Société

Les jeunes et l’histoire: une malheureuse ignorance

L’arrivée des travailleurs engagés à Maurice cosntitue une page de l’histoire à ne pas oublier. Pourtant, de nombreux jeunes ignorent totalement la signification de cette commémoration. Comment transmettre l’histoire et encourager nos jeunes à accomplir leur devoir de mémoire ? Que commémorons-nous le 2 novembre de chaque année ? En quelle année les premiers travailleurs engagés ont-ils foulé le sol mauricien? Savez-vous que l’Aapravasi Ghat est classé patrimoine mondial de l’UNESCO ? Autant d’interrogations qui font sourciller plus d’un jeune à qui nous avons posé la question. Si certains en connaissent le strict minimum, d’autres ne savent même pas que l’on célèbre tous les ans l’arrivée des travailleurs engagés à Maurice. C’est le cas de Fabrice B., 20 ans. « Je ne connais absolument rien de cette commémoration », concède-t-il. Pire, l’Aapravasi Ghat ne lui dit rien. Vous ne l’avez donc pas appris à l’école? À cette question, Fabrice réfléchit deux ou trois petites secondes avant de répondre qu’alors même qu’il ne se souvient absolument pas de ce qu’il a dîné l’avant-veille, comment pourrait-il se rappeler une page de notre douloureuse histoire ? Plus loin, David J., 19 ans, nous répond la même chose. « Tout ce que je sais, c’est que c’est férié ce lundi. Mais qu’est-ce qu’on fête ? Je n’en sais rien. L’arrivée des travailleurs engagés ne me dit rien, désolé… » Son amie Manuella R., 22 ans, intervient : « To rapel ti fer dans l’école sa ? Sa meme Aapravasi Ghat. Bane travayer sorti l’Inde ti vine Moris… » C’est à peu près tout ce qu’elle sait de cette commémoration. C’est aussi le cas de Yavnish R., 19 ans. « Du 2 novembre, il se rappelle que les travailleurs engagés venus de l’Inde ont débarqué à Maurice en passant par l’Aapravasi Ghat. C’étaient des laboureurs, des travailleurs manuels », nous dit-il, déçu de ne pas en savoir plus.

MANQUE D’INFORMATIONS

Cependant, il souligne que les associations concernées pourraient organiser des débats, des ateliers de travail sur l’arrivée des travailleurs engagés à Maurice. « Ainsi, nous aurons plus d’informations par rapport à cette commémoration, car après tout, ce sont nos ancêtres. Nous devrions connaître ce pan d’histoire et la préserver. » C’est aussi la réflexion que fait Darshan R., 26 ans. Il se dit triste du manque d’intérêt des jeunes pour cette commémoration. « C’est une commémoration qui passe quasiment inaperçue. On est satisfait d’avoir un jour férié. Un point, c’est tout. » « Le manque d’intérêt des jeunes, dit-il, pourrait s’expliquer par l’absence de débats à ce sujet. Les écoles primaires et secondaires devraient emmener les élèves plus souvent à l’Aapravasi Ghat. Les jeunes apprendraient beaucoup à propos de cette date historique. » Toutefois, du côté de l’Aapravasi Ghat, on assure que tout est fait pour faciliter l’accès aux écoles et aux étudiants. Vikram Mugon, manager du Centre d’interprétation Beekrumsing Ramlallah, explique que « de plus en plus de jeunes viennent visiter les lieux, surtout les écoliers, car le site fait partie de leur cursus scolaire en standard 6 ». [blockquote]«Pour ces écoliers, c’est un bon moyen de connaître l’histoire du pays et d’en savoir plus sur ce site», ajoute-t-il.[/blockquote] Vikram Mugon précise : « Depuis janvier, plus de 200 établissements scolaires ont visité le centre. Nous allons également vers les jeunes en approchant les écoles, les centres de jeunesse et en organisant des présentations. Nous leur proposons de nombreuses activités pédagogiques pour leur apprentissage et leur créativité. Par exemple, lors des ateliers de poterie, les enfants apprennent à fabriquer un pot et en apprennent un peu plus de l’histoire. Les petits adorent ces activités, tout comme la fabrication de la chaux, et quand nous évoquons les techniques de construction d’antan. » [[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"3547","attributes":{"class":"media-image alignnone size-full wp-image-5235","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"1920","height":"1080","alt":"appravasi"}}]]

Aapravasi Ghat: une visite s’impose...

Loin des brouhahas de la capitale, mais près de la Place de l’Immigration, une structure en pierres rappelle que ce lieu est le passage obligé des engagés indiens venus bâtir l’île Maurice moderne. C’est en novembre 2002 que le Centre d’interprétation Beekrumsing Ramlallah a vu le jour dans le cadre du 180e anniversaire de l’arrivée des engagés à Maurice. Le centre, ancien entrepôt de sucre, porte ce nom en mémoire du défunt journaliste et politicien qui a milité pour que l’Aapravasi Ghat soit reconnu comme patrimoine immémorial de l’humanité, au même titre que la Route des esclaves. L’accès au site – ouvert du lundi au vendredi, de 9 heures à 16 heures, et le samedi de 9 heures à midi – est gratuit. Ici, le béton se mélange au bois pour former une architecture moderne, sans pour autant effacer la douloureuse trace des engagés. Statuettes, stèles, photos, tout y est. C’est ici que commence la visite qui dure 45 minutes. L’endroit est impressionnant. Les couloirs sombres et les jeux de lumière donnent un cachet particulier au centre. Sur les murs, des histoires brèves du passage des engagés à Maurice, en français et en anglais dans un style simple et accessible à tous. Pour ceux qui veulent en savoir plus, des coins ‘I want to know more’ ont été aménagés ainsi que des ‘Kids corner’ avec écran tactile et jeux pour enfants. Notre guide, Vijaya, fait partie de la cinquantaine d’employés du site. Elle est très à l’aise et semble connaître les moindres secrets de l’histoire des engagés. Elle nous indique que des activités pédagogiques sont organisées pour les enfants de 3-14 ans. Chaque section de ce centre nous transporte dans un nouvel univers : le voyage, la vie aux abords du dépôt, l’engagisme, le dépôt d’immigration et l’héritage de l’engagisme. La section la plus impressionnante est, sans nul doute, celle où une partie d’un bateau a été reconstituée avec des objets et aliments qu’il transportait autrefois dans sa cale. Sont exposés également des objets restitués lors des fouilles archéologiques, des trésors précieusement conservés. La visite se termine par la dernière section, celle de l’héritage de l’engagisme, l’une des sections les plus prisées par les visiteurs, car elle contient la hutte fabriquée avec la bouse de vache, comme à l’époque des engagés. À l’intérieur, les vêtements utilisés par ces travailleurs, ainsi que quelques ustensiles de cuisine. À l’extérieur, on retrouve les outils utilisés par ces travailleurs dans les champs, entre autres, ainsi que des objets fabriqués à l’époque qui font aujourd’hui partie intégrante de la culture mauricienne, tel que le ‘roche cari’. Autant de raisons de découvrir ou de redécouvrir l’Aapravasi Ghat...
 

Pour la petite histoire...

C’est après l’abolition de l’esclavage que l’île Maurice a été choisie par les Britanniques pour démarrer une nouvelle expérience consistant à remplacer les esclaves par des travailleurs engagés.  Entre 1834 et 1920, près d’un demi-million d’engagés ont transité par l’Aapravasi Ghat avant d’aller travailler dans les champs de cannes. 97,5% d’entre eux venaient de l’Inde, et les autres de Madagascar, de Chine, mais aussi d’Asie du Sud-est et de l’Afrique de l’Est. L’Aapravasi Ghat devient alors un symbole reconnu mondialement de ce qui fut l’une des plus importantes migrations de l’histoire.  L’engagisme est défini comme « un engagement/un contrat écrit dans lequel un homme ou une femme donne son accord à un employeur pour travailler pendant une durée déterminée, généralement pour un à cinq ans. Ces contrats stipulaient les conditions d’emploi, notamment le salaire, les conditions de travail, les rations, le logement et les soins médicaux pris en charge ».

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Satyendra Peerthum, historien: « Les jeunes ne sont pas exposés à l’histoire »

L’histoire du pays intéresse-t-elle réellement les jeunes? Le plus gros problème, c’est que depuis une quarantaine d’années, notre système éducatif a relégué l’histoire de Maurice au second plan. Quand les écoles enseignent l’histoire, elles le font de façon diluée. Ce n’est pas que les jeunes ne sont pas intéressés, mais ils ne sont pas exposés à l’histoire de notre pays. Les jeunes ont soif de connaissances. Depuis le début de l’année, l’Aapravasi Ghat a reçu  34 000 visiteurs, dont la majorité sont des scolaires. Je me souviens aussi d’une causerie avec les élèves de l’école primaire de Cité-Vallijee. Je leur ai demandé s’ils connaissaient l’histoire de leur quartier, à ma grande surprise, ils connaissaient l’histoire du Donjon de St-Louis, du Vagrant Depot. Cela démontre leur intérêt, mais pour ce qui est de leur connaissance du sujet, il est vrai qu’il y a encore beaucoup à faire. Comment transmettre l’histoire aux jeunes Mauriciens ? Il faut leur inculquer l’histoire très jeunes. Et je ne parle pas seulement des enseignants. Les parents ont aussi un rôle très important à jouer. Quand il y a des causeries, des débats sur l’histoire de Maurice, ils devraient encourager leurs enfants à y participer. Ils doivent les emmener visiter les musées, les lieux historiques de notre pays. Quand un enfant voit, touche des choses, c’est plus facile pour lui de se rappeler de l’histoire que si on le lui raconte à travers les manuels scolaires.
 

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Une centaine d’artistes seront sur scène à l’Aapravasi Ghat ce lundi. En effet, un spectacle culturel ainsi qu’un slam s’y tiendra en début de matinée. Ce show d’une durée de vingt minutes sera précédé d’une cérémonie protocolaire, dont un dépôt de gerbes sur ce site historique. Cet événement verra aussi le lancement d’un livret sur la région d’Antoinette, lieu où se sont installés les premiers coolies. « Cette année, nous mettons l’accent sur un lieu où ils ont vécu, en l’occurrence la propriété sucrière d’Antoinette, située non loin du village de Rivière-du-Rempart », explique Satyendra Peerthum, historien à l’Aapravasi Ghat Trust Fund. Il ajoutera que cet endroit est fort en symbole étant donnée que de 1834 à 1839, les 36 premiers travailleurs indiens y ont vécu. Outre un livret, l’Aapravasi Ghat organise également une exposition de 12 panneaux consacrée à Antoinette. De plus, un ‘hanging exhibit’ des vêtements traditionnels que portaient les immigrées indiennes sera ouvert au public. Par ailleurs, le Yen Kannamma Crew prévoit un festival tamoul au Plaza, Rose-Hill. Pour cette première édition, les organisateurs proposeront une expo-vente d’accessoires et de vêtements emblématiques de la culture tamoule. Un voyage culinaire sera aussi offert à travers la dégustations de mets. Une exposition retraçant l’histoire des premiers immigrés tamouls ainsi qu’un spectacle culturel sont également au programme. Ce show sera marqué par la présence de Devan Ekambaram, chanteur playback de films tamouls, venant de Chennai. Il se produira au Plaza ce soir, à 18 heures. Rappelons que le festival tamoul débutera à 8 heures et prendra fin vers 20 heures.
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