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Enquêtes policières : la pertinence d’introduire le concept de juge d’instruction à Maurice

Le Senior Lecturer Rajen Narsinghen et Me Lovena Sowkhee.

En France, les affaires pénales les plus graves sont confiées à un juge d’instruction, une personne indépendante de la police ou un magistrat. Après les récentes allégations d’abus commis par certains policiers, faut-il introduire ce concept à Maurice ? 

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Les bandes sonores, communément appelées « Vimen Leaks », diffusées le vendredi 9 juin 2023 sur TéléPlus, révèlent des pratiques troublantes de certains policiers. Les conversations entre ces policiers et un présumé trafiquant de drogue portant sur « des perquisitions », des pratiques de « drug planting » et de « protection money » entre autres ont suscité stupeur et indignation. Comment s’assurer que des enquêtes de police ne sont pas entravées ? Faut-il envisager la mise en place d’une entité indépendante chargée de superviser ces enquêtes, à l’instar des juges d’instruction comme c’est le cas en France ?

Me Lovena Sowkhee se dit en faveur de l’introduction du système de juge d’instruction à Maurice. « J’ai eu des frissons en entendant les extraits de la bande son dans l’affaire Vimen Sabapati. Le fait que de tels propos puissent être tenus par des policiers de carrière est inquiétant, surtout si les faits énoncés par ces derniers s’avèrent. » 

L’avocate est d’avis qu’il n’est pas possible de demander à la police d’enquêter sur ses propres membres. Elle ajoute également que cette mission ne peut être confiée à l’Independent Police Complaints Commission (IPCC). 

Avis partagé par Rajen Narsinghen, Senior Lecturer à l’université de Maurice. Ce dernier explique que le concept de juge d’instruction présente un avantage majeur du fait qu’une enquête « est chapeautée par une personne indépendante et de formation juridique ». Il explique qu’un juge d’instruction peut auditionner des témoins, et même placer un individu sous le statut de mise en examen. Un juge d’instruction peut, en pratique, « déléguer ses pouvoirs à des policiers pour effectuer des perquisitions, des saisies ou encore ordonner des expertises », précise Me Lovena Sowkhee.

Néanmoins, fait comprendre Rajen Narsinghen, « l’introduction d’un système de juge d’instruction à la française à Maurice peut poser des problèmes ». Et pourquoi donc ? Le Senior Lecturer à l’université explique que « notre droit pénal est de nature accusatoire et non inquisitoire, contrairement au concept de juge d’instruction ».

C’est la raison pour laquelle le chargé de cours propose un système hybride de juge d’instruction. « Nous devons puiser certains éléments du système français et les adapter aux besoins spécifiques de Maurice. Il est nécessaire d’avoir une personne indépendante de la police, à l’image d’un juge d’instruction, pour mener à bien certaines enquêtes. » Cette question, ajoute-t-il, mérite une réflexion approfondie.

Toujours est-il, poursuit Rajen Narsinghen, la mise en place de l’équivalent d’un juge d’instruction à Maurice ne suffit pas. « Ce qui fait défaut à Maurice, c’est qu’on attend toujours l’avènement d’un Police and Criminal Evidence Bill (PACE) ou son équivalent. Il est nécessaire d’avoir une loi plus spécifique que les Judge’s Rules pour encadrer les policiers dans la collecte de preuves. »

Le Directeur des poursuites publiques (DPP) a-t-il un rôle de supervision des enquêtes policières ? « Le rôle du DPP ne consiste pas à superviser l’enquête policière, mais plutôt à déterminer s’il existe suffisamment de preuves contre une personne pour engager des poursuites pénales. Toutefois, il peut demander à la police d’approfondir une enquête sur un aspect spécifique, notamment après avoir reçu le dossier à charge », indique Rajen Narsinghen.

Me Lovena Sowkhee ajoute qu’aujourd’hui, on entend parler de cas de « drug planting » et, ce qui est encore plus grave, on a vu une vidéo contredire la version des policiers concernant une prétendue arrestation en flagrant délit de drogue. Selon l’avocate, cela souligne la nécessité d’un changement en profondeur.  

Elle parle notamment de la nécessité, pour les policiers, d’utiliser des « body cameras ». « L’usage de ‘body cameras’ protégera à la fois le policier contre de fausses allégations de la part d’une personne, et le citoyen contre les pièges que peut lui tendre un policier véreux. Combien de fois avons-nous entendu parler de confessions obtenues sous contrainte ? Combien de fois avons-nous vu des décisions de justice rendant des aveux irrecevables car ils n’ont pas été faits volontairement ? » s’interroge l’avocate. 

Tout cela fait dire à Rajen Narsinghen qu’il est essentiel de trouver un système « équilibré ». Selon lui, il convient d’introduire une nouvelle entité constitutionnelle, inspirée du concept de juge d’instruction en France, afin de mener à bien les enquêtes. De plus, à l’instar de Me Lovena Sowkhee, il estime que l’utilisation de technologies telles que les « body cameras » est vitale. Cependant, il précise qu’il ne faut pas non plus « entraver l’action d’un policier dans ses opérations en raison d’un système inadéquat ».

 

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