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Rapport de l’Electoral Boundaries Commission : le jeu démocratique faussé, selon des experts 

Préparé il y a trois ans, le rapport de l’Electoral Boundaries Commission propose des changements majeurs au niveau des délimitations de plusieurs circonscriptions. L’opposition critique le gouvernement pour l’avoir présenté discrètement, soulignant que son adoption semble inévitable avec une simple majorité. Des experts sont inquiets des implications que cela pourrait avoir sur la confiance envers le système électoral, soulignant que de tels changements pendant une année électorale pourraient compromettre la campagne.

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Pourquoi vouloir appliquer le rapport de l’Electoral Boundaries Commission maintenant ? Ce timing suscite de vives préoccupations au sein de l’opposition, qu’elle soit parlementaire ou extraparlementaire. La principale critique réside dans le fait que ce rapport a été préparé et rendu public il y a trois ans et qu’aux yeux de l’opposition, le gouvernement a délibérément choisi de le présenter discrètement à l’Assemblée nationale. 

Vu que l’adoption de ce rapport ne nécessite qu’une simple majorité, tout laisse penser qu’il sera adopté sans difficulté. Certains experts estiment que le timing de l’application du document crée une perception selon laquelle le jeu démocratique n’est pas respecté, voire faussé. 

Que prévoit ce rapport ? Des changements majeurs au niveau des délimitations de plusieurs circonscriptions, c’est-à-dire le découpage électoral. Un ancien fonctionnaire, qui a autrefois travaillé au sein des institutions responsables de l’organisation des élections, se dit particulièrement inquiet. 

Ayant préféré s’exprimer sous le couvert de l’anonymat, il explique que par le passé, des rapports de redécoupage électoral, une fois approuvés, étaient généralement mis en œuvre dans les mois qui suivaient. Selon lui, ce serait la toute première fois qu’un document d’une telle importance et renfermant des implications majeures pour le processus électoral, soit appliqué trois ans après son approbation. 

Des incertitudes émergent quant au fait que l’application du rapport pourrait profiter au Mouvement socialiste militant et à ses alliés. Raison : c’est le gouvernement, en particulier le Premier ministre, qui décide du calendrier électoral. Par conséquent, il est plausible que la décision de mettre en œuvre ce rapport ait été prise bien avant, ce qui soulève des questions sur l’équité du processus. 

« Dans cette situation particulière, apporter des changements majeurs aux délimitations des circonscriptions pendant une année électorale, en raison de la dissolution automatique de l’Assemblée nationale selon la Constitution dans une année, a des implications à deux niveaux », fait ressortir le constitutionnaliste Milan Meetarbhan. 

Organisation de la campagne

Selon lui, si ces modifications sont adoptées, elles remettront en cause l’organisation même de la campagne électorale, laquelle est, selon lui, traditionnellement structurée autour des circonscriptions. « Ainsi, effectuer des changements aux limites des circonscriptions au cours d’une année électorale compromet l’organisation de la campagne déjà lancée par les partis politiques à quelques mois des élections », dit-il. 

Sa deuxième préoccupation porte sur le fait que la Commission électorale, en vertu de la loi, publie la liste des électeurs en août de chaque année. « Une question se pose : est-ce qu’une nouvelle liste sera établie sur la base des nouvelles délimitations ? Cela signifierait que le registre des électeurs ne serait disponible qu’après août. Dans ce cas, si de nouvelles élections se déroulent en utilisant cette liste remaniée, les partis politiques auront très peu de temps pour ajuster leurs campagnes », souligne-t-il. 
Un autre scénario, selon lui, serait que le gouvernement, qui théoriquement peut organiser les élections plusieurs mois après la dissolution de l’Assemblée nationale, argue qu’il faut accorder à tout le monde le temps nécessaire pour s’organiser en fonction des nouvelles délimitations et de la nouvelle liste des électeurs. « Il pourrait l’utiliser comme prétexte pour s’accrocher au pouvoir pendant un certain temps encore », avance Milan Meetarbhan. 

Il précise qu’en observant les discours du gouvernement, on constate clairement que nous sommes en pleine période électorale. « C’est le gouvernement qui a le contrôle total. Le principe fondamental dans une démocratie est d’éviter toute redélimitation des circonscriptions pendant une année électorale. Comment peut-on envisager de modifier les paramètres fondamentaux pendant une période aussi cruciale ? », insiste-t-il.

L’avocat Parvez Dookhy met, quant à lui, en exergue le fait que tout amendement apporté à des lois au sujet de l’organisation des élections soulève des interrogations. « Lorsqu’on envisage d’apporter des changements à la structure électorale, il est préférable que cela se fasse après les élections, et non la veille. Cela pourrait être perçu comme une manœuvre politique. Cela laisse à penser que le jeu démocratique n’est pas respecté », dit-il. 

L’avocat est d’avis que la modification des circonscriptions donne l’impression qu’étant donné que « les institutions sont politisées, on pourrait ajuster les circonscriptions pour minimiser les pertes du côté du gouvernement, rendant ainsi la situation moins favorable à l’opposition ». D’ailleurs, poursuit-il, les récentes décisions du gouvernement d’amender certaines lois, notamment avec le Financial Crimes Commission Bill, l’interpellent. 

Il dit avoir l’impression que tout est fait pour des raisons purement politiques. « Ces changements sont perçus comme des manœuvres visant à conserver et à consolider le pouvoir », conclut-il.

Jack Bizlall : «Je recommande de différer la mise en œuvre de cet exercice de redécoupage électoral»

Quelle est votre opinion sur la décision du gouvernement d'approuver le rapport de la Electoral Boundaries Commission (EBC) trois ans après sa publication ?

Je souhaite tout d'abord souligner l'élément le plus crucial : la confiance que les citoyens ont en leur système électoral. Si le système électoral est biaisé, manipulé et modifié sans explication, cela crée des doutes et peut compromettre l'existence même de la République. Le gouvernement a reporté les élections municipales et n’a même pas résolu les problèmes liés au Best Loser System. La redéfinition des limites électorales implique le transfert de plusieurs régions vers d'autres circonscriptions électorales, et si cela est mal fait, cela peut provoquer une crise dans la cohésion sociale.
Nous avons tous été témoins de la campagne menée par l'opposition à la suite du déroulement des dernières élections. Pensez-vous que l'application de ce rapport au cours d'une année électorale pourrait susciter de nouveaux doutes quant au prochain processus électoral?

Il est évident qu'une réaction négative du public pourrait survenir si le gouvernement remportait les prochaines élections générales après avoir appliqué ce rapport au cours d'une année électorale. Ceci est d'autant plus probable que de nombreux citoyens ne soutiennent pas actuellement ce gouvernement. Je recommande  de différer la mise en œuvre de cet exercice de redécoupage électoral afin d'éviter que la population ne développe des doutes.

Quelles peuvent être les motivations du gouvernement pour tenter de faire adopter ce rapport trois ans après sa publication et surtout pendant une année électorale?

Il semble que la motivation principale derrière cette initiative soit liée à la prise de conscience par le MSM des défis auxquels il est confronté sur le plan politique. Il pourrait envisager l'application de ce rapport comme un moyen de renverser la situation en sa faveur lors des prochaines élections.


Vers un changement de circonscription pour 91 178 électeurs

Si la motion que présentera le Premier ministre, Pravind Jugnauth, pour approuver le rapport de l’Electoral Boundaries Commission est adoptée, elle aura de très lourdes conséquences sur les élections générales à venir. Car 91 178 électeurs voteront dans une circonscription différente de celle où ils avaient l’habitude de voter.

Dans son rapport au Speaker de l’Assemblée nationale, le 3 novembre 2020, l’Electoral Boundaries Commission (EBC) préconise des changements majeurs dans la délimitation de plusieurs circonscriptions. L’objectif est, fidèle à l’esprit de la Constitution, de rééquilibrer le nombre de votants là où c’est possible.

Car, la situation actuelle est telle qu’il y a de grandes disparités entre certaines circonscriptions. La plus petite, le n° 3 (Port-Louis Maritime/Port-Louis est) comptait 21 943 électeurs. La plus grande, le n° 5 (Pamplemousses/Triolet) en avait 65 115. Le n° 5 comptait donc trois fois plus d’électeurs que le n° 3. Pourtant, le n° 3 compte cinq députés. Il s'agit d'Aadil Ameer Meea (MMM), Shakeel Mohamed (PTr), Salim Abbas-Mamode (élu sous le PMSD, mais maintenant MSM) et les deux « best losers » Eshan Juman (PTr) et Anwar Husnoo (MSM). Et le n° 5 a trois députés (Soodesh Callichurn et Sharvanand Ramkaun pour le MSM et Ranjiv Woochit pour le PTr).
L’EBC préconise donc des ajustements significatifs dans plusieurs circonscriptions électorales. Parmi ces propositions, l’incorporation de l’archipel des Chagos à la circonscription n° 1 (GRNO/Port-Louis ouest) est mise en avant, marquant ainsi son inclusion pour la première fois.

Le rapport comporte plusieurs dizaines de recommandations, certaines touchant un nombre restreint d’électeurs qui changeraient de circonscription, tandis que d’autres affecteraient plusieurs milliers de citoyens.
La commission suggère, par exemple, que certaines zones de la circonscription n° 1 soient transférées vers le n° 2 (Port-Louis sud/Port-Louis central). Ce qui engendra un changement de circonscription pour 9 985 électeurs. De même, elle propose le transfert d’une partie de la circonscription n° 2, autour de la Citadelle, vers le n° 3 (Port-Louis maritime/Port-Louis est). Ce qui concerne 4 457 électeurs.

Recommendation majeure

Une autre recommandation majeure de l’EBC consiste à annexer une portion de la circonscription n° 4 (Port-Louis nord/Montagne-Longue) au n° 3. Ce qui représentera un changement pour 1 364 électeurs. De plus, elle propose le rattachement d’une autre partie de Roche-Bois au n° 3, touchant 3 350 électeurs de cette zone.

Dans la circonscription n° 4, il est suggéré d’intégrer 7 597 électeurs actuellement dans la circonscription de Pamplemousses/Triolet (n° 5). Pour les circonscriptions n° 6 à n° 13, peu de modifications significatives sont proposées.
En revanche, dans la circonscription de Savanne/Rivière-Noire (n° 14), l’EBC recommande le transfert des régions de Palma, Bassin et Résidence Kennedy vers le n° 18 (Belle-Rose/Quatre-Bornes). Ce qui concerne 16 242 électeurs et représente le changement le plus conséquent. Pour la circonscription n° 19 (Stanley/Rose Hill), l’EBC propose l’intégration complète de Saint-Patrick, ajoutant ainsi 1 411 électeurs à cette circonscription.  Pour certaines circonscriptions, qui ont aussi un nombre très élevé d’électeurs, pas grand-chose ne change. C’est le cas par exemple pour le n° 6 (Grand-Baie/Poudre-d’Or) qui compte pourtant plus de 50 000 électeurs. Même chose pour Flacq/Bon-Accueil (n° 9) qui est dans la même situation tout comme Montagne-Blanche/GRSE (n° 10). Aucun changement n’est proposé pour les numéros 9, 11, 12, 13, 16 et 17.


Les recommandations du rapport de 2009

Avant celui de 2020, l’Electoral Boundaries Commission (EBC) avait soumis un rapport en 2009. Celui-ci n’avait cependant pas fait l’objet d’une motion pour que ses recommandations soient approuvées ou rejetées in toto.
Le document avait préconisé un découpage électoral qui entrainerait le mouvement de 31 545 électeurs. Dix circonscriptions auraient alors été touchées directement.

Le principal changement proposé était pour les circonscriptions Beau-Bassin/Petite-Rivière (n° 20) et Savanne/Rivière-Noire (n° 14). Avec ses 58 341 électeurs au moment de la rédaction du rapport, le n° 14 aurait été amputé de 9 316 votants au profit du n° 20.
Les circonscriptions de Belle-Rose/Quatre-Bornes (n° 18) et Stanley/Rose Hill (n° 19) auraient été touchées aussi, mais dans une moindre mesure. Il était proposé que le n° 19 accueille un nombre supplémentaire de 5 605 électeurs. L’EBC avait également recommandé que 6 308 votants soient enlevés du n° 5 (Pamplemousses/Triolet) pour être inclus dans les circonscriptions n° 4 (Port-Louis nord/Montagne-Longue) et n° 6 (Grand-Baie/Poudre-d’Or).

Concernant les circonscriptions portlouisiennes, il était proposé d’ajouter quelques milliers d’électeurs aux numéros 2, 3 et 4 alors que le n° 1 perdrait 5 053 votants.

 Rôle de l’Electoral Boundaries Commission

L’article 38 de la Constitution stipule qu’il y ait une Electoral Boundaries Commission composée d’un président et d’au moins deux, mais pas plus de sept autres membres. Ils sont nommés par le Président, après consultation avec le Premier ministre, le chef de l’opposition et d’autres leaders de partis à l’Assemblée nationale.

L’article 39 oblige cette instance à faire un redécoupage électoral et de présenter un rapport à l’Assemblée nationale tous les dix ans, ou dans un délai proche de celui-ci. La commission peut aussi, à tout moment, procéder à un examen et présenter un rapport si elle estime souhaitable de le faire. Par exemple après un recensement de la population.

Le rapport de la commission sur la délimitation des circonscriptions fait des recommandations. Selon la commission, elles sont nécessaires, afin que le nombre d’habitants de chaque circonscription soit aussi proche que possible du quota de population. Le nombre d’habitants d’une circonscription peut être supérieur ou inférieur au quota de population, compte tenu des moyens de communication, des caractéristiques géographiques, de la densité de population et des limites des zones administratives.

La Constitution ne permet pas d’adopter qu’une partie du rapport. Les recommandations sont présentées par le Premier ministre à travers une motion. Elles sont approuvées ou rejetées par la majorité parlementaire. Si elles sont approuvées, les recommandations seront mises en place après la dissolution du parlement.


Les membres

L’Electoral Boundaries Commission est présidé par Yusuf Hassam Aboubaker. Les autres membres sont Dr Sanjay Jérome Bhunjun, Marie Isabelle Sauzier, Yashvirsingh Roopun, Vedita Devi Peerun, Shadmeenee Mootien, Ammanah Ragavoodoo.

Deux rapports sur cinq adoptés

L'Electoral Boundaries Commission a jusqu’ici soumis cinq rapports à l’Assemblée nationale, en 1976, 1986, 1999, 2009 et 2020. Les recommandations de 1986 et de 1999 ont été approuvées. Le rapport, soumis à l’Assemblée nationale le 10 novembre 2009, n’a jamais été débattu. Le dernier rapport, en date du 3 novembre 2020, fera l’objet d’une motion du Premier ministre, Pravind Jugnauth, avant les vacances parlementaires de fin décembre.

 

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