Interview

Philippe Hardy, de Transparency Mauritius : «Il faut une commission d’enquête sur l’affaire impliquant la Présidente»

Philippe Hardy

Le président de Transparency (Mauritius) estime que les autorités devraient ouvrir une enquête indépendante pour faire la lumière sur la polémique autour du chef de l’État. Il serait, selon Philippe Hardy souhaitable qu’entre-temps Ameenah Gurib-Fakim se retire de son poste.

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Selon le dernier rapport d’Afrobarometer, une bonne frange de la population ne fait plus confiance aux institutions. Pourquoi ce pessimisme ?
Il y a un gros problème de confiance. Cela fait longtemps qu’au niveau de Transparency Mauritius on le dit. Tout ce qui touche aux institutions ne fonctionnent plus.

Pourquoi ?
Le principal problème est l’ingérence. La perception veut que les institutions sont à la solde des politiciens du jour et n’œuvrent pas en toute indépendance. Puis, il y a la question de la compétence, de l’expertise des gens à la tête de ces institutions. Sans compter les nominations politiques…

Pour faire une analogie, c’est comme dans un match de foot. Ce ne sont pas aux joueurs de faire respecter les règles, mais à l’arbitre. Si l’une des équipes choisit l’arbitre, il y aura toujours la perception que celui-ci ne sera pas indépendant.

La présidente devrait démissioner pour ne pas gêner les travaux»

La perception de la corruption s’aggrave à Maurice. Est-ce justifié ?
Cela est lié aux nombreux scandales qui ont défrayé la chronique ces dernières années. On l’a toujours dit à Transparency Mauritius, le problème de la corruption est à tous les niveaux. Il y a la grande corruption, mais il y a aussi les pots-de-vin, les passe-droits…

L’avantage, aujourd’hui, c’est qu’il y a les médias, surtout  le journalisme d’investigation. La perception est que la corruption est ancrée tant dans le secteur public que privé. Les gens ont l’impression qu’ils ont moins de chances dans la vie qu’auparavant.

Valorise-t-on suffisamment la bonne gouvernance ?
Il faut reconnaître que beaucoup de choses ont été faites au niveau de la bonne gouvernance. Il y a le nouveau code de déontologie pour les secteurs public et privé. Mais, des lacunes subsistent, car la bonne gouvernance comporte trois volets : le dire, le vouloir et le faire. Entre la mise en œuvre et la volonté d’agir, il y a un énorme gap. Pas plus tard que jeudi, lors d’une remise de prix, on disait que les entreprises cotées en Bourse respectaient davantage le code d’éthique et la bonne gouvernance. Alors qu’au niveau du secteur public, il y a encore un effort à faire.

Le Premier ministre adjoint Ivan Collendavelloo estime que la bonne gouvernance ne devrait pas s’appliquer qu’au secteur public. Partagez-vous son avis ?
Jeudi, lors de cette même fonction, le ministre Collendavelloo l’a encore répété. Il a toutefois concédé  que comparé au privé, le secteur public était en retard concernant la bonne gouvernance. Il y a effectivement un travail à faire au niveau des collectivités locales.

Il y a également le fait que le secteur privé, pour sa part, ne lie la bonne gouvernance qu’avec le conseil d’administration et les actionnaires. Cela devrait s’étendre à tous les membres de l’entreprise.

Il y a la grande corruption, mais il y a aussi les pots-de-vin, les passe-droits»

Quel est votre avis sur la transparence dans les affaires publiques ?
Transparency Mauritius réclame depuis longtemps une Freedom of Information Act. Il faut sérieusement envisager une telle législation pour encourager la transparence et l’encadrer. L’encadrement est primordial pour  les sondages ou le Perception Index. Il y a la volonté, mais là où le bât blesse, c’est au niveau de la mise en œuvre.

Il y a actuellement une polémique autour de la présidente de la République. Elle aurait utilisé une carte de crédit appartenant à une ONG à des fins personnelles. Commentaires ?
Tout le monde a lu l’article en question. Transparency Mauritius est très inquiet à ce sujet, car cela touche au sommet de l’État. Concernant l’affaire Alvaro Sobrinho, nous avions demandé que soit instituée une commission d’enquête, mais il n’y a rien eu. Pour le cas présent, impliquant la présidente de la République,  nous estimons qu’il est urgent que les autorités ouvrent une enquête.

Elle a affirmé avoir remboursé la somme utilisée, mais est-ce éthique d’avoir fait usage de cette carte de crédit ?
L’histoire publiée est soutenue par des documents. Il faut qu’une institution indépendante - que ce soit la Commission anticorruption ou une commission d’enquête - démarre une investigation. Et, si enquête il y a, la présidente de la République devrait se retirer temporairement pour ne pas gêner les travaux.

La Présidente devrait-elle démissionner, comme le réclament des internautes et l’opposition ?
On ne peut préjuger de la culpabilité d’Ameenah Gurib-Fakim. Toutefois, si une enquête est ouverte sur cette affaire, elle ne doit pas rester en poste. Cela afin qu’il n’y ait aucune perception d’ingérence en haut lieu.

Le gouvernement compte bientôt présenter avec le Financing of Political Parties Bill…
Je ne suis pas en présence de toutes les données, mais j’estime que c’est une bonne chose. Faire obligation aux partis politiques de s’enregistrer et de déclarer leurs avoirs financiers est un pas dans la bonne direction. Les obliger à inclure dans leurs livres de comptes les dons dépassant une certaine somme et octroyer plus de pouvoirs à la Commission électorale permettra d’assainir la situation.

De plus, ce sont les caisses publiques qui financeront les partis. Cela devrait permettre aux petits partis d’émerger.

 

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