finances doit être un réformateur. S’il est populaire, c’est qu’il n’a pas fait les réformes qu’il faut. Sa performance est mesurée par son taux d’impopularité, et non par le nombre de baisemains. C’est pourquoi un chef de parti ne devrait pas être à la tête de ce ministère, surtout s’il représente le parti majoritaire d’une coalition. Le poste de grand argentier ne convient pas non plus à quelqu’un qui a des ambitions de devenir le chef de gouvernement. Voilà ce qu’on attend d’un ministre des Finances. Mais à Maurice, il n’a pas besoin de faire ses preuves pour être Premier ministre. www.pluriconseil.com
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