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Soupçons de trafic de nourrisson : un mauvais diagnostic laisse planer le doute

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Neha et Akash Sookun qui devaient jouir du bonheur d’être parents de jumelles se sont retrouvés avec un seul bébé.

Ils sont d’avis que leur deuxième bébé a été « volé ». Mais le ministère de la Santé se dédouane : la mère a accouché d’un seul enfant. Qu’en est-il des autres parents qui s’interrogent sur l’existence d’un autre enfant dont la naissance n’a jamais été reconnue ?

Dans ce contexte, il est certain qu’il y a des frères ou sœurs qui ont été séparés à la naissance, qui, mis au courant de l’éventualité qu’ils ont des jumeaux ou des jumelles, gardent l’espoir de pouvoir finalement être réunis un jour ? Le Dimanche/L’Hebdo a rencontré deux familles qui vivent dans le doute malgré le passage du temps.

« Le gynécologue nous avait donné la confirmation qu’il y avait deux enfants lors de l’échographie de mon épouse »

Alfred : « Il m’est difficile de célébrer mon anniversaire »

Alfred est domicilié à Vacoas. Les membres de sa famille sont issus d’une lignée de jumeaux. D’ailleurs son jumeau serait « décédé » à la naissance 34 ans de cela à l’hôpital Victoria de Candos. Malgré le passage du temps, Alfred se dit hanté par l’absence de son autre moitié.

« Les hôpitaux, à cette époque ne disposaient pas d’équipements dernier cri, et autres facilités, visant à faciliter un accouchement. C’est par expérience que les sages-femmes de l’hôpital avaient indiqué qu’il y avait deux enfants dans le ventre de ma mère. Lors de l’accouchement de ma mère, deux jours après par césarienne, le gynécologue donnera raison aux sages- femmes. Mais, selon l’hôpital, mon frère aîné serait décédé à la naissance. Je suis né entre cinq et six minutes après m on frère », explique Alfred, qui est aujourd’hui âgé de 34 ans.

Selon notre interlocuteur, le personnel hospitalier aurait caché le fait que son frère aîné serait décédé à la naissance. « Letan mo mama demande, bann la dir ena enn sel zenfan », fait ressortir le père de famille. C’est sur l’intervention de ses oncles médecins qu’il a été révélé que le nourrisson est vraiment décédé.  « Dans un accès de colère, mon papa a réclamé le corps de mon frère auprès du personnel hospitalier, lequel lui a été remis pour lui donner une sépulture », raconte le frère cadet.

Mais malgré le temps, Alfred peine difficilement pour faire le deuil de son aîné. Il souligne que depuis l’accouchement, sa mère a une phobie pour les hôpitaux et a par la suite contracté le diabète. « L’erreur est humaine. Mais le personnel hospitalier a été formé pour éviter de telles erreurs médicales. 34 ans après ce tragique incident, les séquelles sont toujours présentes. J’étais autrefois en proie à des troubles mentaux, car je pense constamment à cette autre moitié de moi qui est décédée, selon le personnel hospitalier, à la naissance. C’est la raison pour laquelle je n’aime pas célébrer mon anniversaire car, à mes yeux, c’est un jour de deuil ».

Jean Steve Lucchesi : « Le médecin nous avait donné la confirmation qu’il y avait deux enfants »

« Nos deux aînés ont pourtant vu  le jour dans le même hôpital »

Jean Steve Lucchesi et son épouse sont toujours sous le choc. L’an dernier, la mère de famille devait mettre deux enfants au monde mais elle n’a accouchée que d’un seul bébé. Pourtant, souligne le père, le gynécologue avait donné l’assurance que son épouse allait donner naissance à deux enfants à l’accouchement.

C’est le 22 août 2017 que l’épouse de Jean Steve Lucchesi s’est rendue à l’hôpital de Crève-Cœur, Rodrigues, pour la dernière écographie. Elle devrait accoucher dans quelques jours. Selon notre interlocuteur, le gynécologue avait immédiatement décelé un deuxième enfant dans le ventre de son épouse lors de l’échographie. Les démarches pour effectuer d’urgence  une césarienne  sont entamées.

« Le gynécologue nous avait donné la confirmation qu’il y avait deux enfants lors de l’échographie de mon épouse. Le spécialiste nous a même félicité et c’est durant la soirée que s’est déroulée la césarienne. Un peu plus tard, mon épouse m’a appelé et était en sanglots. Elle m’a dit qu’elle a accouchée  que d’un seul enfant au lieu de deux comme le gynécologue en avait donné l’assurance quelques heures plus tôt », se remémore Jean Steve Lucchesi.

Ce dernier dit « ne pas comprendre ce qui s’est produit le soir de l’accouchement ». Les zones d’ombre planent toujours, dit-il. Pourtant, souligne le père, le médecin traitant de son épouse avait précisé qu’il n’y avait qu’un seul enfant. « C’est vers la vingtième semaine que le dossier de mon épouse a été référé au gynécologue de l’hôpital de Crève-Cœur. Ce dernier, qui est d’origine étrangère, ne connaissait rien du dossier. Il s’est tout simplement chargé du dossier en poursuivant le traitement, et autres examens médicaux de mon épouse », raconte le père de famille de 34 ans.

Quelques jours plus tard, les parents ont réclamé des explications du gynécologue. Ce dernier nous a dit que son appareil avait bougé et c’est ainsi qu’il avait cru qu’il y avait deux enfants au lieu d’un. « Peu après l’accouchement de notre fils, j’ai dû transporter mon épouse à Maurice pour une intervention chirurgicale d’urgence en raison d’une infection dans la plaie », confie l’époux.

Notre interlocuteur souligne que ce n’est pas le premier accouchement de son épouse. Le couple, selon l’époux, a une fille de 12 ans et un fils de 9 ans respectivement. « C’est la première fois que nous sommes victimes d’une telle situation. Nos deux aînés ont pourtant  vu  le jour dans le même hôpital », dit-il.

Le psychologue Sadasiven Coopoosamy : « Avec ou sans soutien psychologique, la mère doit se relever »

« Les mamans qui sont victimes d’une telle situation ne vont pas nécessairement commettre un acte irréparable »

Le psychologue Sadasiven Coopoosamy est d’avis que « la perte d’un nouveau-né est identique à une plaie ouverte qui ne se cicatrise  jamais ». Il soutient qu’une telle perte peut provoquer un choc émotionnel insurmontable chez la mère.

 Il affirme qu’il est vrai que les parents, surtout la maman, vont éprouver énormément de chagrin. Comme dit l’adage : le chagrin ne se partage pas et que  chacun doit porter sa souffrance. Le couple sera en proie à des disputes portant sur l’enfant qui devait naître. Pour le psychologue aucune solution ne sera trouvée. Mais avec ou sans soutien psychologique, la maman doit pouvoir se relever, avance  Sadasiven Coopoosamy.

Cette dernière ajoute que cette désillusion est avant tout « un choc suivie d’une tristesse » pour la maman. Surtout, souligne Sadasiven Coopoosamy, lorsque les membres de la famille vont évoquer ce triste souvenir de la naissance d’un enfant au lieu de deux.  La maman sera stressée, puis sombrera dans un premier temps dans une dépression. Si elle est faible elle éprouvera des difficultés pour gérer sa peur, et ses émotions, la mère pourra tenter de mettre fin à ses jours explique le psychologue.

Le travail mental

Le Dr P. Jagarnath, qui est psychiatre, avance qu’un sentiment d’anxiété va s’installer chez les mamans qui sont confrontés à une telle situation. Mais l’important, souligne le psychiatre, est de « travailler le mental de mamans au plus vite afin de faire évaporer les mauvais souvenirs rapidement ». Ce travail mental, explique le Dr. P. Jagarnath, comprend également les données scientifiques.

« Les mamans qui sont victimes d’une telle situation ne vont pas nécessairement commettre un acte irréparable. Elles vont certainement sombrer dans un sentiment de frayeur. Une phobie pour les hôpitaux se développera peut-être chez certaines mamans, car le cerveau alimentera toujours la pensée de ce drame. C’est d’où l’ importance de travailler le mental très vite », dit le psychiatre.

Anwar Husnoo, ministre de la Santé : « Une échographie peut faire des erreurs »

Le ministre de la Santé, Anwar Husnoo, admet qu’une échographie peut être faussée ou mal-interprétée par un médecin. Ce dernier souligne une fois de plus que Neha Sookun a donnée naissance à un seul bébé et que les cadres du ministère de la Santé rencontreront les parents en vue de leur faire entendre raison. Par ailleurs, le cabinet ministériel a décidé que l’enquête se poursuit.

« Oui. Une échographie, qui n’est pas souvent claire, peut amener à faire des erreurs. La visibilité de l’image dépend de l’âge du bébé, et d’autres facteurs », a déclaré Anwar Husnoo suite à une question de Le Dimanche/L’Hebdo, peu après la tenue de la 3ème conférence de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) sur la santé et le changement climatique sur les Petits états insulaires en développement tenue jeudi soir.

Concernant le cas de Neha Sookun, le ministre a fait ressortir que le personnel médical est en présence de deux rapports. « L’un des documents contient la signature de dix personnes qui étaient présentes lors de l’accouchement. Elles ont été témoins de l’accouchement d’un seul enfant. D’ailleurs, une personne peut-elle prendre un enfant sans être inquiétée ? », s’interroge le ministre de la Santé.

Ce dernier dément tout vol de bébé à l’hôpital. « Lors de l’échographie, le médecin traitant a pu dire qu’il y avait deux bébés dans le ventre de la mère. Cela se produit », dit-il.

L’enquête se poursuit

Le conseil des ministres du vendredi a décidé que l’enquête sur le nouveau-né « disparu » à l’hôpital du Nord, le 16 mars dernier, doit se poursuivre. Cette démarche fait suite aux réserves des parents sur le bienfondé de la version officielle du ministère de la Santé. Soulignons que le ministre de la Santé, Anwar Husnoo, avait fait ressortir qu’il est en possession de deux rapports déposés par l’administration de l’hôpital. Le document fait état que la mère a accouché d’un seul bébé. Mais ces deniers ne veulent pas entendre raison et soutiennent qu’il y avait deux bébés.

Le Dr Bhooshun Ramtohul, le président de la Government Medical Consultating Charge Association : « L’échographie est le travail d’un radiologue »

Le Dr Bhooshun Ramtohul, de l’association des consultants (Government Medical Consulting Charge Association) demande au gouvernement de revoir sa copie en ce qui concerne les écographies. Il est d’avis qu’il appartient aux seuls radiologues d’établir un diagnostic sur la base d’une échographie, car ces derniers sont des spécialistes en la matière.
Il soutient que la gynécologie est pourvue d’un module de radiologie. D’ailleurs, les gynécologues sont exposés en permanence à cette science. Mais l’échographie est le travail d’un radiologue. C’est là où le ministère de la Santé devrait revoir le protocole. Valeur du jour, les écographies sont faites par les gynécologues. Il n’y a aucune vérification et de contre-vérification qui sont effectuées, dit-il.

Selon le Dr Bhooshun Ramtohul,  il est grand temps pour le ministère de la Santé de revoir la formation des gynécologues en matière d’échographie. Pour lui les radiologues pourront prendre le relais après les quatre, ou cinq premiers mois de grossesse.

Le président de l’association des consultants dément tout trafic d’enfants. « Il n’y a pas de trafic d’enfants à Maurice. Un accouchement se déroule en la présence du gynécologue, des généralistes, des internes, de la matrone, des femmes-sages, des étudiants en infirmerie et des Hospital attendants. Ce qui constitue  un  groupe d’au moins 10 personnes. Un éventuel vol de bébé ne pourrait passer inaperçu », précise le Dr Bhooshun Ramtohul.

 

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