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Noël Chelvan fait revivre les plats perdus de l’Ouest de Maurice

Noël Chelvan Noël Chelvan, cuisinier de formation, donne des cours à l’école hôtelière Sir Gaëtan Duval, à Ébène.

C’est un cuisinier qui porte en lui un héritage culinaire spécial : celui du Sud-Ouest de Maurice, là où il est né et s’est attardé à la transmission culinaire. Ses recettes d’une autre époque, il s’apprête à les publier dans un livre à paraître bientôt, Histoire et cuisine des petits pêcheurs et chasseurs de la Grande Rivière-Noire, pour « qu’on n’oublie pas, à un moment où les plats tout faits, sans saveur et dangereux pour la santé » tendent à devenir la norme.

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C’est un homme tout en un bloc : chez lui, le ‘fast-food’ est interdit d’entrée, les épices locales voisinent avec les herbes qu’il fait pousser et dont il hume la qualité avec des yeux tout ronds, la terre elle-même est vierge de tout produit chimique et certains plats sont cuisinés au bois dans de grosses marmites. Pourtant, avoue-t-il, la vocation de cuisinier était loin d’être inscrite dans ses gênes, lorsqu’il était gosse. « Certes, la cuisine me plaisait, mais je me voyais plutôt policier. C’est un métier qui requiert de la discipline », dit-il. Un demi-siècle plus tard, il fait ressortir que le port de l’uniforme et du képi n’est pas très éloigné du métier de cuisinier, car les deux exigent rigueur et discipline.

Le 5e d’une fratrie de huit enfants, à la sortie du collège dans les années 75, Noël affronte le chômage ambiant de l’époque. Mais, comme ‘il fallait faire quelque chose, dit-il, il va prendre de l’emploi comme marmiton à l’hôtel Le Paradis, avec un salaire de Rs 312. Là, il va passer toute les étapes des entre-métiers, de cafetier à chef de partie, en passant par ‘hors-d’oeuvrier’.   En 1987, à 25 ans et avec Rs 1 500 – ‘un gros salaire’ -, il se marie. Il est alors bien lancé dans le milieu de la cuisine en hôtellerie

L’année suivante, il rejoint l’ex-Pullman Group, qui l’embauche comme sous-chef, avant de partir au Mauricia, Sofitel Imperial, Le Canonnier, où il restera jusqu’en 2012. « Les salaires ont, bien entendu, suivi ces différentes affectations, explique-t-il. En 1999, comme chef,  j’avais un très bon salaire, deux billets d’avion, un bungalow familial, une ‘car allowance’ » Mais un tel parcours n’est pas tombé du ciel, il est jalonné de stages de formation, en Italie pour les pâtes ou à Singapour où il est au service du ‘jet-set’. S’il s’est formé au contact des grands chefs français et après avoir grimpé tous les échelons, Noël Chelvan n’en reste pas moins attaché aux bases de la cuisine de sa région natale, "si particulière en raison de l’apport des influences des anciens esclaves", dit-il. C’est de cette réflexion qu’est parti en 2007 son projet d’écriture d’un livre de recettes d’antan. Un défi qu’il n’aurait pu relever s’il n’avait pas terminé ses études secondaires jusqu’en Form V, reconnaît-il.

Je veux montrer comment la malbouffe est en train de nous tuer lentement, le diabète et l’hypertension suffisent pour l’indiquer»

Mais, pour y arriver, Noël Chelvan a dû écumer les coins les plus éculés de l’Ouest de Maurice,  de Baie-du-Cap à Chamarel en passant par Le Morne à la rencontre de familles qui ont préservé certaines traditions culinaires. « J’ai été étonné d’entendre des noms de recettes dont on n’entend plus parler, des mélanges qui ont disparu. Même dans l’Ouest, un même plat était préparé différemment d’une localité à l’autre. J’ai même rencontré une centenaire, aujourd’hui décédée, qui m’a parlé de  certaines recette créoles de Rivière-Noire », dit-il.

Produits chimiques

Pour cet alchimiste qui ne rechigne pas à goûter aux chaires les plus rébarbatives, du singe au ‘tangue’, la découverte de ces plats d’antan n’étonne qu’a moitié. « Je savais que la région était particulière en cuisine, car chez moi, mes parents eux-mêmes avaient leur propre façon de cuisiner beaucoup  de plats, dont le poisson dont on ne fait jamais frire, le bouillon de poisson qui doit sentir la mer, des épices qu’il faut savoir utiliser avec parcimonie, les cari masala toujours préparés sur une pierre  », confie-t-il.

Grâce à l’aide de Malenn Oodiah et de son épouse, Adi, son livre était pratiquement achevé en 2007, mais la crise des subprimes passera par-là, et Beachcomber, qui avait décidé d’en financer l’impression, ne donnera plus de suite au projet. « J’avais mon manuscrit prêt, les corrections faites. Je n’ai pas baissé les bras, je suis allé chercher d’autres aides financières, mais le budget était assez conséquent pour un ouvrage avec des iconographies spéciales », raconte-t-il.

Il y a deux semaines, une rencontre entre Yash Hassamal, directeur d’Editions de l’océan Indien (EOI) et Noël Chelvan apporte un dénouement à cette situation qui était restée bloquée.

« Cela a été une rencontre positive, puisqu’il y a un engagement d’EOI qui souhaite publier le livre dans quelques mois, après quelques modifications», se réjouit Noël Chelvan.
Emballé par la promesse de cette première publication, il travaille à un deuxième projet où il démontrera comment le ‘capitalisme’ a tué la cuisine traditionnelle avec l’utilisation outrancière de produits chimiques. « J’ai toute la documentation et les témoignages. Je ne m’oppose pas à la modernité, je veux montrer comment la malbouffe est en train de nous tuer lentement, le diabète et l’hypertension suffisent pour l’indiquer », fait-il valoir.

 

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