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Yvan Martial : «L’opposition est la dernière à avoir le droit de critiquer notre système électoral»

L’ancien éditorialiste et observateur politique et social, Yvan Martial, offre une vue d'ensemble sur divers sujets, à la fois politiques et sociaux, sans concession.

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Les récents incidents survenus à La Citadelle le 21 octobre dernier, où un groupe d'individus a perturbé un concert pour semer la peur, envoient quel signal, à votre avis, au public mauricien en général ? De plus, comment cela reflète-t-il la responsabilité des autorités, y compris la police, et l'efficacité des services de renseignement à Maurice ?

Quitte à paraître ringard aux yeux de beaucoup, j’estime de notre devoir, à nous êtres humains faits du néant mais appelés à nous élever jusqu’à Lui, de chercher à partager le regard infiniment compatissant et miséricordieux de notre Créateur sur tout événement, sur toute chose et a fortiori sur tout être humain, notre frère ou sœur, notre semblable, de surcroît notre compatriote, partageant notre vivre-ensemble que tant de pays nous envient. Autre excellent moyen, mais à mes yeux myopes, est de demander ce que j’aurais fait à la place des différents acteurs de pareil événement. Aurais-je été organisateur d’événements spectaculaires, que le Fort Adélaïde aurait été mon dernier choix. On ne peut faire mieux en matière de guet-apens ou de cul-de-sac haut perché. L’endroit servant épisodiquement, il peut se révéler plein de surprises désagréables. Je connais un organisateur de foire commerciale qui, en 1979, a dû financer de sa poche l’installation d’un transformateur du CEB. L’accès comme les échappatoires du Fort Adélaïde, surtout en cas de panique, tant pédestres qu’automobiles, sont pareillement périlleux. Qui sait ce qu’il peut advenir d’un véhicule garé, une soirée entière, au Champ-de-Mars ou là-haut à La Citadelle. Cela dit, je concède que faute de mieux, il est préférable d’organiser un spectacle à La Citadelle plutôt que, disons, à Agalega. 

Le temps des réformes électorales est passé.

Je peine à comprendre comment des autorités, pas forcément les mêmes mais se devant quand même d’accorder leurs décisions, aient pu permettre, au même endroit, le Fort Adélaïde en l’occurrence, la tenue d’un concert vespéral et le démarrage quelques heures après d’une procession qu’on prétend pro-palestinienne. Il est difficile de concevoir meilleure recette pour mettre en péril l’harmonie sociale qu’on vante tellement mais qu’on respecte si peu. J’en appelle à l’intolérance du plus puissant d’entre nous, du moins s’en vante-t-il, à l’égard de ceux menaçant l’harmonie sociale, devant régner parmi nous. A-t-on seulement prévenu les participants du concert du 21.10.2023 qu’ils risquaient fort de devoir, à la sortie, rencontrer des organisateurs d’une marche pro-palestinienne en train de pavoiser le point de départ de ladite procession ?

Quoi penser de l’inefficacité, en la présente, de nos services policiers de renseignement. Nous les savons fort occupés à espionner ceux et celles refusant de servir de paillasson au parti de feu l’Empereur-Soleil. Mais que peut faire un service de renseignement quand le tout puissant fait fi de ses informations. 

Au matin du 29.4.1892, le météorologue, Napoléon Figon, porta à son supérieur hiérarchique British-born de savants calculs personnels établissant formellement qu’un cyclone d’une rare intensité dévasterait Maurice dans les heures qui suivent. L’Anglais fit une boulette des calculs de son subalterne autochtone, sinon indigène, et l’expédia (la boulette et non Napoléon) non à Sainte-Hélène, mais dans sa corbeille à papiers. Quelques heures après, des rafales de plus de 200 kilomètres à l’heure s’abattaient sur Maurice. Quand le directeur Meldrum de la station météorologique Prince-Alfred de Moulin-à-Poudre (aujourd’hui Hôpital du Nord) voulut avertir l’Hôtel du Gouvernement, les poteaux télégraphiques entre Pamplemousses et Port-Louis gisaient déjà. 

Ceux parmi nous qui croupissent dans leur misérable repli identitaire n’ont guère besoin d’événements aussi malencontreux que celui du 21.10.2023 pour s’encroûter davantage.

L’on prétend que Franklin Roosevelt savait que l’aviation nipponne pilonnerait, le 7.12.1941, la base militaire de Pearl Harbor. Il aurait laissé faire, sachant qu’il lui serait plus facile ensuite de convaincre l’opinion publique que les États-Unis devaient déclarer la guerre aux ennemis fascistes et hitlériens du Monde Libre, comme le souhaitait vivement l’inégalable Winston Churchill. 

L’on peut imaginer Bibi Netanyahu, prévenu de l’attaque du Hamas du 14.10.2023, mais laissant faire pour pouvoir mieux pilonner ce camp de concentration à ciel ouvert qu’est la Bande de Gaza que l’on sait désormais, privée d’eau, d’électricité, de médicaments, de vivres et de denrées indispensables jusqu’à ce qu’il ne reste pas pierre sur pierre. Les criminels de guerre aussi savent crier : « Les femmes et les enfants d’abord ». Si l’inefficacité de nos services policiers de renseignement s’avère, nous pouvons imaginer que cela n’est pas perdu pour tout le monde.
Seule une commission d’enquête présidée par un ancien juge de notre Cour suprême peut porter toute la lumière désirable sur un incident aussi malheureux que celui du 21.10.2023. Ce, afin que toutes les négligences professionnelles, surtout sécuritaires, soient révélées en plein jour et que pareils dangers ne puissent se reproduire. Si cette commission n’est pas mise sur pied dans les jours qui suivent, la population sera en droit de conclure que certains, et non des moindres, redoutent cette Vérité pouvant leur être hautement défavorable.   
  
Deux semaines après les incidents à La Citadelle, quelles sont les implications potentielles de cet événement sur la cohésion sociale et le 'vivre-ensemble' à Maurice, selon vous, notamment en ce qui concerne un possible repli identitaire ?

Ceux parmi nous qui croupissent dans leur misérable repli identitaire n’ont guère besoin d’événements aussi malencontreux que celui du 21.10.2023 pour s’encroûter davantage. Ceux qui croient dur comme roche basaltique que rien ne saura abattre notre volonté de vivre-ensemble et qui consacrent les jours qui leur restent à vivre sur terre pour se préparer à l’éternité, à la vie éternelle, à laquelle ils sont appelés en tant qu’enfants de Dieu, savent que ce qui ne les tue pas les rend plus forts. Gardons-nous de toute propension à la dramatisation tellement stérile, à peine moins pernicieuse que la politisation à outrance. Cette dernière est la pire des urticaires après la partisanerie la plus abjecte, car peut-être incurable.  

Comment évaluez-vous les prises de position de l'opposition et du gouvernement concernant ces incidents, étant donné la tendance à politiser tout événement à Maurice ?

La vocation du poète est de poétiser. Celle du politicien est naturellement de tout politiser. Systématiquement. En fonction du politiquement correct du jour. Il faut de tout pour faire un monde. Permettez-moi de préférer Georges Brassens et Pierre Renaud à tous nos tribuns, encore qu’ils comptent en leur sein un Félix Laventure, un Harilal Vaghjee ou un Joseph Tsang Mang Kin. Mais n’est pas Raoul Rivet ou Léoville L’Homme qui veut. Que voulez-vous que des politiciens fassent d’autre que de politiser à longueur de journée ? Leur donner la moindre importance équivaudrait à donner une quelconque signification à l’instabilité d’une girouette n’ayant pas son pareil pour deviner d’où vient le vent le plus porteur du politiquement correct mais pas forcément le plus bénéfique. 

Si Pravind l’emporte, on ne pourra pas dire qu’il a volé sa réélection. Le bougre sait manœuvrer habilement.

Après le jugement du Privy Council le 17 octobre dernier, la situation politique à Maurice est sujette à débats. Le gouvernement souligne l'irresponsabilité de l'opposition dans ses critiques envers le déroulement des élections, tandis que l'opposition persiste malgré le verdict des Law Lords. Pensez-vous que ce débat en cours continue de remettre en question l'intégrité du processus électoral à Maurice ?

Toute référence au conseil privé du fils de feue Elizabeth-II relève d’un assujettissement suspect envers un colonialisme assez abject pour refuser de nous restituer nos Zîles-la-Haut (les Chagos) indûment excisées du territoire mauricien, en violation de maintes conventions onusiennes. Rien de nouveau puisque ce verdict confirme un jugement beaucoup plus vénérable de notre Cour suprême. Le patriotisme exige que les parties concernées s’en tiennent là et ne s’abaissent pas à prier des British-born de régler encore nos guéguerres indigènes. 

Ce verdict ne canonise en aucun cas notre système électoral valant ce qu’il vaut. Rappelons seulement (i) qu’il date de 1965, (ii) qu’il fallait être un Anglais pour diviser le Grand-Port sur une base horizontale et non verticale, obligeant les électeurs de Bambous-Virieux et villages côtiers annexes à enjamber la Montagne des Lions pour rejoindre Rose-Belle au lieu de s’arrêter plus simplement à Mahébourg, (iii) que les bagarres raciales du premier trimestre de 1968 rendent caduques la répartition mathématique de l’électorat d’alors en une vingtaine de circonscriptions, comptant chacune entre 22 000 et 25 000 électeurs inscrits. 

Désormais, la différence numérique entre nos circonscriptions les moins peuplées et les plus peuplées ne sont plus d’un maximum de 3 000 électeurs comme en août 1967, mais elle varie du simple à plus que le double (moins de 25 000 pour les Nos 2 et 3 contre près de 60 000 pour les Nos 5, 14 et 15). Pire encore, ces deux circonscriptions portlouisiennes comptent désormais moins d’électeurs que celle de Rodrigues qui n’a toujours droit qu’à deux députés.

L’opposition parlementaire est la dernière à avoir le droit de critiquer notre système électoral, pourtant excessivement vicié, car nous lui avons fourni l’occasion, en lui donnant une majorité de plus de trois quarts des voix, en 1982, en 1991, en 1995 et en 2000, de réformer tout ce qui devait être corrigé dans notre système électoral. 

Nous sommes à une année des prochaines législatives. Le temps des réformes électorales est passé. Nos grands et petits doivent se préparer à y participer en respectant à la lettre les règlements électoraux en vigueur, bien qu’ils soient loin d’être irréprochables. 

Rappelons enfin à tous, mais plus particulièrement aux nouvelles formations politiques : notre système électoral du First Past the Post ne permet qu’une lutte à deux. Tout comme à l’Assemblé nationale, la majorité parlementaire peut narguer l’opposition minoritaire en commençant par lui imposer le plus intraitable des cerbères. Nombreux sont de plus les électeurs à avoir horreur de « gaspiller » leurs voix. Ils mettent donc une croix sur les candidats n’ayant aucune chance de faire bonne figure, c’est-à-dire de n’avoir pas au moins 15 000 voix. Tout le reste est rêverie d’électeur solitaire.    

Pensez-vous que la remise en question du déroulement des élections, principalement portée par le leader du Parti travailliste, Navin Ramgoolam, aura un impact sur sa crédibilité au sein de son parti et parmi ses alliés en alliance, étant donné que les pétitions électorales ont été soit rejetées par la cour, soit abandonnées par les membres de l'opposition ?

Faute de mieux, sinon vaish que vaish, et conformément à ce qui est dit plus haut, Navin Ramgoolam, malgré ses coffres-forts et sa santé fragilisée depuis la pandémie de Covid-19, EST la Meilleure car la SEULE (désolé pour le pléonasme) alternative à un MSM dirigé avec brio par Pravind Jugnauth. Cela dit, le seul verdict à trouver grâce à mes yeux sera celui de notre électorat quand il sera appelé aux urnes en novembre/décembre 2024. Si Navin l’emporte, c’est que l’envie de changement de dynastie est plus forte que prévu. Si Pravind l’emporte, on ne pourra pas dire qu’il a volé sa réélection. Le bougre sait manœuvrer habilement. Mais il devra se méfier, avec sa propension grandissante à s’auto canoniser si fréquemment. À croire qu’il n’a pas confiance dans ses propres propos. L’auréole donne la migraine quand elle sert trop.   

L'alliance PTr-MMM-PMSD semble faire face à des tentatives du gouvernement visant à décrédibiliser son unité, mais elle continue à attirer des foules importantes lors de ses meetings, et les efforts de mobilisation sur le terrain semblent réussir. Pensez-vous que cette alliance a déjà atteint un niveau de stabilité malgré les obstacles qui se présentent ?

Les derniers rassemblements connus sont l’accueil triomphal d’un verdict pourtant exécrablement colonialiste et le second meeting de croulants au centre Swami-Vivekananda mais sans annonce d’augmentation de la pension de vieillesse. Normal, puisque les réservoirs sont à sec. Anne, ma sœur Anne, ne voit rien venir de bon à l’horizon. De toute façon, il sera toujours temps en septembre prochain, après donc le 5e budget de Padayachy de commencer à penser en termes pour qui voter le plus utilement. Mais l’avantage demeure à la couleur FANTA, jamais plus imposante qu’en ces jours de Toussaint.   

Le sondage commandité par L'Express sur la situation politique révèle que l'alliance PTr-MMM-PMSD a obtenu un bon score en termes d'intention de vote. Pensez-vous que ce résultat contribue à légitimer Navin Ramgoolam, malgré les préoccupations concernant sa moralité en raison de ses antécédents, pour diriger à nouveau le pays ?

Que vaut un résultat 36% au PSAC ? Pas de quoi pavoiser. Mais pas de problème puisque grâce au système First Past the Post, le premier rang l’emporte indiscutablement sur le nombre de points acquis. D’ailleurs, le MSM n’aurait pas fait mieux le 7.11.2019 en devant se contenter, au dire de certains d’un maigrichon 37%. Vous me direz qu’il y a 38% d’indécis. Mais où irions-nous s’il nous faut compter avec l’indécision d’une majorité d’indécis. Tout statisticien bien luné vous dira que le bon sens commande de répartir nos indécis au pro-rata des points obtenus de sondés interrogés et méticuleusement pondérés. Mais ce sondage perdra beaucoup de sa valeur à partir de décembre prochain. Continueront à s’en gargariser ceux s’obstinant à prendre leurs rêves pour la réalité.

Trois ans après son éviction du poste de Numéro 2 au sein du gouvernement par le Premier ministre Pravind Jugnauth, Ivan Collendavelloo a été convoqué par l'ICAC dans le cadre de l'affaire St-Louis. Comment expliquez-vous ce réveil soudain de l'ICAC concernant celui-ci ?

L’ICAC se réveille au bout de trois ans et convoque Ivan Collendavelloo. Que voulez-vous que ce dernier fasse d’autre que d’accepter cette convocation et de répondre aux questions que des enquêteurs léthargiques veulent bien lui poser ? Savons-nous seulement pourquoi nous nous réveillons chaque matin ?

On note que Paul Bérenger, qui avait été impliqué de la même manière qu'Ivan Collendavelloo, n'a pas été convoqué. Quel message pensez-vous que cette stratégie et ce timing, à environ un an des élections générales, envoient quant au fonctionnement de l'ICAC ?
Concluons que le réveil matin coupable d’avoir sorti l’ICAC de sa léthargie a oublié de préciser que la sonnerie valait aussi pour l’ancien leader d’Ivan Collendavelloo. Qui sait le risque que peut comporter une commune convocation de l’ICAC à un tandem composé d’Ivan et de Popol. Nous avons connu précédemment des alliances se concoctant par-dessus une haie de bambous vacoassienne. Nous avons connu un front d’opposition « chaussettes militantes ». Un gouvernement de coalition s’est décidé dans les salons huppés d’un hôtel de luxe parisien. Ne grattons jamais le dos du malheur. 

Plusieurs éléments d'information suggèrent qu'Ivan Collendavelloo pourrait récupérer son poste de numéro 2 au sein du gouvernement. Les relations entre le ML et le MSM ont été souvent tendues au cours de ce mandat. Pourquoi pensez-vous que le gouvernement a soudainement besoin de réhabiliter Ivan Collendavelloo ?

J’attendrai qu’Ivan Collendavelloo retrouve son strapontin de vice-Premier ministre avant de répondre à cette question. Mais pourquoi céder sa position de No 1 dans un cabinet d’avocats pour devoir se contenter d’un No 2 dans un simple cabinet, même ministériel ?

Le ministre des Finances a récemment déclaré que les fonds de la Contribution Sociale Généralisée étaient à sec. Comment percevez-vous cette affirmation, notamment compte tenu des appréhensions suscitées dès le départ par le remplacement du National Pensions Fund par la CSG ?

Quand feu Karl Offmann a créé le Fonds National de Pension dans nos défuntes années 1980, un grand débat divisait déjà les Français au sujet de leur Sécurité sociale, ressemblant de plus en plus à un panier percé. La CSG est à sec. Et alors ? Les gouvernements que nous plébiscitons, lustre après lustre, avec trop souvent des majorités de plus de trois quarts des voix (la faute au fautif système électoral du First past the Post) peuvent toujours surexploiter la possibilité de surtaxer les consommateurs mauriciens. Pensons ce que peut représenter comme pactole une TVA à 17,5% ou une nouvelle taxe de Rs10 sur chaque litre de carburant. Même cela n’empêchera pas Pravind Jugnauth de gagner les prochaines législatives. Moutons nous sommes, moutons nous resterons. Nous méritons amplement les gouvernements que nous plébiscitons, lustre après lustre.   

 

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