Interview

Rajen Narsinghen sur les Best Loser Seats : «Un pouvoir donné aux leaders politiques n’est pas sérieux» 

Le constitutionnaliste Rajen Narsinghen commente les propositions de réforme électorale du gouvernement. Il estime que la décision de laisser le choix aux leaders politiques de désigner les Best Losers Seats n’est pas raisonnable. 

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Le Premier ministre a présenté un projet de réforme électorale. Vos premières impressions.
En tant que constitutionnaliste et maître de conférence en droit constitutionnel, je suis surpris par ses propositions. Au lieu de consolider la démocratie, j’y vois un recul inquiétant. C’est un non-sens en droit constitutionnel et en loi électorale. On ignore l’essence du système de représentation proportionnelle (RP). Il est impropre de qualifier ce modèle de RP. L’objectif du RP est de réduire l’écart entre le pourcentage du vote national et le nombre de sièges au Parlement. Il n’y a pas de corrélation entre les deux systèmes. 

En gros, si un parti obtient 51 % des votes, il doit recevoir plus ou moins 51 % de sièges. Or, le système de Three First Past the Post (TFPTP) amplifie démesurément le score du vainqueur. Ainsi, un parti avec 49 % de votes pourait remporter plus de sièges qu’un parti qui a obtenu 51 % des votes. 

Le système TFPTP garantit plus de stabilité, mais tout système doit garder un équilibre entre stabilité, justice électorale et l’équité. Les propositions veulent maintenir la supériorité numérique glanée par un parti majoritaire, comme l’avoue le Premier ministre (PM). Le système préconisé est loin de la logique de la RP. Prévoir 12 députés de plus et 6 ou 10 députés best losers est un gaspillage de fonds public.

Augmenter le nombre d’élus pour plus de justice électorale et de représentations politique, serait acceptable. Hélas, ces propositions bafouent les principes des théories constitutionnelles et électorales. Les spécialistes comme Duverger, Pactet, Chantebout et d’autres comme Sacchs, Tandon, Carcassonne, en seraient choqués.

Le choix de nommer 8 ou 10 best losers laisse trop de flou juridique. Le pire, c’est d’usurper le rôle de l’Electoral Supervisory Commission (ESC) et de le transférer aux leaders politiques. Souvent, dans le système parlementaire, rationaliser est pire. Comme dans le système mauricien où il n’y a pas de démocratie interne, le Premier ministre qui est déjà un monarque élu, va devenir un « Empereur ».

Il faudrait un système plus équilibré, qui préserve la supériorité de la majorité du TFPTP, avec un mécanisme de correction, par la RP, sans revenir à la case départ et garder la différence initiale des sièges.    

Est-il bon que le gouvernement introduise une dose de RP ?
Dans l’absolu, la RP est une bonne chose. On peut concilier RP et TFPTP. Il faut plus de justice électorale et préserver la stabilité politique. Le système proposé relève plus d’un changement cosmétique et d’une stratégie politique. Le PM a lui-même avoué que le système proposé veut garder intacte la supériorité numérique du vainqueur. C’est une perversion d’un modèle de RP. 

Le seuil pour la RP proposée est-il de 10 % ? 
Une revue des seuils ailleurs montre une variation entre 1,5% en Israël, 5 % en l’Allemagne et 10 % en Turquie. Un seuil élevé de 10 % peut mener à un gaspillage des votes. lLes votes de 5 % à 9 % ne donnent aucun siège. En 2002, en Turquie, 46 % des votes étaient gaspillés. À Maurice, les voix minoritaires, partis écologique ou d’extrême-gauche, doivent être représentées au Parlement. Les laisser dehors pourrait, à terme, déboucher sur une révolution ou un « Printemps Arabe ». Il importe que les diverses opinions et sensibilités soient représentées à l’Assemblée. Un seuil à 1,5  %, à l’israëlienne peut inciter les partis à s’aligner sur une base « communale ». Un juste équilibre, c’est un seuil de 5 %. Le 10 % préconisé ne laissera aucune chance aux petits partis. C’est loin d’être un approfondissement de la démocratie. 
 
Avec une RP le nombre de députés passe de 70 à 83. Est- ce trop ? 
Le ratio votants/élus à Maurice est déjà très élevé. Cependant la paix sociale n’a pas de prix et pour la mise en place d’une vraie démocratie, il n’y a aucun mal de revoir le nombre d’élus. Mais avec de telles propositions telles, on ne corrige pas l’iniquité et l’injustice électorale, on gaspille les fonds publics. Ceux qui ont coneillé cette réforme ne maîtrisent pas les subtilités, enjeux constitutionnels et électoraux. Ils utilisent le concept de RP en oubliant son essence : équité et justice électorale. On rejette les recommandations de constitutionnalistes comme Sacchs, Carcasonne, au profit d’apprentis sorciers et conseillers obscurs. 

Remplacer le Best Loser System (BLS) par le Best Loser Seats.  Retirer ses pouvoirs à l’ESC au profit des leaders politiques. Est-ce bon ? 
Dans l’absolu pour une vrai nation building, il faut effacer toute allusion aux critères communautaristes. Le BLS a été introduit dans un contexte historique précis. Sans le BLS, on aurait pu ne pas avoir d’indépendance ou la retarder. 
Pire : laisser le soin aux leaders politiques de choisir les députés pour les Best Loser Seats. Déjà, ce terme est mauvais. Nos leaders politiques sont très puissants en l’absence d’une vraie démocratie au sein des partis. Le PM est déjà un monarque élu et maintenant on veut en faire un demi-dieu.

Le BLS orignal est un système préétabli avec des règles précises et un organe neutre comme l’ESC qui  nomme. Les réformes proposées risquent d’enfreindre l’Article 1 de la Constitution. Un leader politique ne peut venir, après les élections, changer les vœux de l’électorat. D’après moi, on pourra contester une telle loi ou nouvelle disposition constitutionnelle devant la Cour Suprême (contrôle constitutionnel). Les Best Losers Seats sont supposés permettre aux leaders de rééquilibrer, par exemple, s’il n’y a pas assez de femmes élues, ou des communautés  sous-représentées. Cela ne garantit en aucune façon un rééquilibrage. Déjà à la Lancaster House Conference, certains verbal undertaking n’ont pas été respectés. Le temps change, les leaders politiques dans 10 à 20 ans, pourront oublier la logique derrière les Best Loser Seats. 
 
Est-il mieux de conserver le BLS comme suggéré par le PMSD et laisser la responsabilité à l’ESC ? 
Il faut trouver une solution pour se conformer aux normes internationales, après les remarques de la Human Rights Commission (HRC). Celle-ci n’a pas préconisé un démantèlement du BLS mais plutôt critiqué  le  recours  au  recensement de 1972 et l’obligation de déclarer son identité ethnique. On peut remplacer le BLS par un système alternatif avec une vraie dose de RP et un mécanisme à travers la Representation of People’s Act pour assurer une représentation adéquate et équitable de toutes les composantes de la société. Laisser aux leaders politiques le soin d’un tel rééquilibrage n’est pas sérieux. La Constitution, qui est une Charte de la nation, peut faire abstraction de référence aux communautés ou religions. Mais rien n’empêche une autre loi « ordinaire » de garantir un rééquilibrage, avec un mécanisme préétabli, précis et non discrétionnaire. 

 

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