Interview

Inspecteur Jaylall Boojhawon : «Les méthodes d’enquête n’ont pas évolué depuis 250 ans»

L’histoire retiendra que c’est l’inspecteur Jaylall Boojhawon qui a été la force motrice derrière l’avènement d’un syndicat de la police à Maurice. Après des années de combat, la Police Officers Solidarity Union a vu le jour en décembre dernier et a été enregistrée le 6 février 2017.

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Cela fait longtemps qu’on ne s’est pas rencontré. La dernière image que j’ai de vous est notre rencontre dans le bureau de DIS-MOI et cette force dans le regard, alors que la police de Navin Ramgoolam avait décidé de s’acharner contre vous et que le syndicat de police n’était qu’un rêve dans la tête de Jaylall Bhoojawon ! Vous vous portez mieux, je suppose ?
J’ai toujours été fort dans ma tête et comme vous le voyez, je me porte bien. J’ai un mental de fer. Lorsque j’ai engagé cette lutte pour un syndicat de police, je savais parfaitement qu’on essaierait d’avoir ma tête, surtout que le précédent gouvernement était opposé à ce que les policiers se syndiquent. Je me suis donc attendu au pire, et sur ce point, je me suis bien préparé.

Oui, j’ai subi d’énormes représailles, et même une arrestation par le Central Criminal Investigation Department (CCID) aux petites heures le jour de mon anniversaire de mariage pour avoir participé à une marche pacifique. Marche pourtant autorisée par le commissaire d’alors en hommage au défunt policier Gabriel Darga, tué à Goodlands alors qu’il verbalisait un boutiquier qui vendait de l’alcool après les heures d’ouverture. Des charges provisoires ont été logées contre moi et on a voulu me placer en détention, en me déférant en cour après la fermeture de la caisse (NdlR : pour payer la caution).

La pression publique a fait reculer les autorités et les charges ont été rayées. J’ai logé une action en cour pour réclamer des dommages et intérêts à mes détracteurs : l’ex-commissaire de police D.I Rampersad, l’ex-assistant commissaire de police Vuddamalay (responsable du CCID), les enquêteurs, dont un surintendant qui a émis un mandat de perquisition contre moi en violation de l’article 14 de la Police Act de 1974. Je suis toujours là, en pleine forme et en mode combattant, plus déterminé que jamais pour l’avancement des causes et revendications policières.

La police compte 12 000 policiers. Combien sont membres de votre syndicat ? êtes-vous satisfait de leur réponse ?
Les policiers et policières savent que l’inspecteur Boojhawon et son équipe ont toujours été là pour défendre nos collègues dans les moments les plus difficiles. Ils savent que je ne suis pas un lèche-bottes et que les représailles ne m’effrayent pas. Lorsque nous avons formé puis enregistré notre syndicat, la Police Officers Solidarity Union (Posu), il n’a pas été difficile de recruter. Nous avons franchi la barre des 4 000 adhérents, et nous visons 7 000 membres, pour avoir la majorité de 51 % d’adhérents et bénéficier de la sole recognisance, comme le prévoit l’Employment Relations Act de 2008. Nous serons le seul syndicat de la police pour barrer la route à d’autres « syndicats-champignons ».

Comment a réagi votre hiérarchie ? Y-a-t-il une ligne de communication entre le commissaire et votre syndicat ?
Il est indéniable qu’aucun employeur ne veut entendre parler d’un syndicat et de ses revendications, y compris le commissaire de police. Son certificat d’enregistrement en poche, la Posu a écrit au commissaire pour bénéficier d’un bureau dans l’enceinte des Casernes centrales (à l’instar des sapeurs-pompiers et des gardes-chiourme), pour qu’il puisse rencontrer nos 21 membres exécutifs et discuter de nos doléances. Nous attendons toujours. Il est évident que la hiérarchie ne souhaite pas être dérangée par un syndicat. Je vous cite la réflexion d’un haut gradé du bureau du commissaire de police à qui j’exprimais des doléances policières en relation avec la fête de Maha Shivratree : « Eski sindika ki pou diriz lapolis aster ? » J’étais choqué de sa réponse.

Je voulais seulement lui parler du fait que l’on mobilise deux policiers dans un véhicule sur un site spécifique dans le cadre du Hot Spots Policing. Je souhaite que le commissaire de police nous rencontre au plus vite pour voir comment remédier les problèmes de nos membres. Fermer la porte à notre syndicat serait un acte improductif et désastreux.

Par définition, un dirigeant syndical a une idée claire du type de démocratie et de République pour son pays. Votre opinion ?
Dans une démocratie, chacun a le devoir moral et légal de respecter les droits de son prochain. Pour moi, la démocratie est un régime politique où le peuple détient le pouvoir de façon collective. Tous les citoyens ont le pouvoir de faire bouger les choses pour une société meilleure, voire pousser les élus dans leurs retranchements afin qu’ils assument pleinement leurs responsabilités et devoirs.

Si l’on applique ce principe à la force policière, le commissaire de police et le gouvernement doivent être conscients qu’on ne peut négliger ou frustrer les policiers/policières qui effectuent une tâche difficile et abattent un travail énorme au service de la population. On ne peut leur imposer toutes sortes de travaux de manière unilatérale. Un sentiment de découragement et de frustration prévaut au sein de la force, ce qui n’est pas de bon augure pour l’avenir. Nous attendons cette rencontre avec le commissaire de police pour désamorcer la bombe.

Depuis deux décennies, la force policière donne l’impression d’être l’instrument du pouvoir en place, son bras armé pour affaiblir les adversaires politiques et autres empêcheurs de tourner en rond. Êtes-vous conscient que cela ternit son image dans son ensemble ?
La police est un maillon important de notre démocratie. Qu’on ne l’instrumentalise pas pour des raisons obscures. Nos policiers ne veulent pas de cela. Ils veulent servir le public en toute quiétude et avec impartialité. Toute mauvaise perception est néfaste à l’image de la force. La population, bien éclairée, veille au grain et ne pardonnera pas ces frasques. Les dernières élections générales en sont une preuve accablante. Dans le passé, on a tenté d’instrumentaliser la police afin d’effrayer et de faire taire des opposants. J’ai moi-même été victime de représailles et mes détracteurs ont tenté de m’acculer. Qu’on cesse une fois pour toutes ces façons de faire. Notre syndicat sera un chien de garde pour qu’on laisse la police travailler tranquillement.

En tant que militants des droits humains, nous avons la perception d’un ‘tug of war’ au sein de la police par rapport à l’application des droits humains. Les jeunes générations y croient dans l’ensemble, alors que les anciens perpétuent des méthodes qui violent ces droits humains.
Non, il n’y a pas de tug of war comme vous dites. C’est la faute aux méthodes d’enquête qui n’ont pas évolué depuis la création de la police qui soufflera ses 250 bougies cette année. On ne peut tout mettre sur le dos des policiers. Ils font de leur mieux avec les moyens du bord. Il existe un manque réel de formation continue pour nos membres, à tous les niveaux. Les analyses scientifiques tardent trop à rendre leur verdict. Nos policiers veulent œuvrer dans le respect des droits des suspects, mais la pression des victimes pour une justice rapide n’arrange pas les choses.

Le mot de la fin.
Je remercie de tout cœur le soutien indéniable et indéfectible de DIS-MOI dans ce combat pour un syndicat de police, même si son cheval de bataille reste le respect des droits humains, voire des suspects. Nous, les policiers, nous n’avons rien contre votre institution, mais il ne faut pas oublier que si les suspects ont des droits, les victimes de ces mêmes suspects doivent bénéficier des mêmes droits et protection, car elles subissent d’énormes préjudices et des séquelles à vie.

 

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